COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 18

Publié le par loveVoltaire

COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 18

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COMMENTAIRE

 

SUR L'ESPRIT DES LOIS.

 

 

 

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- Partie 18 -

 

 

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COMMENTAIRE

 

SUR QUELQUES PRINCIPALES MAXIMES

 

DE L'ESPRIT DES LOIS.

 

 

 

 

XXXIII.

 

 

 

 

 

       "C'est un grand ressort des gouvernements modérés que les lettres de grâce. Ce pouvoir que le prince a de pardonner, exécuté (1) avec sagesse, peut avoir d'admirables effets. Le principe du gouvernement despotique, qui ne pardonne pas et à qui on ne pardonne jamais, le prive de ces avantages." (Page 103, livre VI, chapitre XVI.)

 

       Une telle décision, et celles qui sont dans ce goût, rendent, à mon avis, l'esprit des lois bien précieux. Voilà ce que n'ont ni Grotius, ni Puffendorf, ni toutes les compilations sur le droit des gens. On sait bien que despotisme est employé pour tyrannie. Car enfin, un despote ne peut-il pas donner des lettres de grâce tout aussi bien qu'un monarque ? Où est la ligne qui sépare le gouvernement monarchique et le despotique ?

 

       La monarchie commençait à être un pouvoir très mitigé, très restreint en Angleterre, quand on força le malheureux Charles Ier à ne point accorder la grâce de son favori le comte Strafford. Henri IV en France, roi à peine affermi, pouvait donner des lettres de grâce au maréchal de Biron ; et peut-être cet acte de clémence, qui a manqué à ce grand homme, eût adouci enfin l'esprit de la Ligue, et arrêté la main de Ravaillac.

 

      Le faible et cruel Louis XIII devait faire grâce à de Thou et à Marillac.

 

      On ne devrait pas parler des lois et des mœurs indiennes et japonaises, que l'on connaît si peu, quand on a tant à dire sur les nôtres, qu'on doit connaître.

 

 

 

 

1 - Il veut dire employé ; on n'exécute point un pouvoir. (Voltaire.)

 

 

 

 

 

XXXIV.

 

 

 

 

 

      "Nos missionnaires nous parlent du vaste empire de la Chine... qui mêle ensemble dans son principe la crainte, l'honneur et la vertu... J'ignore ce que c'est que cet honneur dont on parle chez des peuples à qui on ne fait rien faire qu'à coups de bâton. Il s'en faut beaucoup que nos commerçants nous donnent l'idée de cette vertu dont nous parlent nos missionnaires." (Page 142, livre VIII, chapitre XXI.)

 

      Encore une fois, j'aurais souhaité que l'auteur eût plus parlé des vertus qui nous regardent, et qu'il n'eût point été chercher des incertitudes à six mille lieues. Nous ne pouvons connaître la Chine que par les pièces authentiques, fournies sur les lieux, rassemblées par Duhalde, et qui ne sont point contredites.

 

      Les écrits moraux de Confucius, publiés six cents ans avant notre ère, lorsque presque toute notre Europe vivait de glands dans ses forêts ; les ordonnances de tant d'empereurs, qui sont des exhortations à la vertu ; des pièces de théâtre même qui l'enseignent, et dont les héros se dévouent à la mort pour sauver la vie à un orphelin (1) ; tant de chefs-d'œuvre de morale traduits en notre langue ; tout cela n'a point été fait à coups de bâton. L'auteur s'imagine ou veut faire croire qu'il n'y a dans la Chine qu'un despote, et cent cinquante millions d'esclaves qu'on gouverne comme des animaux de basse-cou. Il oublie ce grand nombre de tribunaux subordonnés les uns aux autres ; il oublie que quand l'empereur Kang-hi voulut faire obtenir aux jésuites la permission d'enseigner leur christianisme, il dressa lui-même leur requête à un tribunal.

 

      Je crois bien qu'il y a dans ce pays si singulier des préjugés ridicules, des jalousies de courtisans, des jalousies de corps, des jalousies de marchands, des jalousies d'auteurs, des cabales, des friponneries, des méchancetés de toute espèce, comme ailleurs ; mais nous ne pouvons en connaître les détails. Il est à croire que les lois des Chinois sont assez bonnes, puisqu'elles ont été toujours adoptées par leurs vainqueurs, et qu'elles ont duré si longtemps. Si Montesquieu veut nous persuader que les monarchies de l'Europe, établies par des Goths, des Gépides, et des Alains, sont fondées sur l'honneur, pourquoi veut-il ôter l'honneur à la Chine ?

 

 

 

1 - Voyez au THÉÂTRE t. III, l'Orphelin de la Chine.(G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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