LA BIBLE EXPLIQUÉE - Partie 15
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LA BIBLE EXPLIQUÉE.
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ANCIEN TESTAMENT.
(Partie 15)
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Les Ismaélites ou Madianites vendirent Joseph en Égypte, à Putiphar, eunuque de Pharaon, et maître de la milice (1).
En ce temps-là Juda alla en Canaan, et ayant vu la fille d'un Canaéen nommée Sue, il la prit pour sa femme et entra dans elle, et en eut un fils nommé Her, et un autre fils nommé Ouan, et un troisième appelé Séla (2).
Or, Juda donna pour femme à son fils Her une fille nommée Thamar.
Or son premier né Her étant méchant devant le Seigneur, Dieu le tua. Juda dit donc à Onan son second fils : Prends pour femme la veuve de ton frère, entre dans elle, et suscite la semence de ton frère. Mais Onan sachant que les enfants qu'il ferait ne seraient point à lui, mais seraient réputés être les enfants de feu son frère, en entrant dans sa femme, répandit sa semence par terre ; c'est pourquoi le Seigneur le tua aussi.
C'est pourquoi Juda dit à Thamar sa bru : Va-t-en, reste veuve dans la maison de ton père, jusqu'à ce que mon troisième fils Séla soit en âge ; elle s'en alla donc, et habita chez son père.
Or, Juda étant allé voir tondre ses brebis, Thamar prit un voile, et s'assit sur un chemin fourchu ; et Juda l'ayant aperçue, crut que c'était une fille de joie ; car elle avait caché son visage ; et s'approchant d'elle, il lui dit : Il faut que je couche avec toi. Car il ne savait pas que c'était sa bru, et elle lui dit : Que me donneras-tu pour coucher avec moi ? Je t'enverrai, dit-il, un chevreau de mon troupeau. Elle répliqua : Je ferai ce que tu voudras ; mais donne-moi des gages. Que demandes-tu pour gages ? dit Juda. Thamar répliqua : Donne-moi ton anneau, ton bracelet, et ton bâton. Il n'y eut que ce coït entre Juda et Thamar ; elle fut engrossée sur-le-champ ; et ayant quitté son habit, elle reprit son habit de veuve.
Juda envoya par son valet le chevreau promis pour reprendre ses gages. Le valet, ne trouvant point la femme, demanda aux habitants du lieu : Où est cette fille de joie qui était assise sur le chemin fourchu ? Ils répondirent tous : Il n'y a point eu de fille de joie en ce lieu. Juda dit : Eh bien ! qu'elle garde mes gages ; elle ne pourra pas au moins m'accuser de n'avoir pas voulu la payer.
Or trois mois après on vint dire à Juda : Ta bru a forniqué ; car son ventre commence à s'enfler. Juda dit : Qu'on l'aille chercher au plus vite, et qu'on la brûle. Comme on la conduisait au supplice, elle renvoya à Juda son anneau, son bracelet, et son bâton ; disant : Celui à qui cela appartient m'a engrossée. Juda, ayant reconnu ses gages, dit : Elle est plus juste que moi.
Cependant Joseph fut conduit en Égypte, et Putiphar l'Égyptien, eunuque de Pharaon et prince de l'armée, l'acheta des Ismaélites ; et après plusieurs jours, la femme de Putiphar ayant regardé Joseph, lui dit : Couche avec moi. Lequel ne consentant point à cette action mauvaise, lui dit : Voilà que mon maître m'a confié tout son bien, en sorte qu'il ne sait pas ce qu'il a dans sa maison ; il m'a rendu le maître de tout, excepté de toi, qui es sa femme. Cette femme sollicitait tous les jours ce jeune homme, et il refusait de commettre l'adultère. Il arriva un certain jour que Joseph étant dans la maison, et faisant quelque chose sans témoin, elle le prit par son manteau, et lui dit : Couche avec moi. Joseph, lui laissant son manteau, s'enfuit dehors. La femme voyant ce manteau dans ses mains, et qu'elle était méprisée, montra ce manteau à son mari, comme une preuve de sa fidélité, et lui dit : Cet esclave hébreu que tu as amené est entré en moi pour se moquer de moi, et m'ayant entendue crier, il m'a laissé son manteau que je tenais, et s'en est enfui (3).
1 - Les enfants de Jacob mettent le comble à leur crime en désolant leur père par la vue de cette tunique ensanglantée, Jacob s'écrie dans sa douleur : J'en mourrai, je descendrai en enfer avec mon fils. Le mot Shéol, qui signifie la fosse, le souterrain, la sépulture, a été traduit dans la Vulgate par le mot d'enfer. Infernum, qui veut dire proprement le tombeau, et non pas le lieu appelé par les Égyptiens et par les Grecs, Tartare, Ténare, Adès, séjour du Styx et de l'Achéron, lieu où vont les âmes après leur mort, royaume de Pluton et de Proserpime, caverne des damnés, Champs-Élysées, etc... Il est indubitable que les Juifs n'avaient aucune idée d'un pareil enfer, et qu'il n'y a pas un seul mot dans tout le Pentateuque qui ait le moindre rapport ou avec l'enfer des anciens, ou avec le nôtre, ou avec l'immortalité de l'âme, ou avec les peines et les récompenses après la mort. Ceux qui ont voulu tirer de ce mot Shéol, traduit par le mot Infernum, une induction que notre enfer était connu de l'auteur du Pentateuque, ont eu une intention très louable et que nous révérons ; mais c'est au fond une ignorance très grossière ; et nous ne devons chercher que la vérité. - Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l'article ENFER, et notre note sur le mot Shéol. (G.A.)
Le cilice dont se revêt Jacob, après avoir déchiré ses vêtements, a fourni de nouvelles armes aux critiques, qui veulent que le Pentateuque n'ait été écrit que dans des siècles très postérieurs. Le cilice était une étoffe de Cilici ; et la Cilicie n'était pas connue des Hébreux avant Esdras. Il y avait deux sortes d'étoffes nommées cilices ; l'une très fine et très belle, tissu de poil d'antilope ou de chèvre sauvage, appelée mo dans l'asie-Mineure, d'où nous vient la véritable moire, à laquelle nous avons substitué une étoffe avec du poil de chèvre commune, et qui servit aux paysans et aux moines. Les critiques disent qu'aucune de ces étoffes n'étant connue des premiers Juifs, c'est une nouvelle preuve évidente que le Pentateuque n'était ni de Moïse ni d'aucun auteur de ces temps-là. Nous répondons toujours que l'auteur sacré parle par anticipation, et qu'aucune critique, quelque vraisemblable qu'elle puisse être, ne doit ébranler notre foi.
Il leur paraît encore improbable que les rois d'Égypte eussent déjà des eunuques. Ce raffinement affreux de volupté et de jalousie est, à la vérité, fort ancien ; mais il suppose de grands royaumes très peuplés et très riches. Il est difficile de concilier cette grande population de l'Égypte du temps de Jacob avec le petit nombre du peuple de Dieu qui ne consistait qu'en quatorze mâles. On a déjà répondu à cette question par le petit nombre des élus.
2 - Le seigneur a beau défendre à ses patriarches de prendre des filles cananéennes, ils en prennent souvent. Juda, après la mort de son fils aîné Her, donne la veuve à son second fils Onan, afin qu'Onan lui fasse des enfants qui hériteront du mort. Cette coutume n'était point encore établie dans la race d'Abraham et d'Isaac ; et l'auteur sacré parle par anticipation comme nous l'avons déjà remarqué plusieurs fois.
Les commentateurs prétendent que cette Thamar fut bien maltraitée par ses deux maris ; que Her, le premier, la traitait en sodomite, et que le second ne voulait jamais consommer l'acte du mariage dans le vase convenable, mais répandait sa semence à terre. Le texte ne dit pas positivement que Her traitait sa femme à la manière des sodomites ;mais il se sert de la même expression qui est employée pour désigner le crime de Sodome. A l'égard du péché d'Onan, il est expressément énoncé.
C'est une chose bien singulière que Thamar, ayant été si fort maltraitée par les deux enfants de Juda, veuille ensuite coucher avec le père, sous prétexte qu'il ne lui a point donné son troisième fils Séla, qui n"était pas encore en âge. Elle prend un voile pour se déguiser en fille de joie. Mais, au contraire, le voile était et fut toujours le vêtement des honnêtes femmes. Il est vrai que dans les grandes villes , où la débauche est fort connue, les filles de joie vont attendre les passants dans les petites rues, comme à Londres, à Paris, à Rome, à Venise. Mais il n'est pas vraisemblable que le rendez-vous des filles de joies, dans le misérable pays de Canaan, fût à la campagne dans un chemin fourchu.
Il est bien étrange qu'un patriarche couche en plein jour avec une fille de joie sur le grand chemin, et s'expose à être pris sur le fait par tous les passants.
Le comble de l'impossibilité est que Juda, étranger dans Canaan, et n'ayant pas la moindre possession, ordonne qu'on brûle sa belle-fille dès qu'il sait qu'elle est grosse ; et que sur-le-champ on prépare un bûcher pour la brûler, comme s'il était le juge et le maître du pays.
Cette histoire a quelque rapport à celle de Thyeste, qui rencontrant sa fille Pélopée, coucha avec elle sans la connaître. Les critiques disent que les Juifs écrivirent trop tard, et qu'ils copièrent beaucoup d'histoires grecques qui avaient courus dans toute l'Asie-Mineure. Josèphe et Philon avouent que les livres juifs n'étaient connus de personne, et que les livres grecs étaient connus de tout le monde.
Quoiqu'il en soit, ce qu'il y a de singulier dans l'aventure de Thamar, c'est que notre Seigneur Jésus-Christ naquit, dans la suite des temps, de son inceste avec le patriarche Juda. "Ce n'est pas sans de bonnes raisons, dit le R.P dom Calmet, que le Saint-Esprit a permis que l'histoire Thamar, de Rahab, de Ruth, et de Béthsabée, se trouve mêlée dans la généalogie de Jésus-Christ."
3 - Cette histoire a beaucoup de rapport à celle de Bellérophon et de Prœtus, à celle de Thésée et d'Hippolyte, et à beaucoup d'autres histoires grecques et asiatiques. Mais ce qui ne ressemble à aucune fable des mythologies profanes, c'est que Putiphar était eunuque et marié. Il est vrai que dans l'Orient il y a quelques eunuques, et même des eunuques noirs, entièrement coupés, qui ont des concubines dans leur harem ; parce que ces malheureux, à qui on a coupé toutes les parties viriles, ont encore des yeux et des mains. Ils achètent des filles, comme on achète des animaux agréables pour mettre dans une ménagerie. Mais il fallait que la magnificence des rois d'Égypte fût parvenue à un excès bien rare, pour qu les eunuques eussent des sérails, ainsi qu'ils en ont aujourd'hui à Constantinople et à Agra.