DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - FLEURI

Publié le par loveVoltaire

DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - FLEURI

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FLEURI.

 

 

(1)

 

 

 

 

      Fleuri, qui est en fleur ; arbre fleuri, rosier fleuri : on ne dit point des fleurs qu’elles fleurissent, on le dit des plantes et des arbres. Teint fleuri, dont la carnation semble un mélange de blanc et de couleur de rose. On a dit quelquefois : C’est un esprit fleuri, pour signifier un homme qui possède une littérature légère, et dont l’imagination est riante.

 

      Un discours fleuri est rempli de pensées plus agréables que fortes, d’images plus brillantes que sublimes, de termes plus recherchés qu’énergiques : cette métaphore est justement prise des fleurs qui ont de l’éclat sans solidité.

 

      Le style fleuri ne me sied pas dans ces harangues publiques, qui ne sont que des compliments ; les beautés légères sont à leur place quand on n’a rien de solide à dire ; mais le style fleuri doit être banni d’un plaidoyer, d’un sermon, de tout livre instructif.

 

En bannissant le style fleuri, on ne doit pas rejeter les images douces et riantes qui rentreraient naturellement dans le sujet : quelques fleurs ne sont pas condamnables ; mais le style fleuri doit être proscrit dans un sujet solide.

 

      Ce style convient aux pièces de pur agrément, aux idylles, aux églogues, aux descriptions des saisons, des jardins : il remplit avec grâce une stance de l’ode la plus sublime, pourvu qu’il soit relevé par des stances d’une beauté plus mâle. Il convient peu à la comédie, qui, étant l’image de la vie commune, doit être généralement dans le style de la conversation ordinaire. Il est encore moins admis dans la tragédie, qui est l’empire des grandes passions et des grands intérêts ; et si quelquefois il est reçu dans le genre tragique et dans le comique, ce n’est que dans quelques descriptions où le cœur n’a point de part, et qui amusent l’imagination avant que l’âme soit touchée ou occupée.

 

      Le style fleuri nuirait à l’intérêt dans la tragédie, et affaiblirait le ridicule dans la comédie. Il est très à sa place dans un opéra français, où d’ordinaire on effleure plus les passions qu’on ne les traite.

 

      Le style fleuri ne doit pas être confondu avec le style doux.

 

Ce fut dans ces vallons où, par mille détours,

Inachus prend plaisir à prolonger son cours ;

Ce fut sur son charmant rivage,

Que sa fille volage

Me promit de m’aimer toujours.

Le zéphyr fut témoin, l’onde fut attentive,

Quand la nymphe jura de ne changer jamais ;

Mais le zéphyr léger et l’onde fugitive

Ont bientôt emporté les serments qu’elle a faits.

 

Isis, acte I, sc. II.

 

      C’est là le modèle du style fleuri. On pourrait donner pour exemple du style doux qui n’est pas le doucereux et qui est moins agréable que le style fleuri, ces vers d’un autre opéra :

 

Plus j’observe ces lieux, et plus je les admire ;

Ce fleuve coule lentement,

Et s’éloigne à regret d’un séjour si charmant.

 

Armide, acte II, sc. III (2)

 

      Le premier morceau est fleuri, presque toutes les paroles sont des images riantes ; le second est plus dénué de ces fleurs, il n’est que doux.

 

 

1 – A paru dans l’Encyclopédie. (G.A.)

 

2 – Isis et Armide, opéras de Quinault. (G.A.)

 

 

 

 

 

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