DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - ANECDOTE : BÉVUE SUR LE MARÉCHAL D’ANCRE.
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ANECDOTE,
BÉVUE SUR LE MARÉCHAL D’ANCRE.
Le même auteur dit « que le maréchal d’Ancre et sa femme furent écrasés, pour ainsi dire, par la foudre. » L’un ne fut à la vérité écrasé qu’à coups de pistolet, et l’autre fut brûlée en qualité de sorcière. Un assassinat et un arrêt de mort rendu contre une maréchale de France, dame d’atour de la reine, réputée magicienne, ne font honneur ni à la chevalerie ni à la jurisprudence de ce temps-là. Mais je ne sais pourquoi l’historien s’exprime en ces mots : « Si ces deux misérables n’étaient pas complices de la mort du roi, ils méritaient du moins les plus rigoureux châtiments… Il est certain que, du vivant même du roi, Concini et sa femme avaient avec l’Espagne des liaisons contraires aux desseins de ce prince. »
C’est ce qui n’est point du tout certain ; cela n’est pas même vraisemblable. Ils étaient Florentins ; le grand-duc de Florence avait le premier reconnu Henri IV. Il ne craignait rien tant que le pouvoir de l’Espagne en Italie. Concini et sa femme n’avaient point de crédit du temps de Henri IV. S’ils avaient ourdi quelque trame avec le conseil de Madrid, ce ne pouvait être que par la reine : c’est donc accuser la reine d’avoir trahi son mari. Et, encore une fois, il n’est point permis d’inventer de telles accusations sans preuve. Quoi ! un écrivain dans son grenier pourra prononcer une diffamation que les juges les plus éclairés du royaume trembleraient d’écouter sur leur tribunal !
Pourquoi appeler un maréchal de France et sa femme, dame d’atour de la reine, ces deux misérables ? Le maréchal d’Ancre, qui avait levé une armée à ses frais contre les rebelles, mérite-t-il une épithète qui n’est convenable qu’à Ravaillac, à Cartouche, aux voleurs publics, aux calomniateurs publics ?
Il n’est que trop vrai qu’il suffit d’un fanatique pour commettre un parricide sans aucun complice. Damiens n’en avait point. Il a répété quatre fois dans son interrogatoire qu’il n’a commis son crime que par principe de religion. Je puis dire qu’ayant été autrefois à portée de connaître les convulsionnaires, j’en ai vu plus de vingt capables d’une pareille horreur, tant leur démence était atroce ! La religion mal entendue est une fièvre que la moindre occasion fait tourner en rage. Le propre du fanatisme est d’échauffer les têtes. Quand le feu qui fit bouillir ces têtes superstitieuses a fait tomber quelques flammèches dans une âme insensée et atroce, quand un ignorant furieux croit imiter saintement Phinées, Aod, Judith et leurs semblables, cet ignorant a plus de complices qu’il ne pense. Bien des gens l’ont excité au parricide sans le savoir. Quelques personnes profèrent des paroles indiscrètes et violentes ; un domestique les répète, il les amplifie, il les enfuneste encore, comme disent les Italiens ; un Chastel, un Ravaillac, un Damiens les recueille ; ceux qui les ont prononcées ne se doutent pas du mal qu’ils ont fait. Ils sont complices involontaires ; mais il n’y a eu ni complot ni instigation. En un mot, on connaît bien mal l’esprit humain, si l’on ignore que le fanatisme rend la populace capable de tout.