LA BIBLE EXPLIQUÉE - Partie 58
Photo de PAPAPOUSS
LA BIBLE EXPLIQUÉE.
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ANCIEN TESTAMENT.
(Partie 58)
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JUGES.
Donc les cinq espions s'en allèrent à Laïs. Ils virent les habitants, qui étaient sans nulle crainte, en repos et en sécurité comme les Sidoniens, personne ne leur résistant, extrêmement riches, éloignés de Sidon, et séparés du reste des hommes (1).
Ils revinrent donc vers leurs frères, auxquels ils dirent : Montons vers ces gens-là ; car la terre est très riche et très grasse...Il partit donc alors de la tribu de Dan un corps de six cents hommes retroussés en armes belliqueuses... Ils passèrent en la montagne d'Ephraïm, et étant venus dans la maison de Michas... emportèrent l'image taillée, l'éphod, les idoles, et l'image jetée en fonte. Le prêtre lévite leur dit : Que faites-vous-là ? Et ils répondirent : Tais-toi ; ne vaut-il pas mieux pour toi d'être prêtre de toute une tribu d'Israël, que d'être prêtre chez un seul homme ?... Le lévite se rendit à leurs discours. Il prit l'éphod, les idoles et les images de sculpture, et il s'en alla avec eux (2)... et Michas courut après eux en criant. Ils dirent à Michas : Que veux-tu ? pourquoi cries-tu ? Michas répondit : Vous m'enlevez mes dieux que je me suis faits, et mon prêtre, et vous me demandez pourquoi je crie !...
Les enfants de la tribu de Dan lui dirent : Prends garde, ne parle pas si haut, de peur qu'il ne vienne à toi des gens peu endurants, qui pourraient te faire périr, toi et ta maison...
Ils continuèrent donc leur chemin les six cents hommes et le prêtre, et ils vinrent dans la ville de Laïs, chez ce peuple tranquille qui ne se défiait de rien : ils firent périr par la bouche du glaive tous les habitants, et brûlèrent la ville (3).
Ils s'approprièrent donc les idoles de sculpture, et ils établirent pour prêtre Jonathan, fils de Gersom, fils de Moïse (4), pour être leur prêtre, lui et ses enfants, dans la tribu de Dan jusqu'au jour où elle fut captive ; et l'idole de Michas demeura parmi eux tout le temps que la maison de Dieu fut à Silo (5).
1 - Il est assez difficile de comprendre comment la horde hébraïque, dispersée et esclave dans ces pays, osait envoyer des espions à Laïs, qui était une ville appartenante aux Sidoniens. Mais enfin la chose est possible. Les esclaves des Romains firent de bien plus grandes entreprises sous leur chef et compagnon Spartacus. Les mainmortables d'Allemagne, de France et d'Angleterre, prirent plus d'une fois les armes contre ceux qui les avaient asservis. La guerre des paysans d'Allemagne, et surtout de Munster, est mémorable dans l'histoire. C'est là, dit Fréret, le dénouement de toutes les difficultés de l'histoire juive. Les Hébreux errèrent très longtemps dans la Palestine. Ils furent manœuvres, régisseurs, fermiers, courtiers, possesseurs de terres mainmortables, brigands, tantôt occupant des défilés de montagnes ; et enfin cette vie dure leur ayant donné un tempérament plus robuste qu'à leurs voisins, ils acquirent en propre, par la révolte et par le carnage, le pays où ils n'avaient été d'abord reçus que comme les Savoyards qui vont en France, et comme les Limousins et les Auvergnats qui vont faire les moissons en Espagne. Cette explication du docte Fréret serait très plausible, si elle n'état pas contraire aux livres saints. L'Écriture n'est pas un ouvrage qui puisse être soumis à la raison humaine.
2 - Il n'est donc point absolument contre la vraisemblance que six cents hommes des hordes hébraïques aient passé en pleine paix par les défilés continuels des montagnes de la Palestine, pour aller faire un coup de main sur les frontières des Sidoniens, et piller la petite ville de Laïs. Chemin faisant ils trouvent le prêtre de la famille Michas : ce prêtre se disait devin, et telles sont les contradictions de l'esprit humain, que presque tous les voleurs sont superstitieux. Les bandits qui ravageaient l'Italie dans les derniers siècles ne manquèrent jamais de faire dire des messes pour le succès de leurs entreprises. Les Corses, en dernier lieu, se confessaient avant d'aller assassiner leur prochain, et ils avaient toujours un prêtre à leur tête dans leurs brigandages.
Les six cents voleurs juifs prirent donc le lévite de Michas et ses ornements sacrés. Michas court après ses dieux, comme Laban après les siens lorsque sa fille Rachel les lui vola. Nous avons observé qu'Enée, en fuyant de Troie vers le temps où le livre de Michas fut écrit, ne manqua pas d'emporter ses petits dieux avec lui. Il y a de très grandes ressemblances dans toute l'histoire ancienne.
L'auteur sacré n'approuve ni Michas, ni son lévite, ni la tribu de Dan.
3 - Il est étrange, dit l'abbé de Tilladet, que la horde juive, dès qu'elle prend une ville ou un village, mette tout à feu et à sang, massacre tous les hommes, toutes les femmes mariées, tous les bestiaux, et brûle tout ce qui pouvait leur servir dans un pays dont ils étaient sûrs d'être un jour les maîtres, puisque Dieu le leur avait promis par serment. Il y a non-seulement une barbarie abominable à tout égorger, mais une folie incompréhensible à se priver d'un butin dont ils avaient un besoin extrême.
Nous répondrons à l'objection pressante de M. l'abbé de Tilladet, que sans doute les Juifs ne brûlaient que ce qu'ils ne pouvaient pas emporter, comme maisons et meubles qui n'étaient pas à leur usage, mais qu'ils emmenaient avec eux les filles, les vaches, les moutons et les chèvres, avec quoi ils se retiraient dans les cavernes profondes qui sont si communes dans ces montagne, et qui peuvent tenir jusqu'à quatre à cinq mille hommes. S'ils égorgèrent jusqu'aux filles dans Jéricho, c'était par un ordre exprès du Seigneur, qui voulait punir Jéricho.
4 - Voltaire suit ici la Vulgate. Le texte hébreu dit fils de Mahassé. (G.A.)
5 - Il faut toujours un prêtre à ces voleurs. Mais ce que M. l'abbé de Tilladet ne peut croire, c'est qu'un petit-fils de Mosé fût, lui-même grand-prêtre des idoles dans une caverne de scélérats. Cela seul, dit-il, serait capable de lui faire rejeter du canon ce livre de Michas. Cela montre, dit Fréret, la décadence trop ordinaire dans les grandes familles. Le fils du roi Persée fut greffier dans la ville d'Albe, et nous avons vu les descendants des plus grandes maisons demander l'aumône.
Le texte dit que l'idole de Michas demeura dans la tribu de Dan jusqu'à la captivité, pendant que la maison de Dieu était à Silo. Silo était un petit village, qui appartint depuis à la tribu d'Ephraïm. La maison de Dieu, dont il est parlé ici, est le coffre, ou l'arche, le tabernacle du Seigneur. Il faut donc que les Hébreux, esclaves alors, eussent obtenu des maîtres du pays la permission de mettre leur arche dans un de leurs villages. Cette permission même, dit M. Fréret, serait le comble de leur avilissement. Des gens pour qui Dieu aurait ouvert la mer Rouge et le Jourdain, et arrêté le soleil et la lune en plein midi, pouvaient-ils ne pas posséder une superbe ville en propre, dans laquelle ils auraient bâti un temple pour leur arche ?
On répond que ce temple fut en effet bâti plusieurs années après dans Jérusalem, et qu'un siècle de plus ou de moins n'est rien dans les conseils de la Providence.
Il est difficile d'entendre le sens de l'auteur sacré, quand il dit que l'idole de Michas resta dans la tribu de Dan jusqu'au temps de la captivité. Plusieurs commentateurs croient que l'aventure de Michas arriva immédiatement après Josué.
Or Josué mourut, selon le comput hébraïque, l'an du monde 2561, et la grande captivité fut achevée par le roi Salmanazar, en l'an 3283. Les idoles de Michas et leur service seraient donc dans la tribu de Dan sept cent vingt-deux ans. Cette histoire, comme on voit, n'est pas sans de grandes difficultés, et la seule soumission aux décisions de l'Église peut les résoudre.
Ce qu'on peut recueillir de ces histoires détachées, qui semblent toutes se contredire, c'est que le culte hébraïque ne fut jamais uniforme ni fixe jusqu'au temps d'Estras. (Voltaire.) - Munk place l'histoire de Michas et celle du Lévite à l'époque qui suivit la mort de Josué. (G.A.)