EPITRE : à Emilie sur la calomnie
Ecoutez-moi, respectable Emilie
Vous êtes belle ; ainsi donc la moitié
Du genre humain sera votre ennemie
Vous possédez un sublime génie ;
On vous craindra : votre tendre amitié
Est confiante, et vous serez trahie.
Votre vertu, dans sa démarche unie,
Simple et sans fard, n’a point sacrifié
A nos dévots ; craignez la calomnie.
Attendez-vous, s’il vous plaît, dans la vie,
Aux traits malins que tout fat à la cour,
Par passe-temps, souffre et rend tour à tour.
La Médisance est la fille immortelle
De l’Amour-propre et de l’Oisiveté.
Ce monstre ailé paraît mâle et femelle,
Toujours parlant, et toujours écouté.
Amusement et fléau de ce monde,
Elle y préside, et sa vertu féconde
Du plus stupide échauffe les propos ;
Rebut du sage, elle est l’esprit des sots.
En ricanant, cette maigre furie
Va de sa langue épandre les venins
Sur tous états ; mais trois sortes d’humains,
Plus que le reste, aliments de l’envie,
Sont exposés à sa dent de harpie :
Les beaux esprits, les belles, et les grands,
Sont de ses traits les objets différents.
Quiconque en France avec éclat attire
L’œil du public, est sûr de la satire ;
Un bon couplet, chez ce peuple falot,
De tout mérite est l’infaillible lot.
[…]