FACÉTIES - Contre les Pompignan
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FACÉTIES CONTRE LES POMPIGNAN
[Nous réunissons ici toutes les pièces relatives aux deux frères Pompignan ; mais nous ne publions que celles qui sont bien de la main de Voltaire. C’est pourquoi nous rejetons les Si, les Pourquoi, et le Commentaire sur la prière universelle, dont l’auteur est Morellet. Quant aux pièces de vers contre les mêmes personnages (les Pour, les Que, les Qui, les Quoi, etc.), on les trouvera aux Poésies. (G.A)]
LES QUAND
(1)
− 1760 −
Quand on a l’honneur d’être reçu dans une compagnie respectable d’hommes de lettres, il ne faut pas que la harangue de réception soit une satire contre les gens de lettres, c’est insulter la compagnie et le public.
Quand par hasard on est riche, il ne faut pas avoir la basse cruauté de reprocher aux gens de lettres leur pauvreté, dans un discours académique, et dire avec orgueil qu’ils déclament contre les richesses et qu’ils portent envie en secret aux riches : 1° parce que le récipiendaire ne peut savoir ce que ses confrères moins opulents que lui pensent en secret ; 2° parce qu’aucun d’eux ne porte envie au récipiendaire.
Quand on ne fait pas honneur à son siècle par ses ouvrages, c’est une étrange témérité de décrier son siècle.
Quand on est à peine homme de lettres, et nullement philosophe, il ne sied pas de dire que notre nation n’a qu’une fausse littérature et une vaine philosophie.
Quand on a traduit et outré même la Prière du déiste, composée par Pope ; quand on a été privé six mois entiers de sa charge en province, pour avoir traduit et envenimé cette formule du déisme (2) ; quand enfin on a été redevable à des philosophes de la jouissance de cette charge, c’est manquer à la fois à la reconnaissance, à la vérité, à la justice, que d’accuser les philosophes d’impiété ; et c’est insulter à toutes les bienséances, de se donner les airs de parler de religion dans un discours public, devant une Académie qui a pour maxime et pour loi de n’en jamais parler dans ses assemblées.
Quand on prononce devant une Académie un de ces discours dont on parle un jour ou deux, et que même quelquefois on porte au pied du trône, c’est être coupable envers ses concitoyens, d’oser dire, dans ce discours, que la philosophie de nos jours sape les fondements du trône et de l’autel. C’est jouer le rôle d’un délateur, d’oser avancer que la haine de l’autorité est le caractère dominant de nos productions ; et c’est être délateur avec une imposture bien odieuse, puisque non-seulement les gens de lettres sont les sujets les plus soumis, mais qu’ils n’ont même aucun privilège, aucune prérogative qui puisse jamais leur donner le moindre prétexte de n’être pas soumis. Rien n’est plus criminel que de vouloir donner aux princes et aux ministres des idées si injustes sur des sujets fidèles, dont les études font honneur à la nation : mais heureusement les princes et les ministres ne lisent point ces discours, et ceux qui les ont lus une fois ne les lisent plus.
Quand on succède à un homme bizarre (3) qui a eu le malheur de nier, dans un mauvais livre, les preuves évidentes de l’existence d’un Dieu, tirées des desseins, des rapports et des fins de tous les ouvrages de la création, seules preuves admises par les philosophes, et seules preuves consacrées par les pères de l’Église ; quand cet homme bizarre a fait tout ce qu’il a pu pour infirmer ces témoignages éclatants de la nature entière ; quand, à ces preuves frappantes qui éclairent tous les yeux, il a substitué ridiculement une équation d’algèbre, il ne faut pas dire, à la vérité, que ce raisonneur était un athée, parce qu’il ne faut accuser personne d’athéisme, et encore moins l’homme à qui l’on succède ; mais aussi, ne faut-il pas le proposer comme le modèle des écrivains religieux : il faut se taire ou du moins parler avec plus d’art et de retenue.
Quand on harangue en France une Académie, il ne faut pas s’emporter contre les philosophes qu’a produits l’Angleterre ; il faudrait plutôt les étudier.
Quand on est admis dans un corps respectable, il faut, dans sa harangue, cacher sous le voile de la modestie l’insolent orgueil qui est le partage des têtes chaudes et des talents médiocres.
1 – « M. Le Franc de Pompignan, lit-on dans l’édition de Kehl, ayant été admis à l’Académie française, fit attendre six mois sa harangue de remerciement, et la prononça enfin le 10 Mars 1760 ; mais au lieu de remercier l’Académie, il fit un long discours contre les belles-lettres et contre l’Académie, dans lequel il dit que l’abus des talents le mépris de la religion, la haine de l’autorité, font le caractère dominant des productions de ses confrères ; que tout porte l’empreinte d’une littérature dépravée, d’une morale corrompue, et d’une philosophie altière qui sape également le trône et l’autel ; que les gens de lettres déclament tout haut contre les richesses (parce qu’on ne déclame point tout bas), et qu’ils portent envie secrètement aux riches, etc.
Cet étrange discours, si déplacé, si peu mesuré, si injuste, valut au sieur Le Franc les pièces qu’on va lire.
Le sieur Le Franc, au lieu de se rétracter honnêtement, comme il le devait, composa un mémoire justificatif, qu’il dit avoir présenté au roi, et il s’exprime ainsi dans ce mémoire : Il faut que l’univers sache que le roi s’est occupé de mon mémoire, etc. Il dit ensuite, un homme de ma naissance. Ayant poussé la modestie à cet excès, il voulut avoir encore celle de faire mettre au titre de son ouvrage, Mémoire de M. le Franc, imprimé par ordre du roi ; mais comme Sa Majesté ne fait point imprimer les ouvrages qu’elle ne peut lire, ce titre fut supprimé : cette démarche lui attira l’épître d’un frère de la charité. ».Voyez la satire intitulée, la Vanité. (G.A.)
2 – Les partisans de J.-J. Le Franc de Pompignan disent qu’il fut exilé, lorsqu’il était avocat-général à la cour des aides de Montauban, pour s’être élevé contre les abus touchant l’assiette et la perception des impôts. (G.A.)
3 – Maupertuis. Voyez l’Histoire du docteur Akakia. (G.A.)