ODE - SUR L’INGRATITUDE
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A M. LE DUC DE RICHELIEU
ODE
SUR L’INGRATITUDE
(1)
− 1736 −
O toi, mon support et ma gloire,
Que j’aime à nourrir ma mémoire
Des biens que ta vertu m’a faits,
Lorsqu’en tous lieux l’ingratitude
Se fait une pénible étude
De l’oubli honteux des bienfaits !
Doux nœuds de la reconnaissance,
C’est par vous que dès mon enfance
Mon cœur à jamais fut lié ;
La voix du sang, de la nature,
N’est rien qu’un languissant murmure
Près de la voix de l’amitié.
Eh ! Quel est en effet mon père ?
Celui qui m’instruit, qui m’éclaire,
Dont le secours m’est assuré ;
Et celui dont le cœur oublie
Les biens répandus sur sa vie,
C’est là le fils dénaturé.
Ingrats, monstres que la nature
A pétris d’une fange impure
Qu’elle dédaigna d’animer,
Il manque à votre âme sauvage
Des humains le plus beau partage ;
Vous n’avez pas le don d’aimer.
Nous admirons le fier courage
Du lion fumant de carnage,
Symbole du dieu des combats.
D’où vient que l’univers déteste
La couleuvre bien moins funeste ?
Elle est l’image des ingrats (2).
Quel monstre plus hideux s’avance ?
La nature fuit et s’offense
A l’aspect de ce vieux giton ;
Il a la rage de Zoïle,
De Gacon (3) l’esprit et le style,
Et l’âme impure de Chausson,
C’est Desfontaines, c’est ce prêtre
Venu de Sodome à Bicêtre,
De Bicêtre au sacré Vallon :
A-t-il l’espérance bizarre
Que le bûcher qu’on lui prépare
Soit fait des lauriers d’Apollon ?
Il m’a dû l’honneur et la vie,
Et dans son ingrate furie,
De Rousseau lâche imitateur,
Avec moins d’art et plus d’audace,
De la fange où sa voix coasse
Il outrage son bienfaiteur (4).
Qu’un Hibernois (5), loin de la France,
Aille ensevelir dans Byzance
Sa honte à l’abri du croissant ;
D’un œil tranquille et sans colère,
Je vois son crime et sa misère ;
Il n’emporte que mon argent.
Mais l’ingrat dévoré d’envie,
Trompette de la calomnie,
Qui cherche à flétrir mon honneur ;
Voilà le ravisseur coupable,
Voilà le larcin détestable
Dont je dois punir la noirceur.
Pardon, si ma main vengeresse
Sur ce monstre un moment s’abaisse
A lancer ces utiles traits,
Et si de la douce peinture
De ta vertu brillante et pure
Je passe à ces sombres portraits.
Mais lorsque Virgile et le Tasse
Ont chanté dans leur noble audace
Les dieux de la terre et des mers,
Leur muse, que le ciel inspire,
Ouvre le ténébreux empire,
Et peint les monstres des enfers.
1 – Cette ode fut composée en réplique aux attaques de Desfontaines et de Rousseau. Chose curieuse ! Desfontaines n’y devait pas figurer, et c’est aujourd’hui le seul qui s’y trouve nommé. (G.A.)
2 – Ici venaient, dans les premières éditions, huit strophes contre Jean-Baptiste Rousseau. Voici les deux premières :
Tel fut ce plagiaire habile
Et de Marot et de d’Ouville,
Connu par ses viles chansons :
Semblable à l’infâme Locuste,
Qui, sous les successeurs d’Auguste,
Fut illustre par ses poisons.
Dis-nous, Rousseau, quel premier crime
Entraîna tes pas dans l’abîme
Où j’ai vu Saurin te plonger ?
Ah ! Ce fut l’oubli des services :
Tu fus ingrat, et tous les vices
Vinrent en foule t’assiéger.
(G.A.)
3 – Gacon était un misérable écrivain satirique, universellement méprisé. (1752). Chausson a laissé un nom immortel. (1775)
4 – Voyez, sur l’affaire de Desfontaines, deux Mémoires dans les OPUSCULES LITTÉRAIRES. (G.A.)
5 – Un abbé irlandais, fils d’un chirurgien de Nantes, qui se disait de l’ancienne maison de Macarty, ayant subsisté longtemps des bienfaits de notre auteur, et lui ayant emprunté deux mille livres en 1732, s’enfuit aussitôt avec un écossais, nommé Ramsay, qui se disait aussi des bons Ramsay, et avec un officier français nommé Mornay : ils passèrent tous trois à Constantinople, et se firent circoncire chez le comte de Bonneval. (1752) Remarquez qu’aucun de ces folliculaires, de ces trompettes de scandale qui fatiguaient Paris de leurs brochures, n’a écrit contre cette apostasie ; mais ils ont jeté feu et flammes contre les Bayle, les Montesquieu, les Diderot, les d’Alembert, les Helvétius, les Buffon, contre tous ceux qui ont éclairé le monde. (1775)