COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 9
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COMMENTAIRE
SUR L'ESPRIT DES LOIS.
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- Partie 9 -
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COMMENTAIRE
SUR QUELQUES PRINCIPALES MAXIMES
DE L'ESPRIT DES LOIS.
XIII.
"Dans les monarchies, les lois de l'éducation auront pour objet l'honneur ; dans les républiques, la vertu ; et dans le despotisme, la crainte." (Livre IV, chapitre Ier.)
J'oserais croire que l'auteur a trop raison, du moins en certains pays. J'ai vu des enfants de valets de chambre à qui on disait : Monsieur le marquis, songez à plaire au roi. J'entendais dire que dans les sérails de Maroc et d'Alger on criait : Prends garde au grand eunuque noir ; et qu'à Venise les gouvernantes disaient aux petits garçons : Aime bien la république. Tout cela se modifie de mille manières, et chacun de ces trois dictons pourrait produire un gros livre.
XIV.
"Dans une monarchie, il faut mettre dans les vertus une certaine noblesse ; dans les mœurs, une certaine franchise ; dans les manières, une certaine politesse." (Page 33 et suiv., livre IV, chapitre II.)
De telles maximes nous paraîtraient convenables dans l'Art de se rendre agréable dans la conversation, par l'abbé de Bellegarde, ou dans les Moyens de plaire, de Moncrif (1): nos diseurs de riens auraient pu s'étendre merveilleusement sur ces trivialités, qui sont de tous les pays, et qui ne tiennent en rien aux lois.
1 - Essais sur la nécessité et les moyens de plaire, 1738. (G.A.)
XV.
"Aujourd'hui nous recevons trois éducations différentes ou contraires : celle de nos pères, celle de nos maîtres, celle du monde... Il y a un grand contraste dans les engagements de la religion et ceux du monde, chose que les anciens ne connaissaient pas." (Page 38, livre IV, chapitre IV.)
Il est aussi très vrai que les Grecs et les Romains ne purent connaître cette antipathie. On ne leur enseignait dès le berceau que des fables, des allégories, des emblèmes, qui devenaient bientôt la règle et la passion de toute leur vie. Leur valeur ne pouvait mépriser le dieu Mars. L'emblème de Vénus, des Grâces et des Amours ne pouvait choquer un jeune homme amoureux. S'il brillait au sénat, il ne pouvait mépriser Mercure, le dieu de l'éloquence. Il se voyait entouré de dieux qui protégeaient ses talents et ses désirs. Nous avons dans notre éducation un avantage bien supérieur ; nous apprenons à soumettre notre jugement et nos inclinations à des choses divines que notre faiblesse ne peut jamais comprendre.
XVI.
"Lycurgue mêlant le larcin avec l'esprit de justice, le plus dur esclavage avec l'extrême liberté, etc., donna de la stabilité à sa ville." (Page 40, livre IV, chapitre VI.)
J'oserais dire qu'il n'y a point de larcin dans une ville où l'on n'avait nulle propriété, pas même celle de sa femme. Le larcin était le châtiment de ce qu'on appelle le personnel, l'égoïsme. On voulait qu'un enfant pût dérober ce qu'un Spartiate s'appropriait ; mais il fallait que cet enfant fût adroit : s'il prenait grossièrement, il était puni ; c'est une éducation de Bohême. Au reste nous n'avons point les règlements de police de Lacédémone ; nous n'en avons d'idée que par quelques lambeaux de Plutarque, qui vivait longtemps après Lycurgue (1).
1 - L'histoire des Lacédémoniens ne commence à être un peu certaine que vers la guerre de Xerxès ; et on ne voit alors qu'un peuple intrépide, à la vérité, mais féroce et tyrannique. Il est bien vraisemblable qu'il en est des beaux siècles de Lacédémone comme des temps de la primitive Église, de celui où tous les capucins mouraient en odeur de sainteté, de l'âge d'or, etc. D'ailleurs il n'y a rien à répondre à la cruauté exercée contre les Ilotes, et qui remonte à ces beaux siècles. On peut être fort ignorant, avoir beaucoup d'esprit, être tempérant, aimer jusqu'à la fureur sa liberté ou l'agrandissement de sa république, et cependant être très méchant et très corrompu. (K.)