COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 19
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COMMENTAIRE
SUR L'ESPRIT DES LOIS.
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- Partie 19 -
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COMMENTAIRE
SUR QUELQUES PRINCIPALES MAXIMES
DE L'ESPRIT DES LOIS.
XXXV.
"Dans les villes grecques, l'amour n'avait qu'une forme que l'on n'ose dire."
Et en note il cite Plutarque, auquel il fait dire : "Quant au vrai amour, les femmes n'y ont aucune part. Plutarque parlait comme son siècle." (Page 116, livre VII, chapitre IX.)
Il passe de la Chine à la Grèce, pour les calomnier l'une et l'autre. Plutarque, qu'il cite, dit tout le contraire de ce qu'il lui fait dire. Plutarque, dans son Traité sur l'amour, fait parler plusieurs interlocuteurs. Protogène déclame contre les femmes, mais Daphneus fait leur éloge. Plutarque, à la fin du dialogue, décide pour Daphneus ; il met l'amour céleste et l'amour conjugal au premier rang des vertus. Il cite l'histoire de Camma, et celle d'Eponine, femme de Sabinus, comme des exemples de la vertu la plus courageuse.
Toutes ces méprises de l'auteur de l'Esprit des lois font regretter qu'un livre qui pouvait être si utile n'ait pas été composé avec assez d'exactitude, et que la vérité y soit trop souvent sacrifiée à ce qu'on appelle bel esprit.
XXXVI.
"La Hollande est formée par environ cinquante républiques toutes différentes les unes des autres." (Page 146, livre IX, chapitre I.)
C'est là une grande méprise. Et pour comble il cite Janiçon (1), qui n'en dit pas un mot, et qui était trop attentif pour laisser échapper une telle bévue. Je crois voir ce qui a pu faire tomber l'ingénieux Montesquieu dans cette erreur ; c'est qu'il y a cinquante-six villes dans les sept Provinces-Unies ; et comme chaque ville a droit de voter dans sa province, pour former le suffrage aux états-généraux, il aura pris chaque ville pour une république.
1 - Ou plutôt Janisson. États des Provinces-Unies. (G.A.)
XXXVII.
"J'ai ouï plusieurs fois déplorer l'aveuglement du conseil de François Ier, qui rebuta Christophe Colomb qui lui proposait les Indes. En vérité, on fit peut-être par imprudence une chose bien sage." (Tome II, page 55, livre XXI, chapitre XXII.)
Je tombe par hasard sur cette autre méprise, plus étonnante encore que les autres. Lorsque Colombo fit ses propositions, François Ier n'était pas né. Colombo ne prétendait point aller dans l'Inde, mais trouver des terres sur le chemin de l'Inde, d'occident en orient. Montesquieu, d'ailleurs, se joint ici à la foule des censeurs qui comparèrent les rois d'Espagne, possesseurs des mines du Mexique et du Pérou, à Midas périssant de faim au milieu de son or. Mais je ne sais si Philippe II fut si à plaindre d'avoir de quoi acheter l'Europe, grâce à ce voyage de Colombo (1).
1 - Les conquêtes en Amérique et les mines du Pérou enrichirent d'abord les rois d'Espagne ; mais les mauvaises lois ont ensuite empêché l'Espagne de profiter des avantages qu'elle eût dû retirer de ses colonies. Montesquieu n'avait aucune connaissance des principes politiques relatifs à la richesse, aux manufactures, aux finances, au commerce. Ces principes n'étaient point encore découverts, ou du moins n'avaient jamais été développés ; et le caractère de son génie ne le rendait pas propre aux recherches, qui exigent une longue méditation, une analyse rigoureuse et suivie. Il lui eût été aussi impossible de faire le Traité des richesses de Smith que les Principes mathématiques de Newton. Nul homme n'a tous les talents ; ce que ne veulent jamais comprendre ni les enthousiastes ni les panégyristes. (K.)