LA BIBLE EXPLIQUÉE - Partie 114
Photo de PAPAPOUSS
LA BIBLE EXPLIQUÉE.
________
ANCIEN TESTAMENT.
(Partie 114)
______
TOBIE.
AVERTISSEMENT DU COMMENTATEUR.
Les Juifs n'ont jamais inséré le livre de Tobie dans leur Canon ; ni Josèphe ni Philon n'en parlent ; il est rejeté de notre communion. Les savants le prétendent composé neuf cents ans après la dispersion. Le concile de Trente l'a décidé canonique ; nous ne le croyons que curieux ; et c'est à ce titre que nous en allons donner une courte analyse. Nous le plaçons immédiatement après les livres des Rois, et avant Esdras, parce qu'en effet l'aventure des deux Tobies est supposée arrivée avant Esdras, dans les premiers temps de la dispersion des dix tribus captives vers la Médie. Il faut supposer aussi que Salmanazar était alors maître de la Médie ; ce qui serait difficile à prouver.
Le livre de Tobie est tout merveilleux. Calmet, dans sa Préface, dit ce grand mot sans y penser : "S'il fallait rejeter le merveilleux et l'extraordinaire, où serait le livre sacré qu'on pût conserver ?"
Tobie, de la tribu de Naphtali (Tobie, chapitre I, v. 1.), fut mené captif du temps de Salmanazar, roi des Assyriens (1)... Et il vint à Ragès, ville des Mèdes, ayant dix talents d'argent des dons dont il avait été honoré par le roi (2)... Et voyant que Gabélus, de sa tribu, était fort pauvre, à Ragès, il lui prêta dix talents d'argent sur son billet. Il arriva qu'un jour (Chapitre II, v. 10.), s'étant lassé à ensevelir des morts, il revint en sa maison et s'endormit (3) contre une muraille et pendant qu'il dormait, il tomba de la merde chaude d'un nid d'hirondelles sur ses yeux, et il devint aveugle... Pour ce qui est de sa femme, elle allait tous les jours travailler à faire de la toile, et gagnait sa vie (4).
En ce même jour (Chapitre III, v. 7.), il arriva que Sara, fille de Raguël, en Ragès, ville des Mèdes, fut très émue d'un reproche que lui fit une servante de la maison... Sara avait déjà eu sept maris, et un diable nommé Asmodée les avait tous tués dès qu'ils étaient entrés en elle. Cette servante lui dit donc : Ne veux-tu pas me tuer aussi comme tu as tué tes sept maris (5) ?
Or Tobie dit à Tobie son fils : Je t'avertis (Chapitre IV, v. 21.) que lorsque tu n'étais qu'un petit enfant, je donnai dix talents d'argent à Gabélus sur sa promesse, dans Ragès, ville des Mèdes : c'est pourquoi va le trouver, retire mon argent et rends-lui son billet...
1 - Il serait heureux pour les commentateurs que Salmanazar eût fait lever de bonnes cartes géographiques de ses États ; car on a bien de la peine à débrouiller comment, étant roi de Ninive sur le Tigre, il avait pu passer par-dessus le royaume de Babylone pour aller enchaîner les habitants des bords du Jourdain, et conquérir jusqu'aux voisins de la mer d'Hyrcanie : on ne comprend rien à ces empires d'Assyrie et de Babylone. Mais passons.
2 - Les critiques voudraient que l'auteur, quel qu'il soit, de l'histoire de Tobie, eût dit comment ce pauvre homme avait gagné dix talents d'argent auprès du roi Salmanazar, dont il ne pouvait pas plus approcher qu'un esclave chrétien ne peut approcher du roi de Maroc. Dix talents d'argent ne laissent pas de faire vingt mille écus au moins, monnaie de France. C'est beaucoup assurément pour le mari d'une blanchisseuse. Il s'en va à Ragès en Médie, à quatre cents lieues de Ninive, pour prêter ses vingt mille écus au Juif Gabélus, qui était fort pauvre, et qui probablement serait hors d'état de les lui rendre ; cela est fort beau.
3 - Revenu à Ninive, il s'endort au pied d'un mur. Un homme assez riche pour prêter vingt mille écus dans Ragès, devrait au moins avoir une chambre à coucher dans Ninive.
4 - Les critiques naturalistes disent que la merde d'hirondelle ne peut rendre personne aveugle ; qu'on en est quitte pour se laver sur-le-champ ; qu'il faudrait dormir les yeux ouverts pour qu'une chiasse d'hirondelle pût blesser la conjonctive ou la cornée, et qu'enfin il aurait fallu consulter quelque bon mécecin avant d'écrire tout cela.
Pour ce qui est de Sara, que M. Basnage soutient, dans ses Antiquités judaïques, avoir été blanchisseuses et ravaudeuse, nous n'avons rien à en dire. Il n'en est pas de même de Sara fille de Raguël Juive captive en Ragès.
5 - Jamais les Juifs, jusqu'alors, n'avaient entendu parler d'aucun diable ni d'aucun démon ; ils avaient été imaginés en Perse dans la religion des Zoroastres ; de là ils passèrent dans la Chaldée, et s'établirent enfin en Grèce, où Platon donna libéralement à chaque homme son bon et son mauvais démon. Shamadaï, que l'on traduit par Asmodée, était un des principaux diables. Dom Calmet dit dans sa dissertation sur Asmodée, "qu'on sait qu'il y a plusieurs sortes de diables, les uns princes et maîtres démons, les autres subalternes et assujettis."
Tout semble servir à prouver que les Hébreux ne furent jamais qu'imitateurs, qu'ils prirent tous leurs rites les uns après les autres chez leurs voisins et chez leurs maîtres, et non-seulement leurs rites, mais tous leurs contes.
Les termes dont se sert l'auteur du livre de Tobie insinuent qu'Asmodée était amoureux et jaloux de Sara. Cette idée est conforme à l'ancienne doctrine des génies, des sylphes, des anges, des dieux de l'antiquité ; tous ont été amoureux de nos filles. Vous voyez dans la Genèse les enfants de Dieu, amoureux des filles des hommes leur faire des géants. La fable domine partout.
Nous ne répéterons point ce qu'on a dit dans ce commentaire sur les démons incubes et succubes, sur les hommes miraculeux, nés de ces copulations chimériques ; sur tous ces diables entrant dans les corps des garçons et des filles en vingt manières différentes ; sur les moyens de les faire venir et de les chasser ; enfin sur toutes les superstitions dont la fourberie s'est servie dans tous les temps pour tromper l'imbécillité.