JUGEMENT SUR VOLTAIRE par Jean-François DE LA HARPE
Photo de PAPAPOUSS
JUGEMENT SUR VOLTAIRE
DE
Jean-François DE LA HARPE
1739 – 1803
ÉCRIVAIN et CRITIQUE
Quelle est cette trempe d’esprit extraordinaire que rien ne peut ni émousser ni affaiblir ; cette chaleur d’imagination que rien ne refroidit ; cette force constante et flexible d’une tête que rien ne peut ni épuiser ni remplir ? Enfin, quel est cet homme qui, d’un moment à l’autre, passe avec tant de facilité des élans du génie qui enfante, au travail de la raison qui calcule ; quitte les illusions de la scène pour les vérités de l’histoire ; et, rendant Racine aux Français, leur fait connaître en même temps Locke, Shakespeare et Newton ? …
Chaque jour voyait naître une production nouvelle. Heureux du seul droit de tout dire, il jetait sur tous les objets ce coup d’œil libre et hardi d’un observateur octogénaire, retiré dans une solitude, retranché dans sa gloire, et sur le bord de sa tombe. Cette gloire, qu’il avait tant aimée, et qu’il aimait alors plus que jamais, dont il était toujours rassasié et toujours avide ; cette gloire, qui protégeait sa vieillesse, était encore le dernier aliment de son existence défaillante, le dernier ressort d’une vie usée. A mesure qu’il sentait la vie lui échapper, il embrassait plus fortement la gloire, comme le seul lien qui pût l’y attacher ; il ne respirait plus que pour elle et par elle, il n’avait plus que ce seul sentiment ; et à la vue de la mort qui s’approchait, il se hâtait de remplir les moments qu’il pouvait lui dérober, et de les ajouter à sa renommée.
… Le temps, qui mûrit tout, avait enfin mis Voltaire à sa place, et c’était celle du premier des êtres pensants.
(Éloge de Voltaire.)