COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 8
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COMMENTAIRE
SUR L'ESPRIT DES LOIS.
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- Partie 8 -
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COMMENTAIRE
SUR QUELQUES PRINCIPALES MAXIMES
DE L'ESPRIT DES LOIS.
XII.
"C'est apparemment dans ce sens que des cadis ont soutenu que le grand-seigneur n'était point obligé de tenir sa parole ou son serment lorsqu'il bornait par là son autorité." (Livre III, chapitre IX.)
Il cite Ricaut en cet endroit. Mais Ricaut dit seulement :
"Il y a même de ces gens-là qui soutiennent que le grand-seigneur peut se dispenser des promesses qu'il a faites par serment, quand pour les accomplir il faut donner des bornes à son autorité."
Ricaut ne parle ici que d'une secte à morale relâchée. On dit que nous en avons eu chez nous de pareilles.
Le sultan des Turcs, et tout autre sultan, ne peut promettre qu'à ses sujets ou aux puissances voisines. Si ce sont des promesses à ses sujets, il n'y a point de serment ; si ce sont des traités de paix, il faut qu'il les observe ou qu'il fasse la guerre. L'Alcoran ne dit dans aucun endroit qu'on peut violer son serment, et il dit en cent endroits qu'il faut le garder. Il se peut que pour entreprendre une guerre injuste, comme elles le sont presque toutes, le Grand-Turc assemble un conseil de conscience ; il se peut que quelques docteurs musulmans aient imité certains autres docteurs qui ont dit qu'il ne faut garder la foi ni aux infidèles ni aux hérétiques (1). Mais il reste à savoir si cette jurisprudence est celle des Turcs.
L'auteur de l'Esprit des lois donne cette prétendue décision des cadis comme une preuve du despotisme du sultan. Il me semble que ce serait, au contraire, une preuve qu'il est soumis aux lois, puisqu'il serait obligé de consulter des docteurs pour se mettre au-dessus des lois. Nous sommes voisins des Turcs ; nous ne les connaissons pas. Le comte de Marsigli, qui a vécu si longtemps au milieu d'eux (2), dit qu'aucun auteur n'a donné une véritable connaissance ni de leur empire ni de leurs lois. Nous n'avons eu même aucune traduction tolérable de l'Alcoran avant celle que nous a donnée l'Anglais Sale en 1734. Presque tout ce qu'on a dit de leur religion et de leur jurisprudence est faux ; et les conclusions que l'on en tire tous les jours contre eux sont trop peu fondées. On ne doit, dans l'examen des lois, citer que les lois reconnues.
1 - Voyez le chapitre IXXXIX de l'Esprit sur les mœurs. (G.A.)
2 - Né en 1658, mort en 1730. Il avait été nommé commissaire de l'empereur pour la délimitation des frontières de la Dalmatie. Son ouvrage sur la Turquie est intitulé : État militaire de l'empire ottoman, ses progrès et sa décadence, 1732. (G.A.)