ODE - SUR LA PAIX DE 1736.

Publié le par loveVoltaire

ODE - SUR LA PAIX DE 1736.

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SUR LA PAIX DE 1736.

 

 

(1)

 

 

 

 

 

L’Etna renferme le tonnerre

Dans ses épouvantables flancs ;

Il vomit le feu sur la terre,

Il dévore ses habitants.

Fuyez, Dryades gémissantes,

Ces campagnes toujours brûlantes.

Ces abîmes toujours ouverts,

Ces torrents de flamme et de soufre,

Echappés du sein de ce gouffre

Qui touche aux voutes des enfers.

 

Plus terrible dans ses ravages,

Plus fier dans ses débordements,

Le Pô renverse ses rivages

Cachés sous ses flots écumants :

Avec lui marche la Ruine,

L’Effroi, la Douleur, la Famine,

La Mort, les Désolations ;

Et, dans les fanges de Ferrare,

Il entraîne à la mer avare

Les dépouilles des nations.

 

Mais ces débordements de l’onde,

Et ces combats des éléments,

Et ces secousses qui du monde

Ont ébranlé les fondements,

Fléaux que le ciel en colère

Sur ce malheureux hémisphère

A fait éclater tant de fois,

Sont moins affreux, sont moins sinistres,

Que l’ambition des ministres,

Et que les discordes des rois.

 

De l’Inde aux bornes de la France,

Le soleil, en son vaste tour,

Ne voit qu’une famille immense,

Que devrait gouverner l’Amour.

Mortels, vous êtes tous des frères ;

Jetez ces armes mercenaires :

Que cherchez-vous dans les combats ?

Quels biens poursuit votre imprudence ?

En aurez-vous la jouissance

Dans la triste nuit du trépas ?

 

Encor si pour votre patrie

Vous saviez vous sacrifier !

Mais non ; vous vendez votre vie

Aux mains qui daignent la payer.

Vous mourez pour la cause inique

De quelque tyran politique

Que vos yeux ne connaissent pas ;

Et vous n’êtes, dans vos misères,

Que des assassins mercenaires

Armés pour des maîtres ingrats.

 

Tels sont ces oiseaux de rapine,

Et ces animaux malfaisants,

Apprivoisés pour la ruine

Des paisibles hôtes des champs :

Aux sons d’un instrument sauvage,

Animés, ardents, pleins de rage,

Ils vont d’un vol impétueux,

Sans choix, sans intérêt, sans gloire,

Saisir une folle victoire

Dont le prix n’est jamais pour eux.

 

O superbe, ô triste Italie !

Que tu plains ta fécondité !

Sous tes débris ensevelie,

Que tu déplores ta beauté !

Je vois tes moissons dévorées

Par les nations conjurées

Qui te flattaient de te venger :

Faible, désolée, expirante,

Tu combats d’une main tremblante

Pour le choix d’un maître étranger (2).

 

Que toujours armés pour la guerre

Nos rois soient les dieux de la paix ;

Que leurs mains portent le tonnerre,

Sans se plaire à lancer ses traits.

Nous chérissons un berger sage,

Qui, dans un heureux pâturage,

Unit les troupeaux sous ses lois.

Malheur au pasteur sanguinaire

Qui les expose en téméraire

A la dent du tyran des bois !

 

Eh ! Que m’importe la victoire

D’un roi qui me perce le flanc,

D’un roi dont j’achète la gloire

De ma fortune et de mon sang !

Quoi ! Dans l’horreur de l’indigence,

Dans les langueurs, dans la souffrance,

Mes jours seront-ils plus sereins,

Quand on m’apprendra que nos princes

Aux frontières de nos provinces

Nagent dans le sang des Germains ?

 

Colbert, toi qui dans ta patrie

Amenas les arts et les jeux,

Colbert, ton heureuse industrie

Sera plus chère à nos neveux

Que la vigilance inflexible

De Louvois, dont la main terrible

Embrasait le Palatinat,

Et qui sous la mer irritée,

De la Hollande épouvantée

Voulait anéantir l’État.

 

Que Louis jusqu’au dernier âge

Soit honoré du nom de Grand ;

Mais que ce nom s’accorde au sage,

Qu’on le refuse au conquérant.

C’est dans la paix que je l’admire,

C’est dans la paix que son empire

Florissait sous de justes lois,

Quand son peuple aimable et fidèle

Fut des peuples l’heureux modèle,

Et lui le modèle des rois.

 

 

 

1 – Cette paix, déclarée le 15 Mai 1736, ne fut signée qu’en 1738. Voyez la lettre de Voltaire à d’Olivet, 18 Octobre 1736. (G.A.)

 

2 – Don Carlos d’Espagne, qui fut reconnu à la paix roi de Naples et de Sicile. (G.A.)

 

 

 

 

 

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