LA BIBLE EXPLIQUÉE - Partie 116
Photo de PAPAPOUSS
LA BIBLE EXPLIQUÉE.
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ANCIEN TESTAMENT.
(Partie 116)
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JUDITH.
AVERTISSEMENT DU COMMENTATEUR SUR JUDITH.
Le livre de Judith n'étant pas plus dans le Canon juif que celui de Tobie, on peut se permettre avec cette Judith un peu de familiarité. Ce n'est pas seulement à cause des contradictions inconciliables dont cette histoire est pleine ; car tantôt la scène est sous Nabuchodonosor, tantôt après la captivité : mais c'est parce que Judith est bien moins édifiante que Tobie.
Un géographe serait bien empêché à placer Béthulie : tantôt on la met à quarante lieues au nord de Jérusalem, tantôt à quelques milles au midi : mais une honnête femme serait encore plus embarrassée à justifier la conduite de la belle Judith. Aller coucher avec un général d'armée pour lui couper la tête, cela n'est pas modeste. Mettre cette tête toute sanglante, de ses mains sanglantes, dans un petit sac, et s'en retourner paisiblement avec sa servante, à travers une armée de cent cinquante mille hommes, sans être arrêtée par personne, cela n'est pas commun.
Une chose encore plus rare, c'est d'avoir demeuré cent cinq ans après ce bel exploit dans la maison de feu son mari, comme il est dit au chapitre XVI, v. 28. Si nous supposons qu'elle était âgée de trente ans quand elle fit ce coup vigoureux, elle aurait vécu cent trente-cinq années. Calmet nous tire d'embarras en disant qu'elle en avait soixante-cinq lorsque Holopherne fut épris de son extrême beauté : c'est le bel âge pour tourner et pour couper des têtes. Mais le texte nous replonge dans une autre difficulté : il dit que personne ne troubla Israël tant qu'elle vécut ; et malheureusement ce fut le temps de ses plus grands désastres.
Quelques partisans de Judith ont soutenu qu'il y avait quelque chose de vrai dans son aventure, puisque les Juifs célébraient tous les ans la fête de cette prodigieuse femme. On leur a répondu que quand même les Juifs auraient institué douze fêtes par an à l'honneur de sainte Judith, cela ne prouverait rien.
Les Grecs auraient eu beau célébrer la fête du cheval de Troie, il n'en serait pas moins faux et moins ridicule que Troie eût été prise par ce grand cheval de bois. Presque toutes les fêtes des Grecs et des anciens Romains célébraient des aventures fabuleuses. Castor et Pollux n'étaient point venus du ciel et des enfers pour se mettre à la tête d'une armée romaine ; et cependant on fêtait ce beau miracle. On fêtait la vestale Sylvia, à qui le dieu Mars fit deux enfants pendant son sommeil, lorsque les Latins ne connaissaient ni le dieu Mars ni les vestales. Chaque fable avait sa fête à Rome comme dans Athènes. Chaque monument était une imposture. Plus ils étaient sacrés, et plus il est sûr qu'ils étaient ridicules.
Et sans chercher des exemples trop loin, n'avons-nous pas encore, dans l'Église romaine la fable des Onze mille Vierges ? Y a-t-il rien de plus célèbre dans notre Occident que l'Epiphanie, et ces trois rois, Gaspard, Melchior et Balthazar, qui viennent à pied des extrémités de l'Orient au village de Bethléem, conduits par une étoile ? On en peut dire autant de Judith et d'Holopherne.
Mais il y a une réponse encore meilleure à faire : c'est qu'il est faux que jamais les Juifs aient eu la fête de Judith. C'est un faussaire, un moine dominicain nommé Jean Nanni, connu sous le nom d'Annius de Viterbe, qui fit imprimer au seizième siècle de prétendus ouvrages de Philon et Bérose, dans lesquels cette prétendue fête de Judith est supposée.
C'est ainsi que se sont établies mille opinions ; plus elles étaient ridicules, et plus elles ont eu de vogue. Les Mille et une nuits règnent dans le monde. Nous n'en dirons pas plus sur Judith ; et nous en avons trop dit sur Tobie (1).
1 - La critique moderne reconnaît aussi que le roman de Judith a été composé par un ignorant, et qu'il ne peut s'adapter à aucune époque de l'histoire de la Judée. (G.A.)