JUGEMENT SUR VOLTAIRE de Frédéric-Melchior GRIMM
Photo de PAPAPOUSS
JUGEMENT SUR VOLTAIRE
De
Frédéric-Melchior GRIMM
1723 – 1807
BARON, DIPLOMATE, CRITIQUE ALLEMAND
HOMME DE LETTRES BAVAROIS, D’EXPRESSION FRANÇAISE
A propos de M. de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau, il faut consigner ici une anecdote qu’un témoin oculaire nous conta l’autre jour.
Il s’était trouvé présent à Ferney le jour que M. de Voltaire reçut les Lettres de la Montagne, et qu’il y lut l’apostrophe qui le regarde ; et voilà son regard qui s’enflamme, ses yeux qui étincellent de fureur, tout son corps qui frémit, et lui qui s’écrie avec une voix terrible :
− Ah ! le scélérat ! Ah ! le monstre ! Il faut que je le fasse assommer… Oui, j’enverrai le faire assommer dans les montagnes, entre les genoux de sa gouvernante.
− Calmez-vous, lui dit notre homme, je sais que Rousseau se propose de vous faire une visite, et qu’il viendra sous peu à Ferney.
− Ah ! Qu’il y vienne, répond M. de Voltaire.
− Mais comment le recevrez-vous ?
− Comment je le recevrai ? … Je lui donnerai à souper, je le mettrai dans mon lit, je lui dirai : Voilà un bon souper ; ce lit est le meilleur de la maison ; faites-moi le plaisir d’accepter l’un et l’autre, et d’être heureux chez moi.
Ce trait m’a fait un sensible plaisir : il peint M. de Voltaire mieux qu’il ne l’a jamais été : il fait en deux lignes l’histoire de toute sa vie.
(Correspondance littéraire.)