LA BIBLE EXPLIQUÉE - Partie 12

Publié le par loveVoltaire

LA BIBLE EXPLIQUÉE - Partie 12

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LA BIBLE EXPLIQUÉE.

 

 

 

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ANCIEN TESTAMENT.

 

 

 

 

(Partie 12)

 

 

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AVIS DE L'ÉDITEUR.

 

 

 

 

 

 

 

 

      "Ici le commentateur s'est arrêté, et celui qui lui a succédé (1), voyant que cet ouvrage serait trop volumineux si on continuait à traduire et à commenter ainsi presque tout l'Ancien et le Nouveau Testament, s'est restreint à ne donner que les principaux endroits qui semblent exiger des notes, en liant seulement par des transitions le précis de la Bible, et en conservant le texte sans jamais l'altérer."

 

      Jacob étant arrivé en un certain endroit, et voulant s'y reposer après le soleil couché, prit une pierre, la mit sous sa tête, et il dormit en ce lieu. Il vit en songe une échelle appuyée d'un bout sur la terre, et l'autre bout touchait au ciel. Les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle, et Dieu était appuyé sur le haut de l'échelle, lui disant : Je suis le Seigneur de ton père Abraham, et Dieu d'Isaac : je te donnerai la terre où tu dors, à toi, et à ta semence, et ta semence sera comme la poussière de la terre (2) : je te donnerai l'Occident et l'Orient, le Nord et le Midi : toutes les nations seront bénies en toi et en ta semence : je serai ton conducteur partout où tu iras.

 

      Jacob s'étant éveillé, dit : Vraiment le Seigneur est en ce lieu, et je n'en savais rien. Et tout épouvanté, il dit : Que ce lieu est terrible ! C'est la maison de Dieu et la porte du ciel. Jacob se levant donc le matin, prit la pierre qu'il avait mise sous sa tête, il l'érigea en monument, répandant de l'huile sur elle ; il appela Béthel la ville qui se nommait auparavant Luza (3), et il fit un vœu au Seigneur, disant : Dieu demeure avec moi ; s'il me conduit dans mes voyages, s'il me donne du pain pour manger et des habits pour me couvrir, et si je reviens sain et sauf chez mon père, le Seigneur alors sera mon Dieu (4) ; et cette pierre que j'ai érigée en monument s'appellera la maison de Dieu, et je te donnerai la dîme de ce que tu m'auras donné (5).

 

      Jacob étant donc parti de ce lieu, il vit un puits dans un champ, près duquel étaient couchés trois troupeaux de brebis. Rachel arriva avec les troupeaux de son père, car elle gardait ses moutons. Il abreuva son troupeau et baisa Rachel, et lui dit qu'il était le frère de son père et le fils de Rébecca. Or Laban avait deux filles : l'aînée était Lia, et la cadette était Rachel ; mais Lia avait les yeux chassieux, et Rachel était belle et bien faite. Jacob l'aima, et dit à Laban : Je te servirai sept ans pour Rachel la plus jeune de tes filles. Laban lui dit : Il vaut mieux que je te la donne qu'à un autre ; demeure avec moi. Jacob servit donc Laban sept ans pour Rachel, et il dit à Laban : Donne-moi ma femme, mon temps est accompli ; je veux entrer à ma femme (6).

 

      Laban invita un grand nombre de ses amis au festin et fit les noces ; mais le soir il lui amena Lia au lieu de Rachel (7) ; et Jacob ne s'en aperçut que le lendemain matin. Il dit à son beau-père : Pourquoi as-tu fait cela ? ne t'ai-je pas servi pour Rachel ? pourquoi m'as-tu trompé ? Laban répondit : Ce n'est pas notre coutume dans ce lieu de marier les jeunes filles avant les aînées. Achève ta première semaine le mariage avec Lia, et je te donnerai Rachel pour un nouveau travail de sept ans.

 

      Jacob accepta la proposition, et au bout de la semaine, il épousa Rachel ; et Jabob ayant fait les noces avec Rachel qu'il aimait, servit encore Laban pendant sept autres années (8).

 

      Mais Dieu voyant que Jacob méprisait Lia, ouvrit sa matrice, tandis que Rachel demeurait stérile. Lia fit quatre enfants de suite, Ruben, Siméon, Lévi et Juda.

 

      Rachel dit à son mari : Fais-moi des enfants, ou je mourrai. Jacob en colère répondit : Me prends-tu donc pour un dieu ? Est-ce moi qui t'ôte le fruit de ton ventre ? Rachel lui dit : J'ai Bala, ma servante ; entre dans elle (9) ; qu'elle enfante sur mes genoux, et que j'aie des fils d'elle ; et Jacob ayant pris Bala, elle accoucha de Dan. Bala fit encore un autre enfant, et Rachel dit : Le Seigneur m'a fait combattre contre ma sœur, c'est pourquoi le nom de cet enfant sera Nephtali.

 

      Lia, voyant qu'elle ne faisait plus d'enfants, donna Zelpha, sa servante, à son mari ; et Zelpha ayant accouché, Lia dit : Cela est heureux, et appela l'enfant Gad. Zelpha accoucha encore, et Lia dit : Ceci est encore plus heureux, c'est pourquoi on appellera l'enfant Azer.

 

      Or, Ruben étant allé dans les champs pendant la moisson du froment, il trouva des mandragores (10). Rachel eut envie d'en manger, et dit à Lia : Donne-moi de tes mandragores. Lia répondit : N'est-ce pas assez que tu m'aies pris mon mari, sans vouloir encore manger mes mandragores que mon fils m'a apportées ? Rachel lui dit : Eh bien ! je te cède mon mari ; qu'il dorme avec toi cette nuit, et donne-moi de tes mandragores (11).

 

      Lia alla donc au-devant de Jacob, qui revenait des champs, et lui dit : Tu entreras dans moi cette nuit, parce que je t'ai acheté pour prix de mes mandragores ; et Jacob coucha avec elle cette nuit-là. Dieu écouta la prière de Lia ; elle fit un cinquième fils, et elle dit : Dieu m'a donné ma récompense, parce que j'ai donné ma servante à mon mari (12).

 

      Jacob, après cela, dit à son beau-père : Tu sais comme je t'ai servi ; tu étais pauvre avant que je vinsse à toi ; maintenant tu es devenu riche ; il est juste que je pense aussi à mes affaires. Je serai encore ton valet, paissant tes troupeaux. Mettons à part toutes les brebis tachetées et marquées de diverses couleurs ; et désormais toute les brebis et les chèvres qui naîtront bigarrées seront à moi, et celles qui naîtraient d'une seule couleur me convaincraient de t'avoir friponné. Laban dit : J'y consens. Or Jacob prit des branches de peuplier, d'amandier et de plane, toutes vertes, les dépouilla d'une partie de leur écorce, en sorte qu'elles étaient vertes et blanches. Lors donc que les brebis et les chèvres étaient couvertes au printemps par les mâles, Jacob mettait ces branches bigarrées sur les abreuvoirs, afin que les femelles conçussent des petits bigarrés. Par ce moyen Jacob devint très riche : il eut beaucoup de troupeaux, de valets et de servantes, de chameaux et d'ânes (13).

 

 

 

 

 

 

 

 

1 - Voltaire veut justifier ici le titre de son livre. (G.A.)

 

2 - Les savants critiques en histoires anciennes remarquent que toutes les nations avaient des oracles, des prophéties, et même des talismans, qui leur assuraient l'empire de la terre entière. Chacune appelait l'univers le peu qu'elle connaissait autour d'elle. Et depuis l'Euphrate jusqu'à la mer Méditerranée, et même dans la Grèce, tout peuple qui avait bâti une ville l'appelait la ville de Dieu, la ville sainte, qui devait subjuguer toutes les autres. Cette superstition s'étendit ensuite jusque chez les Romains. Rome eut son bouclier sacré qui tomba du ciel, comme Troie eut son palladium. Les Hébreux n'ayant alors ni ville, ni même aucune possession en propre, et étant des Arabes vagabonds qui paissaient quelques troupeaux dans des déserts, virent Dieu au haut d'une échelle ; et ces visions de Dieu, qui leur parlait au plus haut de cette échelle, leur tinrent lieu des oracles et des monuments dont les autres peuples se vantèrent. Dieu daigna toujours se proportionner, comme nous l'avons déjà dit, à la simplicité grossière et barbare de la horde juive, qui cherchait à imiter comme elle pouvait les nations voisines.

 

3 - Il n'y avait alors ni ville de Luza ni ville de Béthel dans ce désert. Béthel signifie en chaldéen habitation de Dieu, comme Babel, Balbec, et tant d'autres villes de Syrie. C'est ce qui a fait croire à plusieurs critiques que la Genèse fut écrite longtemps après l'établissement des Arabes Hébreux dans la Palestine. Beth étant un mot qui signifie habitation, il y a un nombre prodigieux de villes dont le nom commence par Beth.

 

A l'égard de la pierre servant de monument; c'est encore un usage de la plus haute antiquité. On appelait ces monuments grossiers béthilles, soit pour marquer des bornes, soit pour indiquer des routes. Elles étaient réputées consacrées, les unes au soleil, les autres à la lune ou aux planètes. Les statues ne furent substituées à ces pierres que longtemps après. Sachoniathon parle des béthilles, qui étaient déjà sacrées de son temps.

 

4 - Ce voeu de Jacob a paru fort singulier aux critiques. "Je t'adorerai si tu me donnes du pain et un habit, etc." semble dire : Je ne t'adorerai pas si tu ne me donnes rien. Les profanes ont comparé ce discours de Jacob aux usages de ces peuples qui jetaient leurs idoles dans la rivière, lorsqu'elles ne leur avaient pas accordé de la pluie. Les mêmes critiques ont dit que ces paroles de Jacob étaient tout à fait dans son caractère, et qu'il faisait toujours bien ses marchés.

 

5 - Les mêmes critiques ont observé qu'il est parlé déjà deux fois de dîmes offertes au Seigneur : la première, quand Abraham donne la dîme à Melchisédech, prêtre, roi de Salem ; et la seconde, quand Jacob promet la dîme de tout ce qu'il gagnera : ce qui a fait conjecturer mal à propos que cette histoire avait été composée par quelqu'un qui recevait la dîme.

 

6 - Ce marché fait par Jacob avec Laban fait voir évidemment que Jacob n'avait rien, et que Laban avait très peu de chose. L'un se fait valet pendant sept ans pour avoir une fille ; et l'autre ne donne à sa fille aucune dot. Un pareil mariage ne semble pas présager l'empire de la terre entière que Dieu avait promis tant de fois à Abraham, à Isaac et à Jacob.

 

7 - Jacob, qui avait trompé son père, trouve aussi un beau-père qui le trompe à son tour. Mais on ne conçoit pas plus comment Jacob ne s'aperçut pas de la friponnerie de Laban en couchant avec Lia, qu'on ne conçoit comment Isaac ne s'était pas aperçu de la friponnerie de Jacob. On n'attraperait personne aujourd'hui avec de pareilles fraudes ; mais ces temps-là n'étaient pas les nôtres.

 

8 - Voilà donc Jacob, le père de la nation juive, qui se fait valet pendant quatorze ans pour avoir une femme. Les origines de toutes les nations sont petites et barbares, mais il n'en est aucune qui ressemble à celle-ci.

 

9 - Non-seulement Jacob épouse à la fois deux sœurs, dans un temps où l'on suppose que la terre était très peuplée ; mais il joint à cet inceste l'incontinence de coucher avec la servante de Rachel, et ensuite avec la servante de Lia. On a prétendu que tout cela était permis par les coutumes des Juifs ; mais il n'y a point de loi positive qui le dise ; nous n'en avons que des exemples. On épousait les deux sœurs, on épousait sa propre soœur, on couchait avec ses servantes ; telles étaient les mœurs juives ; nos lois sont différentes.

 

10 - Dans des temps très postérieurs, les racines de mandragores ont passé pour être prolifiques. C'est une erreur de l'ancienne médecine : c'est ainsi qu'on a cru que le satyrion et les mouches cantharides [Les cantharides ont un effet très réel, mais elles n'agissent qu'en causant une irritation violente dans l'urètre qui cause souvent des maladies graves. (K.)] excitaient à la copulation ; mais de pareilles rêveries ne furent débitées que dans les grandes villes où la débauche payait le charlatanisme. C'est encore une des raisons qui ont fait penser aux critiques que les évènements de la Genèse n'avaient pu arriver et qu'ils n'avaient pu être écrits dans le temps où l'on fait vivre Moïse ; mais cette critique nous paraît la plus faible de toutes. Nous pensons que des gardeurs de moutons et de chèvres, tels qu'on nous peint les patriarches, pouvaient avoir imaginé la prétendue propriété des mandragores tout aussi bien que les charlatans des grandes villes. Ces plantes chevelues pouvaient être aisément taillées en figures d'hommes et de femmes avec les parties de la copulation ; et peut-être est-ce la première origine des priapes.

 

11 - Tous ces marchés sont assez singuliers. Esaü cède son droit d'aînesse pour un plat de lentilles, et Rachel cède son mari à sa sœur pour une racine qui ressemble imparfaitement au membre viril. Quelques personnes ont été scandalisées de toutes ces histoires ; elles les ont prises pour des fables grossières, inventées par des Arabes grossiers aux dépens de la raison, de la bienséance et de la vraisemblance. Elles n'ont pas songé combien ces temps-là étaient différents des nôtres ; elles ont voulu juger des mœurs de l'Arabie par les mœurs de Londres et de Paris : ce qui n'est ni honnête ni vraisemblable de notre temps, a pu être l'un et l'autre dans les temps qu'on nomme héroïques. Nous voyons des choses non moins extraordinaires dans toute la mythologie grecque et dans les fables arabes. Nous l'avons déjà dit, et nous devons le répéter, ce qui fut bon alors ne l'est plus.

 

12 - On croirait en effet que les mandragores opérèrent dans Lia puisqu'elle conçut un fils après en avoir mangé, et qu'elle en remercia le Seigneur. Cette propriété des mandragores a été supposée chez toutes les nations et dans tous les temps. On sait que Machiavel a fait une comédie établie sur ce préjugé vulgaire.

 

13 - "Quoi qu'en dise le texte, cette nouvelle fraude de Jacob ne devait pas l'enrichir. Il y a eu des hommes assez simples pour essayer cette méthode ; ils n'y ont pas plus réussi que ceux qui ont voulu faire naître des abeilles du cuir d'un taureau, et une verminière du sang de boeuf. Toutes ces recettes sont aussi ridicules que la multiplication du blé qu'on trouve dans la Maison rustique, et dans le Petit Albert. S'il suffisait de mettre des couleurs devant les yeux des femelles pour avoir des petits de même couleur, toutes les vaches produiraient des veaux verts ; et tous les agneaux, dont les mères paissent l'herbe verte, seraient verts aussi. Toutes les femmes qui auraient vu des rosiers auraient des familles couleur de rose. Cette particularité de l'histoire de Jacob prouve seulement que ce préjugé impertinent est très ancien. Rien n'est si ancien que l'erreur en toute genre. Calmet croit rendre cette recette recevable, en alléguant l'exemple de quelques merles blancs. Nous lui donnerons un merle blanc, quand il nous fera voir des moutons verts."

 

Cette remarque est de M. Fréret. Nous la donnons telle que nous l'avons trouvée. Elle est bonne en physique, et mauvaise en théologie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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