LETTRES DE MEMMIUS A CICÉRON - PARTIE 14
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LETTRES DE MEMMIUS A CICÉRON.
(Partie 14)
XI. Confirmation des preuves de la nécessité des choses (1). - Il y a certainement des choses que la suprême intelligence ne peut empêcher : par exemple, que le passé n'ait existé, que le présent ne soit dans un flux continuel, que l'avenir ne soit la suite du présent, que les vérités mathématiques ne soient vérités. Elle ne peut faire que le contenu soit plus grand que le contenant ; qu'une femme accouche d'un éléphant par l'oreille ; que la lune passe par un trou d'aiguille.
La liste de ces impossibilités serait très longue : il est donc, encore une fois, très vraisemblable que Dieu n'a pu empêcher le mal.
Une intelligence sage, puissante et bonne, ne peut avoir fait délibérément des ouvrages de contradiction. Mille enfants naissent avec les organes convenables à leur tête ; mais ceux de la poitrine sont viciés. La moitié des conformations est manquée, et c'est ce qui détruit la moitié des ouvrages de cette intelligence si bonne. Oh ! si du moins il n'y avait que la moitié de ses créatures qui fût méchante ! mais que de crimes depuis la calomnie jusqu'au parricide ! Quoi ! un agneau, une colombe, une tourterelle, un rossignol, ne me nuiront jamais, et Dieu me nuirait toujours ! il ouvrirait des abîmes sous mes pas, ou il engloutirait la ville où je suis né, ou il me livrerait pendant toute ma vie à la souffrance, et cela sans motif, sans raison, sans qu'il en résulte le moindre bien : Non, mon Dieu, non, Être suprême, Être bienfaisant, je ne puis le croire, je ne puis te faire cette horrible injure.
On me dira peut-être que j'ôte à Dieu sa liberté : que sa puissance suprême m'en garde ! Faire tout ce qu'on peut, c'est exercer sa liberté pleinement. Dieu a fait tout ce qu'un Dieu pouvait faire. Il est beau qu'un Dieu ne puisse faire le mal.
1 - Voltaire ne l'admettait pas en 1734. (G.A.)