DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - Amour-propre

Publié le par loveVoltaire

DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - Amour-propre

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AMOUR-PROPRE.

 

 

 

 

      Nicole, dans ses Essais de morale, faits après deux ou trois mille volumes de morale, (Traité de la charité, chap. II), dit que « par le moyen des roues et des gibets qu’on établit en commun, on réprime les pensées et les desseins tyranniques de l’amour-propre de chaque particulier. »

 

      Je n’examinerai point si on a des gibets en commun, comme on a des prés et des bois en commun et une bourse commune, et si on réprime des pensées avec des roues ; mais il me semble fort étrange que Nicole ait pris le vol de grand chemin et l’assassinat pour de l’amour-propre. Il faut distinguer un peu mieux les nuances. Celui qui dirait que Néron a fait assassiner sa mère par amour-propre, que Cartouche avait beaucoup d’amour-propre, ne s’exprimerait pas fort correctement. L’amour-propre n’est point une scélératesse, c’est un sentiment naturel à tous les hommes ; il est beaucoup plus voisin de la vanité que du crime.

 

      Un gueux des environs de Madrid demandait noblement l’aumône ; un passant lui dit : N’êtes-vous pas honteux de faire ce travail infâme quand vous pouvez travailler ? Monsieur, répondit le mendiant, je vous demande de l’argent et non pas des conseils ; puis il lui tourna le dos en conservant toute la dignité castillane. C’était un fier gueux que ce seigneur, sa vanité était blessée pour peu de chose. Il demandait l’aumône par amour de soi-même, et ne souffrait pas la réprimande par un autre amour de soi-même.

 

      Un missionnaire voyageant dans l’Inde rencontra un fakir chargé de chaînes, nu comme un singe, couché sur le ventre, et se faisant fouetter pour les péchés de ses compatriotes les Indiens, qui lui donnaient quelques liards du pays. Quel renoncement à soi-même ! disait un des spectateurs. Renoncement à moi-même ! reprit le fakir ; apprenez que je ne me fais fesser dans ce monde que pour vous le rendre dans l’autre, quand vous serez chevaux et moi cavalier.

 

       Ceux qui ont dit que l’amour de nous-même est la base de tous nos sentiments et de toutes nos actions ont donc eu grande raison dans l’Inde, en Espagne et dans toute la terre habitable : et comme on n’écrit point pour prouver aux hommes qu’ils ont un visage, il n’est pas besoin de leur prouver qu’ils ont de l’amour-propre. Cet amour-propre est l’instrument de notre conservation ; il ressemble à l’instrument de la perpétuité de l’espèce : il est nécessaire, il nous est cher, il nous fait plaisir, et il faut le cacher.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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