LETTRES DE MEMMIUS A CICÉRON - Partie 8
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LETTRES DE MEMMIUS A CICÉRON.
(Partie 8)
V. Raison des athées. - Quelle est la raison qui fait tant d'athées ? c'est la contemplation de nos malheurs et de nos crimes. Lucrèce était plus excusable que personne ; il n'a vu autour de lui et n'a éprouvé que ces calamités. Rome, depuis Sylla, doit exciter la pitié de la terre dont elle a été le fléau. Nous avons nagé dans notre sang. Je juge par tout ce que je vois, par tout ce que j'entends, que César sera bientôt assassiné. Vous le pensez de même ; mais après lui je prévois des guerres civiles plus affreuses que celles dans lesquelles j'ai été enveloppé. César lui-même dans tout le cours de sa vie, qu'a-t-il vu, qu'a-t-il fait ? des malheureux. Il a exterminé de pauvres Gaulois qui s'exterminaient eux-mêmes dans leurs continuelles factions. Ces Barbares étaient gouvernés par des druides qui sacrifiaient les filles des citoyens après avoir abusé d'elles. De vieilles sorcières sanguinaires étaient à la tête des hordes germaniques qui ravageaient la Gaule, et qui n'ayant pas de maison, allaient piller ceux qui en avaient. Arioviste était à la tête de ces sauvages, et leurs magiciennes avaient un pouvoir absolu sur Arioviste. Elles lui défendirent de livrer bataille avant la nouvelle lune. Ces furies allaient sacrifier à leurs dieux Procilius et Titius, deux ambassadeurs envoyés par César à ce perfide Arioviste, lorsque nous arrivâmes, et que nous délivrâmes ces deux citoyens que nous trouvâmes chargés de chaînes. La nature humaine dans ces cantons, était celle des bêtes féroces, et en vérité nous ne valions guère mieux.
Jetez les yeux sur toutes les autres nations connues ; vous ne voyez que des tyrans et des esclaves, des dévastations, des conspirations et des supplices.
Les animaux sont encore plus misérables que nous : assujettis aux mêmes maladies, ils sont sans aucun secours ; nés tous sensibles, ils sont dévorés les uns par les autres. Point d'espèce qui n'ait son bourreau. La terre, d'un pôle à l'autre, est un champ de carnage, et la nature sanglante est assise entre la naissance et la mort.
Quelques poètes, pour remédier à tant d'horreurs, ont imaginé les enfers. Étrange consolation ! étrange chimère ! les enfers sont chez nous. Le chien à trois têtes, et les trois Parques, et les trois Furies, sont des agneaux en comparaison de nos Sylla et de nos Marius.
Comment un Dieu aurait-il pu former ce cloaque épouvantable de misères et de forfaits ? On suppose un Dieu puissant, sage, juste et bon ; et nous voyons de tous côtés, folie, injustice et méchanceté. On aime mieux alors nier Dieu que le blasphémer. Aussi avons-nous cent épicuriens contre un platonicien. Voilà les vraies raisons de l'athéisme ; le reste est dispute d'école.