COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 29

Publié le par loveVoltaire

COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 29

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COMMENTAIRE

 

SUR L'ESPRIT DES LOIS.

 

 

 

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- Partie 29 -

 

 

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DU CARACTÈRE DE LA NATION FRANÇAISE.

 

 

 

 

 

 

 

      Est-ce la sécheresse des deux Castilles et la fraîcheur des eaux du Guadalquivir, qui rendirent les Espagnols si longtemps esclaves, tantôt des Carthaginois, tantôt des Romains, puis des Goths, des Arabes, et enfin de l'inquisition ? Est-ce à leur climat ou à Christophe Colomb qu'ils doivent la possession du Nouveau-Monde.

 

      Le climat de Rome n'a guère changé : cependant y a-t-il rien de plus bizarre que de voir aujourd'hui des zocolanti, des récollets, dans ce même Capitole où Paul-Émile triomphait de Persée, et où Cicéron fit entendre sa voix ?

 

      Depuis le dixième siècle jusqu'au seizième, cent petits seigneurs et deux grands se disputèrent les villes de l'Italie par le fer et par le poison. Tout à coup cette Italie se remplit de grands artistes en tout genre. Aujourd'hui elle produit de charmantes cantatrices et des sonettieri. Cependant l'Apennin est toujours à la même place, et l'Eridan, qui a changé son beau nom en celui de Pô, n'a pas changé son cours.

 

      D'où vient que dans les restes de la forêt d'Hercynie, comme vers les Alpes, et sur les plaines arrosées par la Tamise, comme sur celles de Naples et de Capoue, le même abrutissement fanatique parmi les peuples, les mêmes fraudes parmi les prêtres, la même ambition parmi les princes, ont également désolé tant de provinces fertiles et tant de bruyères incultes ? Pourquoi le terrain humide et le ciel nébuleux de l'Angleterre ont-ils été autrefois cédés par un acte authentique à un prêtre qui demeure au Vatican ? et pourquoi, par un acte semblable, les orangers devers Capoue, Naples et Tarente, lui paient-ils encore un tribut ? En bonne foi, ce n'est pas au chaud et au froid, au sec et à l'humide, qu'on doit attribuer de pareilles révolutions. Le sang de Conrandin et de Frédéric d'Autriche a coulé sous la main des bourreaux, tandis que le sang de saint Janvier se liquéfiait à Naples dans un beau jour ; de même que les Anglais ont coupé la tête sur un billot à la reine Marie Stuart et à son petit-fils Charles Ier, sans s'informer si le vent soufflait du nord ou du midi.

 

      Montesquieu, pour expliquer le pouvoir du climat, nous dit qu'il a fait geler une langue de mouton (1), et que les houppes nerveuses de cette langue se sont manifestées sensiblement quand elle a été dégelée. Mais une langue de mouton n'expliquera jamais pourquoi la querelle de l'Empire et du sacerdoce scandalisa et ensanglanta l'Europe pendant plus de six cents ans. Elle ne rendra point raison des horreurs de la Rose rouge et de la Rose blanche, et de cette foule de têtes couronnées qui sont tombées en Angleterre et sur les échafauds. Le gouvernement, la religion, l'éducation, produisent tout chez les malheureux mortels qui rampent, qui souffrent, et qui raisonnent sur ce globe.

 

      Cultivez la raison des hommes vers le mont Vésuve, vers la Tamise et vers la Seine, vous verrez moins de Conradin livrés au bourreau suivant l'avis d'un pape, moins de Marie Stuart mourant par le dernier supplice, moins de catafalques élevés par des pénitents blancs à un jeune protestant coupable d'un suicide, moins de roues et de bûchers dressés pour des hommes innocents (2), moins d'assassins sur les grands chemins et sur les fleurs de lis (3).

 

 

 

 

 

 

1 - Livre XIV, chapitre II.

 

2 - Voltaire veut désigner ici Antoine Calas, Calas père et La Barre. (G.A.)

 

3 - les assassins sur les fleurs de lis sont Messieurs des parlements. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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