COMMENTAIRE SUR L'ESPRIT DES LOIS - Partie 14
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COMMENTAIRE
SUR L'ESPRIT DES LOIS.
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- Partie 14 -
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COMMENTAIRE
SUR QUELQUES PRINCIPALES MAXIMES
DE L'ESPRIT DES LOIS.
XXVI.
"C'est un usage dans les pays despotiques, que l'on n'aborde qui que ce soit au-dessus de soi sans lui faire un présent, pas même les rois. L'empereur du Mogol ne reçoit point les requêtes de ses sujets qu'il n'en ait reçu quelque chose. Ces princes vont jusqu'à corrompre leurs propres grâces." (Page 74, livre V, chapitre XVII.)
Je crois que cette coutume était établie chez les régules lombards, ostrogoths, visigoths, bourguignons, francs. Mais comment faisaient les pauvres qui demandaient justice ? Les rois de Pologne ont continué jusqu'à nos jours à recevoir des présents certains jours de l'année. Joinville convient que saint Louis en recevait tout comme un autre. Il lui dit un jour, avec sa naïveté ordinaire, au sortir d'une longue audience particulière que le roi avait accordée à l'abbé de Cluny : "N'est-il pas vrai, sire, que les deux beaux chevaux que ce moine vous a donnés ont un peu prolongé la conversation ?"
XXVII.
"La vénalité des charges est bonne dans les États monarchiques, parce qu'elle fait faire, comme un métier de famille, ce qu'on ne voudrait pas entreprendre pour la vertu (1)." (Page 79, liv. V, chapitre XIX.)
La fonction divine de rendre justice, de disposer de la fortune et de la vie des hommes, un métier de famille ! De quelles raisons l'ingénieux auteur soutient-il une thèse si indigne de lui ? Voici comme il s'explique : "Platon ne peut souffrir cette vénalité ; c'est, dit-il, comme si dans un navire on faisait quelqu'un pilote pour son argent... Mais Platon parle d'une république fondée sur la vertu, et nous parlons d'une monarchie." (Page 79, livre V, chapitre XIX.)
Une monarchie, selon Montesquieu, n'est donc fondée que sur des vices ? Mais pourquoi la France est-elle la seule monarchie de l'univers qui soit souillée de cet opprobre de la vénalité passée en loi de l'État ? Pourquoi cet étrange abus ne fut-il introduit qu'au bout de onze cents années ? On sait assez que ce monstre naquit d'un roi alors indigent et prodigue, et de la vanité de quelques citoyens, dont les pères avaient amassé de l'argent. On a toujours attaqué cet abus par des cris impuissants, parce qu'il eût fallu rembourser les offices qu'on avait vendus. Il eût mieux valu mille fois, dit un sage jurisconsulte, vendre les trésors de tous les couvents et l'argenterie de toutes les églises que de vendre la justice. Lorsque François Ier prit la grille d'argent de Saint-Martin, il ne fit tort à personne : saint Martin ne se plaignit point ; il se passa très bien de sa grille. Mais vendre publiquement la place de juge, et faire jurer à ce juge qu'il ne l'a point achetée, c'est une sottise sacrilège qui a été l'une de nos modes (2).
1 - Est-ce par vertu que l'on accepte en Angleterre la charge de juge du banc du roi, qu'on sollicitait à Rome la place de prêteur ? Quoi ! on ne trouverait point de conseillers pour juger dans les parlements de France, si on leur donnait les charges gratuitement ? (K.)
2 - La vénalité, détruite en 1771, a été rétablie en 1774. C'est un mal auquel l'ouvrage de Montesquieu a contribué. Lorsqu'un usage funeste, soutenu par l'intérêt et le préjugé, peut encore s'appuyer de l'opinion d'un homme illustre, il reste longtemps indestructible. Quant au serment, on a cessé de l'exiger depuis que la magistrature a cessé de croire que la vénalité était un abus contre lequel elle ne devait jamais se lasser de protester. (K.)