LA BIBLE EXPLIQUÉE - Partie 50
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LA BIBLE EXPLIQUÉE.
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ANCIEN TESTAMENT.
(Partie 50)
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JUGES.
(1)
' (Chapitre I., v. 1.) Après la mort de Josué, les enfants d'Israël consultèrent le Seigneur, disant : Qui montera avec nous contre les Cananéens, et sera chef de guerre ?Le Seigneur dit : Ce sera Juda qui montera ; car je lui ai donné cette terre. Juda monta donc, et Dieu lui livra le Cananéen au nombre de dix mille hommes (2).
Puis Juda et Siméon son frère rencontrèrent le roi Adonibézec dans Bézec ; ils le prirent et lui coupèrent les mains et les pieds. Alors Adonibézec dit : J'ai fait couper les mains et les pieds à soixante et dix rois qui mangeaient sous ma table les restes de mon dîner ; Dieu m'a traité comme j'ai traité tous ces rois (3).
Dieu était avec Juda, et il se rendit maître des montagnes ; mais il ne put vaincre les habitants des vallées (chapitre I., v. 19), parce qu'ils avaient des chariots de guerre armés de faulx(4).
(Chapitre III, v. 5.) Les enfants d'Israël habitèrent donc au milieu des Cananéens, des Ethéens, des Amorrhéens, des Phéréséens, des Hévéens, et des Jébuséens. Ils épousèrent leurs filles, et firent le mal aux yeux du Seigneur, et ils adorèrent Baal et Astaroth (5).
Le Seigneur étant donc en colère contre Israël, les livra entre les mains de Chuzan Razarthaïm, roi de Mésopotamie, dont ils furent esclaves pendant huit ans. (6).
1 - Ce livre, où presque tout est fabuleux, fut écrit au commencement du règne de David, c'est-à-dire quinze cents ans avant J.-C. On voulait, grâce aux mensonges dont ce recueil est plein, dégoûter le peuple de la république, afin d'asseoir la royauté nouvelle. (G.A.)
2 - Le lecteur peut s'étonner, après avoir vu Josué à la tête de six cent mille combattants, mettre à feu et à sang tout le pays de Canaan, de voir encore ces mêmes vainqueurs obligés de combattre contre ces mêmes vaincus. La réponse est que quelques-uns avaient échappé, puisqu'en voilà déjà dix mille que Dieu donne à tuer à Juda. On dispute si c'est à un capitaine nommé Juda, ou à la tribu de ce nom : mais, capitaine ou tribu, c'est une victoire de surérogation.
3 - Le lecteur croirait encore peut-être qu'il suffisait de trente et un rois pendus, mais en voilà encore soixante et dix non moins maltraités dans un pays de sept à huit lieues : car il paraît, par les autres endroits du texte, que le peuple juif n'en possédait pas alors davantage. On demande comment le roi Adonibézec, dont on ignore le royaume, pouvait avoir sous sa table soixante et dix rois qui mangeaient sans mains. De plus, il fallait que cette table eût au moins six-vingts pieds de long. Enfin les critiques trouvent ici cent et un rois dans un pays un peu serré. Chaque roi ne pouvait avoir un royaume d'un demi-quart de lieue. Ce sont des critiques frivoles, et des détails qui ne touchent point au fond des choses, toujours très respectable.
4 - Les savants critiques ont élevé une grande dispute sur ce fameux passage. La plupart ont assuré qu'il est impossible de faire manœuvrer des chariots de guerre dans ce pays, tout couvert de montagnes et de cailloux.
Secondement, ils disent que le pays ne nourrissait point de chevaux, et ils en apportèrent pour preuve tous les endroits de l'Écriture où il est raconté que la plus grande magnificence était de monter sur de beaux ânes. Et jusqu'au temps des Rois on voit que Saül courait après les ânesses de son père quand il fut couronné.
Troisièmement, il n'est point dit que ces peuples, cachés dans leurs montagnes et dans leurs cavernes, eussent jamais fait la guerre à personne avant que les Israélites vinssent mettre tout leur pays à feu et à sang ; par conséquent ils ne pouvaient avoir des chariots de fer armés en guerre. Ces chariots ne furent inventés que dans les grandes plaines qui sont vers l'Euphrate. Ce sont les Babyloniens et les Persans qui mirent cette invention en pratique deux ou trois siècles après Josué.
Quatrièmement, on reproche à l'auteur sacré d'avoir laissé entendre que le Seigneur pouvait beaucoup sur les montagnes, mais qu'il ne pouvait rien dans les vallées, et que les Juifs ne regardaient leur dieu que comme un dieu local, comme le dieu d'un certain district, n'ayant aucun crédit sur celui des autres; semblable en cela à la plupart des dieux des autres nations. Mais le Dieu du ciel et de la terre s'était choisi, selon tous les interprètes, un peuple particulier, et un lieu particulier pour y exercer justice et miséricorde.
5 - Les critiques ne comprennent pas comment, tous les Cananéens ayant été exterminés par une armée de six cent mille Israélites, et tout ayant été passé au fil de l'épée sans miséricorde, les Hébreux cependant épousèrent leurs filles, et donnèrent les leurs aux enfants de ces peuples. M. Fréret soutient que le texte est corrompu. Cette contradiction, dit-il, est trop forte. On fait dire dans le livre des Juges tout le contraire de ce qu'on dit dans le livre de Josué. Le livre des Juges se contredit lui-même ; il est énoncé "que les Jébuséens demeurèrent dans Jérusalem avec les enfants de Benjamin, comme ils y sont encore aujourd'hui." Et il est dit dans José, "que les enfants de Juda ne purent exterminer les habitants de Jérusalem, et que le Jébuséen y habita avec les enfants de Juda jusqu'à aujourd'hui." C'est sur quoi M. l'abbé de Tilladet, et surtout M. l'abbé de Longuerue, avaient proposé de remettre dans leur ordre tous les passages de l'Écriture qui semblent se contredire, et principalement les premiers chapitres des Juges et les derniers chapitres de Josué. Mais il n'y avait que l'Église seule, assemblée en concile, qui pût entreprendre un ouvrage si hardi et si pénible. Il eût fallu confronter tous les exemplaires des Bibles, toutes les différentes fautes des copistes, toutes les différentes leçons. Il a paru plus prudent de laisser l'ivraie avec le bon grain, que de s'exposer à perdre l'un et l'autre à la fois. Il ne reste aux fidèles qu'à se défier de ce qui est intelligible, et à ne point chercher l'explication de ce qui est trop obscur. Le médecin Astruc lui-même y a échoué.
6 - Woolston ose déclarer nettement que l'histoire des Juges est fausse, ou que celle de Josué l'est d'un bout à l'autre. Il n'est pas possible, dit-il, que les Juifs aient été esclaves immédiatement après avoir détruit tous les habitants du Canaan avec une armée de six cent mille hommes. Quel est ce Chuzan Razarthaïm, roi de Mésopotamie, qui vient tout d'un coup mettre à la chaîne tous les enfants d'Israël ? Comment est-il venu de si loin, sans qu'on dise rien de sa marche ? Le texte dit bien, à la vérité, que c'est un châtiment du Seigneur pour avoir donné leurs filles en mariage aux Cananéens, et pour en avoir reçu des filles : mais il est trop aisé de dire que lorsqu'on a été vaincu, c'est parce qu'on a péché, et que quand on a été vainqueur, c'est parce qu'on a été fidèle. Il n'y a aucune nation ni aucune bourgade de sauvages qui n'en puisse dire autant. Il sera toujours impossible de comprendre comment six cent mille hommes peuvent avoir été réduits en servitude dans le même pays qu'ils venaient de conquérir : de même qu'il est impossible qu'ils aient exterminé tous les anciens habitants, et qu'ensuite ils se soient alliés avec eux. Cette foule de contradiction n'est pas soutenable. Il est dit qu'au bout de huit ans d'esclavage ils chassèrent et tuèrent ce Chuzan Razarthaïm, roi de Syrie et de Mésopotamie ; mais on ne nous instruit point d'une guerre qui dut être considérable, et le lecteur reste dans l'incertitude.
Nous avons avoué, dans toutes nos remarques, que le texte de l'Écriture est très difficile à entendre. Il peut y avoir des transpositions de copistes ; et une seule suffit quelquefois pour répandre de l'obscurité dans toute l'histoire. Nous redisons que le mieux est de s'en rapporter aux interprètes approuvés par l'Église.