COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 15

Publié le par loveVoltaire

COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 15

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

COMMENTAIRE

 

SUR L'ESPRIT DES LOIS.

 

 

 

_________

 

 

- Partie 15 -

 

 

_________

 

 

 

 

COMMENTAIRE

 

SUR QUELQUES PRINCIPALES MAXIMES

 

DE L'ESPRIT DES LOIS.

 

 

 

 

XXVIII.

 

 

 

 

 

 

 

 

"      On est étonné de la punition de cet aréopagite qui avait tué un moineau qui, poursuivi par un épervier, s'était réfugié dans son sein.

 

      On est surpris que l'aréopage ait fait mourir un enfant qui avait crevé les yeux à son oiseau. Qu'on fasse attention qu'il ne s'agit point là d'une condamnation pour crime, mais d'un jugement de mœurs dans une république fondée sur les mœurs." (Page 79, livre V, chapitre XIX.)

 

      Non, je ne suis point surpris de ces deux jugements atroces, car je n'en crois rien ; et un homme comme Montesquieu devait n'en rien croire. Quoiqu'on reproche aux Athéniens beaucoup d'inconséquences, de légèretés cruelles, de très mauvaises actions, et une plus mauvaise conduite, je ne pense point qu'ils aient eu l'absurdité aussi ridicule que barbare de tuer des hommes et des enfants pour des moineaux. C'est un jugement de mœurs, dit Montesquieu (1); quelles mœurs! Quoi donc ! n'y a-t-il pas une dureté de mœurs plus horrible à tuer votre compatriote qu'à tordre le cou à un moineau ou à lui crever l'œil ?

 

      Vous me parlez sans cesse de monarchie fondée sur l'honneur, et de république fondée sur la vertu. Je vous dis hardiment qu'il y a dans tous les gouvernements de la vertu et de l'honneur.

 

      Je vous dis que la vertu n'a eu nulle part à l'établissement ni d'Athènes, ni de Rome, ni de Saint-Marin, ni de Raguse, ni de Genève. On se met en république quand on le peut. Alors l'ambition, la vanité, l'intérêt de chaque citoyen veille sur l'intérêt, la vanité, l'ambition de son voisin ; chacun obéit volontiers aux lois pour lesquelles il a donné son suffrage ; on aime l'État dont on est seigneur pour un cent millième, si la république a cent mille bourgeois. Il n'y a là aucune vertu (2). Quand Genève secoua le joug de son comte et de son évêque, la vertu ne se mêla point de cette aventure. Si Ragus est libre, qu'elle n'en rende point grâces à la vertu, mais à vingt-cinq mille écus d'or qu'elle paie tous les ans à la Porte ottomane. Que Saint Marin remercie le pape de sa situation, de sa petitesse, de sa pauvreté. S'il est vrai que Lucrèce (chose fort douteuse) ait fait chasser les rois de Rome pour s'être tuée après s'être laissé violer, il y a de la vertu dans sa mort, c'est-à-dire du courage et de l'honneur, quoiqu'il y eût un peu de faiblesse à laisser faire le jeune Tarquin. Mais je ne vois pas que les Romains fussent plus vertueux en chassant Tarquin-le-Superbe que les Anglais ne l'ont été en renvoyant Jacques II. Je ne conçois pas même qu'un Grison, ou un bourgeois de Zug, doivent avoir plus de vertu qu'un homme domicilié à Paris ou à Madrid.

 

      Quant à la ville d'Athènes, j'ignore si Thésée le fut avant ou après qu'il eut fait le voyage de l'enfer. Je croirai, si l'on veut, que les Athéniens eurent la générosité d'abolir la royauté dès que Codrus, qui se sacrifie pour son peuple, n'avait pas quelque vertu. En vérité toutes ces questions subtiles sont trop délicates pour avoir quelque solidité. Il faut le redire ; c'est de l'esprit sur les lois.

 

 

 

 

1 - Une république fondée sur les mœurs, où l'on punit de mort arbitrairement des actions qui indiquent des disposition à la cruauté ! Ne voit-on pas plutôt dans ces jugements l'emportement d'un peuple sauvage et barbare, mais qui commence à saisir quelques idées d'humanité ? N'est-il pas encore plus vraisemblable que ce sont des contes, comme tant d'autres jugements célèbres, depuis celui de l'aréopage en faveur de Minerve, jusqu'à ceux de Sancho Pança dans son île ? (K.)

 

2 - Cela est fort juste. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Commenter cet article