DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - A

Publié le par loveVoltaire

DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - A

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A.

 

 

 

 

 

 

      Nous aurons peu de questions à faire sur cette première lettre de tous les alphabets. Cet article de l’Encyclopédie, plus nécessaire qu’on ne croirait, est de César Dumarsais, qui n’était bon grammairien que parce qu’il avait dans l’esprit une dialectique très-profonde et très-nette. La vraie philosophie tient à tout, excepté à la fortune. Ce sage, qui était pauvre, et dont l’Éloge se trouve à la tête du septième volume de l’Encyclopédie, fut persécuté par l’auteur de Marie à la Coque (1) ; qui était riche, et, sans les générosités du comte de Lauraguais, il serait mort dans la plus extrême misère. Saisissons cette occasion de dire que jamais la nation française ne s’est plus honorée que de nos jours par ces actions de véritable grandeur faites sans ostentation. Nous avons vu plus d’un ministre d’État encourager les talents dans l’indigence, et demander le secret. Colbert les récompensait, mais avec l’argent de l’État, Fouquet avec celui de la déprédation. Ceux dont je parle (2) ont donné de leur propre bien, et par là ils sont au-dessus de Fouquet, autant que par leur naissance, leurs dignités et leur génie. Comme nous ne les nommons point, ils ne doivent pas se fâcher. Que le lecteur pardonne cette digression qui commence notre ouvrage. Elle vaut mieux que ce que nous dirons sur la lettre A, qui a été si bien traitée par feu M. Dumarsais, et par ceux qui ont joint leur travail au sien. Nous ne parlerons point des autres lettres, et nous renvoyons à l’Encyclopédie, qui dit tout ce qu’il faut sur cette matière.

 

       On commence à substituer la lettre a à la lettre o dans français, française, anglais, anglaise, et dans tous les imparfaits, comme il employait, il octroyait, il ployerait, etc. La raison n’en est-elle pas évidente ? ne faut-il pas écrire comme on parle, autant qu’on le peut ? n’est-ce pas une contradiction d’écrire oi et de prononcer ai ? Nous disions autrefois je croyois, j’octroyois, j’employois, je ployois : lorsque enfin on adoucit ces sons barbares, on ne songea point à réformer les caractères, et le langage démentit continuellement l’écriture.

 

       Mais quand il fallut faire rimer en vers les ois qu’on prononçait ais, avec les ois qu’on prononçait ois, les auteurs furent bien embarrassés. Tout le monde, par exemple, disait français dans la conversation et dans les discours publics : mais comme la coutume vicieuse de rimer pour les yeux et non pour les oreilles s’était introduite parmi nous, les poètes se crurent obligés de faire rimer françois à lois, rois, exploits ; et alors les mêmes académiciens qui venaient de prononcer français dans un discours oratoire, prononçaient françois dans les vers. On trouve dans une pièce de vers de Pierre Corneille, sur le passage du Rhin , assez peu connue :

 

 

Quel spectacle d’effroi, grand Dieu ! si toutefois

Quelque chose pouvoit effrayer des François.

 

 

      Le lecteur peut remarquer, quel effet produiraient aujourd’hui ces vers, si l’on prononçait, comme sous François Ier, pouvait par un o ; quelle cacophonie feraient effroi, toutefois, pouvoit, françois.

 

 

      Dans le temps que notre langue se perfectionnait le plus, Boileau disait :

 

 

Qu’il s’en prenne à sa muse allemande en françois ;

Mais laissons Chapelain pour la dernière fois.

 

 

      Aujourd’hui que tout le monde dit français, ce vers de Boileau lui-même paraîtrait un peu allemand.

 

      Nous nous sommes enfin défaits de cette mauvaise habitude d’écrire le mot français comme on écrit saint François. Il faut du temps pour réformer la manière d’écrire tous ces autres mots dans lesquels les yeux trompent toujours les oreilles. Vous écrivez encore je croyois ; et si vous prononciez je croyois, en faisant sentir les deux o, personne ne pourrait vous supporter. Pourquoi donc en ménageant nos oreilles ne ménagez-vous pas aussi nos yeux ? Pourquoi n’écrivez-vous pas je croyais, puisque je croyois est absolument barbare ?

 

      Vous enseignez la langue française à un étranger ; il est d’abord surpris que vous prononciez je croyais, j’octroyais, j’employais ; il vous demande pourquoi vous adoucissez la prononciation de la dernière syllabe, et pourquoi vous n’adoucissez pas la précédente ; pourquoi dans la conversation vous ne dites pas je crayais, j’emplayais,etc.

 

      Vous lui répondez, et vous devez lui répondre, qu’il y a plus de grâce et de variété à faire succéder une diphtongue à une autre. La dernière syllabe, lui dites-vous, dont le son reste dans l’oreille doit être plus agréable et plus mélodieuse que les autres ; et c’est la variété dans la prononciation de ces syllabes qui fait le charme de la prosodie.

 

      L’étranger vous répliquera : Vous deviez m’en avertir par l’écriture comme vous m’en avertissez dans la conversation. Ne voyez-vous pas que vous m’embarrassez beaucoup lorsque vous orthographiez d’une façon et que vous prononcez d’une autre ?

 

      Les plus belles langues, sans contredit, sont celles où les mêmes syllabes portent toujours une prononciation uniforme ; telle est la langue italienne. Elle n’est point hérissée de lettres qu’on est obligé de supprimer ; c’est le grand vice de l’anglais et du français. Qui croirait, par exemple, que ce mot anglais handkerchief se prononce ankicher ! et quel étranger imaginera que paon, Laon, se prononcent en français pan et Lan ! Les Italiens se sont défaits de la lettre h au commencement des mots, parce qu’elle n’y a aucun son, et de la lettre x entièrement, parce qu’ils ne la prononcent plus : que ne les imitons-nous ! avons-nous oublié que l’écriture est la peinture de la voix ?

 

      Vous dites anglais, portugais, français, mais vous dites danois, suédois ; comment devinerai-je cette différence, si je n’apprends votre langue que dans vos livres ? et pourquoi en prononçant anglais et portugais, mettez-vous un o à l’un et un a à l’autre ? Pourquoi n’avez-vous pas la mauvaise habitude d’écrire portugois, comme vous avez la mauvaise habitude d’écrire anglois ? En un mot, ne paraît-il pas évident que la meilleure méthode est d’écrire toujours par a ce qu’on prononce a (3).

 

 

 

 

 

1 – Lisez : Marie Alacoque. La Vie de la vénérable mère Marguerite-Marie Alacoque, religieuse de la Visitation, et morte en odeur de sainteté en 1690, livre alors à la mode, dédié à la reine de France, approuvé partout et composé par Jean-Joseph Languet de Gergy, évêque de Soissons et membre de l’Académie. « L’auteur, dit d’Alembert, rapporte dans un grand détail les visions de cette religieuse, ses révélations, ses extases, ses conversations tendres et passionnées avec Jésus-Christ, qui poussait la galanterie jusqu’à faire des vers pour elle. » Et M. Michelet : « Dans ce livre l’obéissance est à chaque ligne préférée à toute vertu. » (G.A.)

 

2 – Le duc de Choiseul.

 

3 – C'est là l’orthographe, dite de Voltaire, aujourd’hui en usage. M. Beuchot en fixe la date de 1750 à 1754. (G.A.)

 

 

 

 

 

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