COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 7
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COMMENTAIRE
SUR L'ESPRIT DES LOIS.
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- Partie 7 -
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COMMENTAIRE
SUR QUELQUES PRINCIPALES MAXIMES
DE L'ESPRIT DES LOIS.
IX.
"La vertu n'est point le principe du gouvernement monarchique. Dans les monarchies, la politique fait faire les grandes choses avec le moins de vertu qu'elle peut... L'ambition dans l'oisiveté, la bassesse dans l'orgueil, le désir de s'enrichir sans travail, l'aversion pour la vérité, la flatterie, la trahison, la perfidie, l'abandon de tous ses engagements, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la vertu du prince, l'espérance de ses faiblesses, et, plus que tout cela, le ridicule perpétuel jeté sur la vertu, forment, je crois, le caractère du plus grand nombre des courtisans, marqué dans tous les lieux et dans tous les temps. Or, il est très malaisé que les principaux d'un État soient malhonnêtes gens et que les inférieurs soient gens de bien... Que si dans le peuple il se trouve quelque malheureux honnête homme, le cardinal de Richelieu, dans son Testament politique, insinue qu'un monarque doit se garder de s'en servir : tant il est vrai que la vertu n'est pas le ressort du gouvernement monarchique (1)." (Livre III, chapitre v.)
C'est une chose assez singulière que ces anciens lieux communs contre les princes et leurs courtisans soient toujours reçus d'eux avec complaisance, comme de petits chiens qui jappent et qui amusent. La première scène du cinquième acte du Pastor fido contient la plus éloquente et la plus touchante satire qu'on ait jamais faite des cours ; elle fut très accueillie par Philippe II, et par tous les princes qui virent ce chef-d'œuvre de la pastorale.
Il en est de ces déclamations comme de la satire des Femmes de Boileau : elle n'empêchait pas qu'il n'y eût des femmes très honnêtes et très respectables. De même, quelque mal que l'on dît de la cour de Louis XIV, ces invectives n'empêchèrent pas que, dans les temps de ses plus grands revers, ceux qui avaient part à sa confiance, les Beauvilliers, les Torcy, les Villars, les Villeroi, les Pontchartrain, les Chamillart, ne fussent les hommes les plus vertueux de l'Europe. Il n'y avait que son confesseur Letellier qui ne fût pas reconnu généralement pour un si honnête homme.
Quant au reproche que Montesquieu fait à Richelieu d'avoir dit "que s'il se trouve un malheureux honnête homme, il faut se garder de s'en servir," il n'est pas possible qu'un ministre qui avait du moins le sens commun ait eu l'extravagance de donner à son roi un conseil si abominable. Le faussaire (2) qui forgea ce ridicule Testament du cardinal de Richelieu a dit tout le contraire. On l'a déjà observé plus d'une fois, et il faut le répéter, car il n'est pas permis de tromper ainsi l'Europe. Voici les propres paroles du prétendu Testament, c'est au chapitre IV :
"On peut dire hardiment que de deux personnes dont le mérite est égal, celle qui est la plus aisée en ses affaires est préférable à l'autre, étant certain qu'il faut qu'un pauvre magistrat ait l'âme d'une trempe bien forte, si elle ne se laisse quelquefois amollir par la considération de ses intérêts. Aussi l'expérience nous apprend que les riches sont moins sujets à concussion que les autres, et que la pauvreté contraint un autre officier à être fort soigneux du revenu de son sac" (3).
1 - Il aurait fallu examiner si en général les sénateurs, dans une aristocratie puissante, sont plus honnêtes gens que les courtisans d'un monarque. (K.)
2 - Voyez, dans la Critique historique, la querelle de Voltaire avec Foncemagne sur l'authenticité de ce Testament, qui est bien l'œuvre de Richelieu, et non de Bourzeis. (G.A.)
3 - "Il ne faut pas se servir de gens de bas lieu ; ils sont trop austères et trop difficiles." Voilà le passage auquel Montesquieu fait allusion, et qui, selon Voltaire, ne se trouve pas dans le Testament. (G.A.)
X.
"Si le gouvernement monarchique manque d'un ressort, il en a un autre, l'honneur... La nature de l'honneur est de demander des préférences et des distinctions. Il est donc par la chose même placé dans le gouvernement monarchique." (Page 27, livre III, chapitres VI et VII.)
Il est clair par la chose même que ces préférences, ces distinctions, ces honneurs, cet honneur, étaient dans la république romaine tout autant pour le moins que dans les débris de cette république, qui forment aujourd'hui tant de royaumes. La préture, le consulat, les haches, les faisceaux, le triomphe, valaient bien des rubans de toutes couleurs et des dignités de principaux domestiques.
XI.
"Ce n'est point l'honneur qui est le principe des États despotiques. Les hommes y étant tous égaux..., et tous esclaves, on n'y peut se préférer à rien." (Page 28, livre III, chapitre VIII.)
Il me semble que c'est dans les petits pays démocratiques que les hommes sont égaux ou affectent au moins de le paraître. Je voudrais bien savoir si à Constantinople un grand-vizir, un beglier-bey, un bacha à trois queues, ne sont pas supérieurs à un homme du peuple. Je ne sais d'ailleurs quels sont les États que l'auteur appelle monarchiques, et quels sont les despotiques. J'ai bien peur qu'on ne confonde trop souvent les uns avec les autres.