COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 31 et FIN

Publié le par loveVoltaire

COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 31 et FIN

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COMMENTAIRE

 

SUR L'ESPRIT DES LOIS.

 

 

 

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- Partie 31 -

 

 

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PETITE DIGRESSION SUR LE SIÈGE DE CALAIS.

 

 

 

 

 

 

 

      On nous peint ce prince comme le modèle de la bravoure et de la galanterie, ayant tout le bon sens dont les Anglais se piquaient, et tous les agréments qu'on louait dans les Français : politique et vif, plein de valeur et de grâces, opiniâtre et généreux. On lui reproche (1) qu'au siège de Calais il exigea que six bourgeois vinssent lui demander pardon la corde au cou : mais il faut songer que cette triste cérémonie était d'usage avec ceux qu'on regardait comme ses sujets. Je n'ai jamais pu me persuader que le même roi qui les renvoya avec des présents eût en effet conçu le dessein de les faire étrangler, puisque dans le même temps, dès qu'il fut maître de Calais, il traita avec une générosité sans exemple des chevaliers français qui voulurent rentrer dans Calais par trahison. Ces chevaliers, Charny et Ribaumont, malgré les lois de la guerre, prirent le temps d'une trêve pour ourdir leur perfidie. Ils corrompirent le gouverneur. Édouard, qui était alors à Londres, et qui en fut informé, daigna venir lui-même dans Calais avec son jeune fils, le fameux prince Noir, reçut les armes à la main les Français aux portes de la ville, s'attacha principalement à Ribaumont, le combattit longtemps comme dans un tournoi, l'abattit et en fut abattu, le prit enfin prisonnier lui et tous ses compagnons. Quel châtiment fit-il de ces braves, plus dangereux que six bourgeois de Calais, et, sans doute, plus coupables ? il les fit souper avec lui, et détacha de son bonnet, un tour de perles dont il orna le bonnet de Ribaumont. Il fit plus, il se contenta de chasser le gouverneur de Calais qui l'avait trahi. C'était un Italien qui trahit en même temps le roi de France Philippe, et Philippe le fit écarteler. Je demande des deux rois quel était le généreux, quel était le héros.

 

      Je sais que depuis peu en France, dans des conjonctures très malheureuses, on (2) a voulu flatter la nation, en lui peignant la prise de Calais comme un événement glorieux pour elle après la bataille de Crécy, et comme déshonorant pour Édouard. Si on voulait consoler et flatter le gouvernement français, ce n'était pas la perte de Calais qu'il fallait célébrer, c'était l'héroïsme de François de Guise, qui la reprit au bout de deux cent dix années. Il faut avouer qu'Édouard fut un terrible ennemi, ou du moins un terrible interprète de la loi salique.

 

      Elle fut dans un plus grand danger quand le roi d'Angleterre Henri V fut reconnu roi de France par tous les ordres du royaume.

 

      Elle ne fut pas moins foulée aux pieds dans les états de Paris, quand Philippe II se disposait à donner la France à sa fille Claire-Eugénie. Personne ne peut savoir ce qui serait arrivé, si la cour d'Espagne avait laissé le prince de Parme avec plus de troupes en France, et surtout si Henri IV n'avait eu la politique de changer de religion, et le bonheur d'être en même temps éclairé par la grâce.

 

       Cette loi salique est sans doute affermie ; elle sera indisputable et fondamentale tant que la France aura le bonheur d'avoir des princes de cette maison unique dans le monde, qui règne depuis treize siècles (3). Mais je suppose qu'un jour, dans vingt à trente siècles, il ne reste qu'une seule princesse de ce sang si auguste et si cher, que fera-t-on de ces lignes qui disent, filles n'auront aucune portion de la terre ? que fera-t-on de la devise, les lis ne filent point ? On assemblera les états généraux, les descendants de nos secrétaires du roi, les chevaliers de Saint-Michel et de Saint-Lazare d'aujourd'hui, qui seront alors les ducs et pairs, les grands officiers de la couronne ; les gouverneurs de province brigueront le trône de la France. Je suppose que cette princesse qui restera seule du sang royal aura toutes les vertus que nous chérissons avec respect sans les princesses de nos jours ; je suppose encore qu'elle sera très belle et très séduisante ; en conscience, messieurs des états généraux, lui refuserez-vous le trône où se seront assis ses pères pendant quatre mille ans, et cela sous prétexte qu'il ne faut pas que la Gaule passe de lance en quenouille ?

 

 

 

 

 

1 - Voyez une de nos notes du chapitre LXXV de l'Essai sur les mœurs. (G.A.)

 

2 - Les suites de la paix de 1763. C'est alors que de Belloy fit représenter son Siège de Calais. (G.A.)

 

3 - Il est vraisemblable que Hugues Capet descendait d'une petite-fille de Charlemagne, et Charlemagne d'une fille de Clotaire II.

 

 

 

 

 

 

 

F.I.N.

 

 

 

 

 

 

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