COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 20
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COMMENTAIRE
SUR L'ESPRIT DES LOIS.
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- Partie 20 -
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COMMENTAIRE
SUR QUELQUES PRINCIPALES MAXIMES
DE L'ESPRIT DES LOIS.
XXXVIII.
"Un État qui en a conquis un autre... continue à le gouverner selon ses lois..., ou il lui donne un nouveau gouvernement..., ou il détruit la société et la disperse dans d'autres, ou enfin il extermine tous les citoyens. La première manière est conforme au droit des gens que nous suivons aujourd'hui ; la quatrième est plus conforme au droit des gens des Romains... Nous sommes devenus meilleurs ; il faut rendre ici hommage à nos temps modernes, etc." (Page 155, livre X., chapitre III.)
Hélas ! de quels temps modernes parlez-vous ? Le seizième siècle en est-il ? songez-vous aux douze millions d'hommes sans défense égorgés en Amérique ? Est-ce le siècle présent que vous louez ? comptez-vous parmi les usages modérés de la victoire les ordres signés Louvois, d'embraser le Palatinat, et de noyer la Hollande ?
Pour les Romains, quoiqu'ils aient été quelquefois cruels, ils ont été plus souvent généreux. Je ne connais guère que deux peuples considérables qu'ils aient exterminés, les Véiens et les Carthaginois. Leur grande maxime était de s'incorporer les autres nations, au lieu de les détruire. Ils fondèrent partout des colonies, établirent partout les arts et les lois ; ils civilisèrent les Barbares, et, donnant enfin le titre de citoyens romains aux peuples subjugués, ils firent de l'univers connu un peuple de Romains. Voyez comment le sénat traita les sujets du grand roi Persée, vaincus et faits prisonniers par Paul-Émile ; il leur rendit leurs terres, et leur remit la moitié des impôts.
Il y eut sans doute, parmi les sénateurs qui gouvernèrent les provinces, des brigands qui les rançonnèrent ; mais, si l'on vit des Verrès, on vit aussi des Cicéron, et le sénat de Rome mérita longtemps ce que dit Virgile :
Tu regere imperio populos, Romane, memento.
Æn. VI, 851.
Les Juifs mêmes, les Juifs, malgré l'horreur et le mépris qu'on avait pour eux, jouirent dans Rome de très grands privilèges, et y eurent des synagogues secrètes avant et après la ruine de leur Jérusalem.
XXXIX.
"Le conquérant qui réduit le peuple en servitude doit toujours se réserver des moyens... pour l'en faire sortir. Je ne dis point ici des choses vagues. Nos pères, qui conquirent l'empire romain, en agirent ainsi." (Page 156, livre X, chapitre III.)
Je crois qu'on peut me permettre ici une réflexion. Plus d'un écrivain qui se fait historien en compilant au hasard (je ne parle pas d'un homme comme Montesquieu), plus d'un prétendu historien, dis-je, après avoir appelé sa nation la première nation du monde, Paris la première ville du monde, le fauteuil à bras où s'assied son roi le premier trône du monde, ne fait point difficulté de dire, nous, nos aïeux, nos pères, quand il parle des Francs qui vinrent des marais delà le Rhin et la Meuse piller les Gaules et s'en emparer. L'abbé Velli dit nous. Hé, mon ami ! est-il bien sûr que tu descendes d'un Franc ? Pourquoi ne serais-tu pas d'une pauvre famille gauloise (1) ?
1 - Voltaire s'est toujours glorifié de cette origine-là. (G.A.)