DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - SCANDALE

Publié le par loveVoltaire

DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - SCANDALE

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SCANDALE.

 

 

 

 

 

 

 

 

      Sans rechercher si le scandale était originairement une pierre qui pouvait faire tomber les gens, ou une querelle, ou une séduction, tenons-nous-en à la signification d’aujourd’hui. Un scandale est une grave indécence. On l’applique principalement aux gens d’église. Les Contes de La Fontaine sont libertins ; plusieurs endroits de Sanchez, de Tambourin, de Molina, sont scandaleux (1).

 

      On est scandaleux par ses écrits ou par sa conduite. Le siège que soutinrent les augustins contre les archers du guet, au temps de la Fronde fut scandaleux. La banqueroute du frère jésuite Lavalette fut plus que scandaleuse. Le procès des révérends Pères capucins de Paris, en 1764, fut un scandale très réjouissant. Il faut en dire ici un petit mot pour l’édification du lecteur.

 

      Les révérends Pères capucins s'étaient battus dans le couvent ; les uns avaient caché leur argent, les autres l’avaient pris. Jusque-là ce n’était qu’un scandale particulier, une pierre qui ne pouvait faire tomber que des capucins ; mais quand l’affaire fut portée au parlement, le scandale devint public.

 

       Il est dit (2) au procès qu’il faut douze cents livres de pain par semaine au couvent de Saint-Honoré, de la viande, du vin, du bois à proportion, et qu’il y a quatre quêteurs en titre d’office chargés de lever ces contributions dans la ville. Quel scandale épouvantable ! douze cents livres de viande et de pain par semaine pour quelques capucins, tandis que tant d’artistes accablés de vieillesse et tant d’honnêtes veuves sont exposés tous les jours à périr de misère !

 

      (3) Que le révérend Père Dorothée se soit fait trois mille livres de rentes aux dépens du couvent, et par conséquent aux dépens du public, voilà non-seulement un scandale énorme, mais un vol manifeste, et un vol fait à la classe la plus indigente des citoyens de Paris ; car ce sont les pauvres qui payent la taxe imposée par les moines mendiants. L’ignorance et la faiblesse du peuple lui persuadent qu’il ne peut gagner le ciel qu’en donnant son nécessaire, dont ces moines composent leur superflu.

 

      Il a donc fallu que, de ce seul chef, frère Dorothée ait extorqué vingt mille écus au moins aux pauvres de Paris, pour se faire mille écus de rente.

 

      Songez bien, mon cher lecteur, que de telles aventures ne sont pas rares dans ce dix-huitième siècle de notre ère vulgaire, qui a produit tant de bons livres. Je vous l’ai déjà dit, le peuple ne lit point. Un capucin, un récollet, un carme, un picpus, qui confesse et qui prêche, est capable de faire lui seul plus de mal que les meilleurs livres ne pourront jamais faire de bien.

 

      J’oserai proposer aux âmes bien nées de répandre dans une capitale un certain nombre d’anticapucins, d’antirécollets, qui iraient de maison en maison recommander aux pères et mères d’être bien vertueux et de garder leur argent pour l’entretien de leur famille et le soutien de leur vieillesse, d’aimer Dieu de tout leur cœur et de ne jamais rien donner aux moines. Mais revenons à la vraie signification du mot scandale.

 

      (4) Dans ce procès des capucins, on accuse frère Grégoire d’avoir fait un enfant à mademoiselle Bras-de-Fer, et de l’avoir ensuite mariée à Moutard le cordonnier. On ne dit point si frère Grégoire a donné lui-même la bénédiction nuptiale à sa maîtresse et à ce pauvre Moutard avec dispense. S’il l’a fait, voilà le scandale le plus complet qu’on puisse donner ; il renferme fornication, vol, adultère et sacrilège. Horresco referens.

 

      Je dis d’abord fornication, puisque frère Grégoire forniqua avec Magdeleine Bras-de-Fer, qui n’avait alors que quinze ans.

 

      Je dis vol, puisqu’il donna des tabliers et des rubans à Magdeleine, et qu’il est évident qu’il vola le couvent pour les acheter, pour payer les soupers, et les frais des couches, et les mois de nourrice.

 

      Je dis adultère, puisque ce méchant homme continua à coucher avec madame Moutard.

 

      Je dis sacrilège, puisqu’il confessait Magdeleine. Et s’il maria lui-même sa maîtresse, figurez-vous quel homme c’était que frère Grégoire.

 

      Un de nos collaborateurs et coopérateurs à ce petit ouvrage des Questions philosophiques et encyclopédiques travaille à faire un livre de morale sur les scandales, contre l’opinion de frère Patouillet. Nous espérons que le public en jouira incessamment.

 

 

 

 

 

1 – Les questions les plus lubriques sont discutées crûment par Thomas Sanchez, jésuite de Cordoue, dans ses Disputationes de sancti matrimonii sacramento. Dans un autre ouvrage sur les préceptes du Décalogue, ce casuiste trouve de singuliers accommodements avec la morale. Il dit, par exemple (liv II, ch. VI, page 30 de l’édition de Venise) : « L’homme auquel on fait jurer d’épouser une jeune fille peut prêter serment en sous-entendant si j’y suis forcé, ou si plus tard elle me plaît ; ce qui ne l’oblige à rien. » Il ajoute plus loin : « Pour jurer sans s’obliger, il suffit d’estropier les mots. Dites uro, en supprimant le j ; c’est comme si vous disiez je brûle, au lieu de juro, qui signifie je jure ; ce n’est plus alors qu’un petit mensonge véniel et facile à pardonner. »

 

Thomas Tamburini, jésuite sicilien, professeur de théologie à Messine, ne professa pas des doctrines moins relâchées dans son explication du Décalogue (Lyon, 1659, in-Fo). Il examine (liv VII, ch. V) s’il est permis à une femme de se vendre. « La prostituée, dit-il, doit n’avoir qu’un prix convenu ; mais une femme honnête peut exiger ce qu’il lui plaît, parce que dans des choses de cette nature, qui n’ont pas de prix commun et établi, la personne qui vend est maîtresse de sa marchandise. » Tamburini demande : Un fils peut-il souhaiter la mort de son père, afin d’en hériter ? Et il répond : Si vous désirez seulement ou que vous appreniez avec joie cet événement, il vous est permis de le désirer et de le recevoir sans péché, parce que vous vous réjouissez, non pas du mal d’autrui, mais du bien qui vous arrive. »

 

L’ouvrage où Louis Molina, jésuite espagnol, expose des idées analogues n’est pas son Traité de la grâce et du libre arbitre ; c’est un ouvrage en six volumes in-fo, de Justitia et jure,publié en 1659, à Mayence. Il y établit, entre autres choses, que les clercs, comme les laïques, peuvent mettre à mort un adversaire injuste pour la conservation de leurs biens. (E.B.)

 

2 – Page 27 du Mémoire contre frère Athanase, présenté au parlement.

 

3 – Page 3 du Mémoire contre frère Athanase, présenté au parlement.

 

4 – Page 43 du Mémoire contre frère Athanase, présenté au parlement.

 

 

 

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