LETTRES DE MEMMIUS A CICÉRON - Partie 4
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LETTRES DE MEMMIUS A CICÉRON.
(Partie 4)
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LETTRE III.
J'entre en matière tout d'un coup cette fois-ci, et je dis, malgré Lucrèce et Epicure, non pas qu'il y a des dieux, mais qu'il existe un Dieu. Bien des philosophes me siffleront, ils m'appelleront esprit faible (1) ; mais comme je leur pardonne leur témérité, je les supplie de me pardonner ma faiblesse.
Je suis du sentiment de Balbus dans votre excellent ouvrage de la Nature des dieux. La terre, les astres, les végétaux, les animaux, tout m'annonce une intelligence productrice.
Je dis avec Platon (sans adopter ses autres principes) : Tu crois que j'ai de l'intelligence, parce que tu vois de l'ordre dans mes actions, des rapports et une fin : il y en a mille fois plus dans l'arrangement de ce monde : juge donc que ce monde est arrangé par une intelligence suprême.
On n'a jamais répondu à cet argument que par des suppositions puériles ; personne n'a jamais été assez absurde pour nier que la sphère d'Archimède et celle de Possidonius soient des ouvrages de grands mathématiciens ; elles ne sont cependant que des images très faibles, très imparfaites de cette immense sphère du monde, que Platon appelle avec tant de raison l'ouvrage de l'Éternel géomètre. Comment donc oser supposer que l'original est l'effet du hasard, quand on avoue que la copie est de la main d'un grand génie ?
Le hasard n'est rien ; il n'est point de hasard. Nous avons nommé ainsi l'effet que nous voyons d'une cause que nous ne voyons pas. Point d'effet sans cause ; point d'existence sans raison d'exister ; c'est là le premier principe de tous les vrais philosophes.
Comment Epicure, et ensuite Lucrèce, ont-ils le front de nous dire que des atomes s'étant forfuitement accrochés, ont d'abord produit des animaux, les uns sans bouche, les autres sans viscères, ceux-ci privés de pieds, ceux-là de tête, et qu'enfin le même hasard a fait naître des animaux accomplis ?
C'est ainsi, disent-ils, qu'on voit encore en Égypte des rats dont une moitié est formée, et dont l'autre n'est encore que de la fange. Ils se sont bien trompés ; ces sottises pouvaient être imaginées par des Grecs ignorants qui n'avaient jamais été en Égypte. Le fait est faux ; le fait est impossible. Il n'y eut, il n'y aura jamais ni d'animal, ni de végétal sans germe. Quiconque dit que la corruption produit la génération est un rustre, et non pas un philosophe ; c'est un ignorant qui n'a jamais fait d'expérience.
J'ai trouvé de ces vils charlatans (2) qui me disaient : Il faut que le blé pourrisse et germe dans la terre pour ressusciter, se former, et nous alimenter. Je leur dis : Misérables, servez-vous de vos yeux avant de vous servir de votre langue ; suivez les progrès de ce grain que je confie à la terre ; voyez comme il s'attendrit, comme il s'enfle, comme il se relève, et avec quelle vertu incompréhensible il étend ses racines et ses enveloppes. Quoi ! vous avez l'impudence d'enseigner les hommes, et vous ne savez pas seulement d'où vient le pain que vous mangez !
Mais qui a fait ces astres, cette terre, ces animaux, ces végétaux, ces germes, dans lesquels un art si merveilleux éclate ? il faut bien que ce soit un sublime artiste ; il faut bien que ce soit une intelligence prodigieusement au-dessus de la nôtre, puisqu'elle a fait ce que nous pouvons à peine comprendre ; et cette intelligence, cette puissance, c'est ce que j'appelle Dieu.
Je m'arrête à ce mot. La foule et la suite de mes idées produiraient un volume au lieu d'une lettre. Je vous envoie ce petit volume, puisque vous le permettez ; mais ne le montrez qu'à des hommes qui vous ressemblent, à des hommes sans impiété et sans superstition, dégagés des préjugés de l'école et de ceux du monde, qui aiment la vérité et non la dispute : qui ne sont certains que de ce qui est démontré, et qui se défient encore de ce qui est le plus vraisemblable.
(Ici suit le traité de Memmius.)
1 - C'est Diderot qui appelait ainsi Voltaire. (G.A.)
2 - Les théologiens. (G.A.)