LA BIBLE EXPLIQUÉE - Partie 38
Photo de PAPAPOUSS
LA BIBLE EXPLIQUÉE.
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ANCIEN TESTAMENT.
(Partie 38)
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NOMBRE.
Baalam s'étant levé au matin, sella son ânesse, et se mit en chemin avec eux (1)(1). Mais Dieu entra en colère contre lui, et l'ange du Seigneur se mit dans le chemin vis-à-vis Balaam, qui était sur son ânesse.
L'ânesse voyant l'ange qui avait un glaive à la main, se détourna du chemin ; et comme Balaam la frappait et la voulait faire retourner, l'ange se mit dans un chemin étroit entre deux murailles qui entouraient des vignes ; et l'ânesse, voyant l'ange, se serra contre le mur et froissa le pied de son cavalier, qui continuait à la battre. L'ange se mit dans ce lieu étroit, où l'ânesse ne pouvait tourner ni à droite ni à gauche. L'ânesse s'abattit sous Balaam ; et Balaam en colère la frappa encore plus fort avec un bâton. Le Seigneur ouvrit la bouche de l'ânesse, et elle dit à Balaam : Que t'ai-je fait ? Pourquoi m'as-tu frappée trois fois ? Balaam lui répondit : C'est parce que tu l's mérité, et que tu t'es moquée de moi : que n'ai-je une épée pour t'en frapper !
L'ânesse lui dit : Ne suis-je pas ta bête que tu as coutume de monter jusqu'à aujourd'hui ; dis-moi si je t'ai jamais rien fait. Jamais, dit Balaam.
Aussitôt Dieu ouvrit les yeux à Balaam, et il vit l'ange qui avait tiré son sabre, et l'adora, se prosternant en terre. L'ange lui dit : Pourquoi as-tu battu trois fois ton ânesse ? Je suis venu à toi, parce que ta voix est perverse et contraire à moi ; et si ton ânesse ne s'était pas détournée de la voie, je t'aurais tué, et j'aurais laissé la vie à ton ânesse...
Or, Balac alla au-devant de Balaam dans une ville des Moabites, sur les confins de l'Arnon. Ils allèrent donc ensemble jusqu'à l'extrémité de sa terre ; et Balac ayant fait tuer des bœufs et des brebis, envoya des présents à Balaam et aux princes qui étaient avec lui.
Et Balaam (chapitre XXIII, v.1) dit à Balac : Fais moi dresser sept autels, et prépare sept veaux et sept moutons. Et Balac et Balaam mirent ensemble sur l'autel un veau et un bélier, et Balaam s'en alla promptement. Dieu alla au-devant de lui ; et Balaam lui dit : J'ai dressé sept autels, et j'ai mis un veau et un bélier sur chacun. Alors le Seigneur lui dit : Retourne à Balac, et dis-lui ces choses. Balaam étant retourné, trouva Balac debout près de son holocauste (2), et tous les princes des Moaniyd ; et s'échauffant dans sa parabole, il dit: Balac roi des Moabites m'a appelé des montagnes d'Orient : Viens au plus vite, m'a-t-il dit, maudis Jacob et déteste Israël. Comment détesterais-je celui que Dieu ne déteste pas ?... Qui pourra nombrer la poussière de Jacob, et le nombre de la quatrième partie d'Israël ? Il n'y a point d'iniquité dans Jacob, ni de travail dans Israël. Sa force est semblable à celle du rhinocéros... (chapitre XXIV, v. 10). Balac, en colère contre Balaam, et frappant des mains, lui dit : Je t'ai fait venir pour maudire mes ennemis, et tu les as bénis ; retourne en ton pays ; j'avais résolu de te donner un honoraire magnifique, et le Seigneur t'en a privé (3).
Balaam répondit à Balac (chapitre XXIV, v.12) : N'ai-je pas dit à tes députés : Quand Balac me donnerait sa maison pleine d'or, je ne pourrais pas passer les ordres du Seigneur mon Dieu ?
Voici donc ce que dit l'homme dont l'œil est ouvert, celui qui entend tes discours de Dieu a dit : Celui qui connaît la doctrine du très haut et la vision du puissant, qui, en tombant, a les yeux ouverts ; je le verrai, mais pas sitôt , je le regarderai, mais non pas de près. Une étoile sortira de Jacob, et une verge s'élèvera d'Israël, et elle frappera les chefs de Moab , et elle ruinera tous les enfants de Seth (4).
1 - Les interprètes ne sont pas d'accord entre eux sur ce prophète Balaam : les uns veulent que ce fût un idolâtre de la Chaldée ; les autres prétendent qu'il était de la religion des Hébreux. Le texte favorise puissamment cette dernière opinion, puisque Balaam, en parlant du Dieu des Juifs, dit toujours, le Seigneur mon Dieu, et qu'il ne prophétise rien que Dieu n'ait mis dans sa bouche. Il est étonnant, à la vérité, qu'il y euût un prophète de Dieu chez les Chaldéens. Abraham, né de parents idolâtres en Chaldée, fut le plus grand serviteur de Dieu. Il est dit que Dieu lui-même vint parler à Balaam pendant la nuit, et lui ordonna d'aller avec les députés du roi Balac. Cependant Dieu se met en colère contre lui sur le chemin, et l'ange du Seigneur tire son épée contre l'ânesse qui portait le prophète. Le texte ne dit pas pourquoi Dieu était en colère, et pourquoi l'ange vint à l'ânesse l'épée nue ; ce n'est pas un des endroits de l'Écriture sainte les plus aisés à expliquer. Balaam semble ne frapper son ânesse que parce qu'elle se détourne du chemin qu'il prenait pour obéir au Seigneur.
Ce qui se passe pour le plus merveilleux, c'est le colloque du prophète et de l'ânesse ; mais il est certain que dans ces temps-là c'était une opinion généralement reçue; que les bêtes avaient de l'intelligence et qu'elles parlaient. Le serpent avait déjà parlé dans le jardin d'Eden, et Dieu même avait parlé au serpent. Dom Calmet dit, sur cet article, ces propres mots : "Si le démon a pu autrefois faire parler des animaux, des arbres, des fleuves, pourquoi le Seigneur ne pouvait-il pas faire la même chose ? Cela est-il plus difficile que de voir l'âne de Bacchus qui lui parle ? Le bélier de Phryxus, le cheval d'Achille, un agneau en Égypte sous le règne de Bocchoris, l'éléphant du roi Porus, des bœufs en Sicile et en Italie, n'ont-ils pas autrefois parlé, si on en croit les historiens ? Les arbres mêmes ont proféré des paroles, comme le chêne de Dodone, qui rendait, dit-on, des oracles, et l'orme qui salua Apollonius de Tyane. On dit même que le fleuve Caucase salua Pythagore. Nous ne voudrions pas garantir tous ces événements ; mais qui oserait les rejeter tous, lorsqu'ils sont rapportés dans un très grand nombre d'historiens, très graves et très judicieux ?"
La remarque de dom Calmet est très singulière. Mais on ne sait ce que c'est que ce fleuve Caucase qui salua Pythagore. On ne connaît que le mont Caucase, et point de rivière de ce nom,. Stanley, qui a recueilli tout ce que les historiens et les philosophes ont dit de Pythagore, ne parle point d'une rivière appelée Caucase, et nul géographe n'a cité cette rivière. Mais Diogène de Laerce, Jamblique et Elien disent que ce fut la rivière Causan, qui salua Pythagore à haute et intelligible voix. Porphyre et Jambique disent que Pythagore ayant vu auprès de Tarente un bœuf qui mangeait des fèves, il l'exorta à s'abstenir de cette nourriture. Le bœuf répondit qu'il ne pouvait manger d'herbe. Mais enfin Pythagore le persuada, et il retrouva son bœuf plusieurs années après dans le temple de Junon, qui mangeait tout ce qu'on lui présentait, excepté des fèves. Il eut aussi un entretien avec un aigle qui volait sur sa tête aux jeux olympiques ; mais on ne nous a pas rendu compte de cette conversation.
Au reste, il est visible que Dieu préféra l'ânesse à Balaam, puisqu'il dit qu'il aurait tué le prophète et laissé l'ânesse en vie.
2 - Remarquez que Dieu ne prend soin d'instruire et de conduire aucun prophète dans l'Ancien Testament avec plus d'empressement qu'il n'en montre envers Balaam. On croirait que toutes les nations avaient alors la même religion, si le contraire n'était pas dit dans plusieurs autres passages.
Il faut encore observer que les bénédictions et les malédictions étaient regardées partout comme des oracles, comme des arrêts de la destinée auxquels on ne pouvait échapper. Le sort de tout un peuple était attaché à des paroles, et quand ces paroles étaient dites, on ne pouvait plus se rétracter. Vous avez vu que quand Jacob surprit la bénédiction eut son effet au moins pour quelque temps.
Ici Dieu même prend soin de diriger toutes les bénédictions, toutes les prophéties de Balaam, comme si un mot de mauvais augure devait empêcher l'effet de la conjuration et en détruire le charme. Ces idées prévalurent longtemps chez les Orientaux.
3 - Non-seulement tous ces passages indiquent que le prophète Balaam était le prophète du Dieu des Hébreux, et inspira par lui seul, mais le roi ou chef Balac déclare positivement que c'est ce même Dieu qui prive Balaam de la récompense.
Dieu inspira tellement ce Balaam, que lui qui ne pouvait connaître ni le nom de Jacob, ni celui d'Israël sans révélation, lui qui demeurait au delà de l'Euphrate, à cent cinquante ou deux cents lieues, prononce ces noms avec enthousiasme, et dit que Jacob est fort comme un rhinocéros. Calmet, dans ses remarques, prouve par plusieurs passages qu'il y a des rhinocéros ; la chose n'a jamais été douteuse, et le rhinocéros qu'on nous a montré depuis peu en Hollande et en France en est une preuve assez convaincante.
4 - Cette étoile de Jacob, jointe avec cette verge, fait voir que Balaam était supposé né dans la Chaldée, où l'on crut, et où l'on croit encore, que chaque nation est sous la protection d'une étoile : ainsi l'étoile de Jacob devait l'emporter sur l'étoile de Moth, et la verge d'Israël devait vraincre les autres verges, comme la verge de Mosé vainquit la verge de Jannès et de Mambrès, magiciens du pharaon d'Égypte. On n'entend point le sens de ces paroles : "Elle ruinera tous les enfants de Seth." Ces enfants étaient les Juifs eux-mêmes. Tout cela fait soupçonner à plusieurs savants que l'histoire de Balaam, insérée dans le Pentateuque, n'a été écrite que très tard, et après les conquêtes d'Alexandre. Ce qui semble favoriser un peu cette opinion hasardée, c'est que l'auteur parle de Kithim, qu'on prétend être la Grèce, et qu'Alexandre avait une flotte dans sa guerre contre le roi Darah, que nous appelons Darius.