COMMENTAIRES SUR LE CID - Partie 4
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COMMENTAIRES SUR LE CID.
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(Partie 4)
PERSONNAGES, etc.
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La scène est à Séville.
Remarquez que la scène est tantôt au palais du roi, tantôt dans la maison du comte de Gormaz, tantôt dans la ville ; mais, comme je le dis ailleurs, l'unité de lieu serait observée aux yeux des spectateurs, si on avait eu des théâtres dignes de Corneille, semblables à celui de Vicence, qui représente une ville, un palais, des rues, une place, etc. ; car cette unité ne consiste pas à représenter toute l'action dans un cabinet, dans une chambre, mais dans plusieurs endroits contigus que l'œil puisse apercevoir sans peine.
ACTE PREMIER.
Les deux premières scènes que Voltaire va commenter ne se trouvent que
dans les premières éditions du Cid. Voyez notre Avertissement. (G.A.)
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I, 1. Entre tous ces amants dont la jeune ferveur...
Scudéri dit que c'est parler français en allemand, de donner de la jeunesse à la ferveur. L'académie réprouve le mot de ferveur qui n'est admis que dans le langage de la dévotion ; mais elle approuve l'épithète jeune.
S'il est permis d'ajouter quelque chose à la décision de l'Académie, je dirai que le mot jeune convient très bien aux passions de la jeunesse. On dira bien leurs jeunes amours, mais non pas leur jeune colère, ma jeune haine ; pourquoi ? Parce que la colère, la haine, appartiennent autant à l'âge mûr, et que l'amour est plus le partage de la jeunesse.
7. Au contraire, pour tous dedans l'indifférence.
Dedans n'est ni censuré par Scudéri, ni remarqué par l'Académie ; la langue n'était pas alors entièrement épurée. On n'avait pas songé que dedans est un adverbe : Il est dans la chambre, il est hors de la chambre. Êtes-vous dedans ? Êtes-vous dehors ?
20. Tant qu'à duré sa force, a passé pour merveille.
A passé pour merveille a été excusé par l'Académie ; aujourd'hui cette expression ne passerait point ; elle est commune, froide et lâche. Les premiers qui écrivirent purement, Racine et Boileau, ont proscrit tous ces termes de merveille, de sans pareille, sans seconde, miracle de nos jours, soleil,etc. ; et plus la poésie est devenue difficile, plus elle est belle.
21. Ses rides sur son front ont gravé ses exploits.
Voyez le jugement de l'Académie, auquel nous renvoyons pour la plupart des vers qu'elle a censurés ou justifiés.
Racine se moqua de ce vers dans la farce des Plaideurs ; il y dit d'un vieux huissier :
Ses rides sur son front gravaient tous ses exploits.
Cette plaisanterie ne plut point du tout à l'auteur du Cid.
31. Ce que pour lui mon bras chaque jour exécute,
Me défend de penser qu'aucun me le dispute.
Vous voyez que ces deux derniers vers sont le fondement de la querelle qui doit suivre, et qu'ainsi on fait très mal de commencer aujourd'hui la pièce par la querelle imprévue du comte et de don Diègue.
II. Chimène, Elvire.
Corneille, fatigué de toutes les critiques qu'on faisait du Cid, et ne sachant plus à qui entendre, changea tout ce commencement en 1664. La pièce commençait ainsi :
Elvire, m'as-tu fait un rapport bien sincère ?
Ne me déguise rien de ce qu'a dit mon père.
Il me semble que, dans les deux premières scènes, la pièce est beaucoup mieux annoncée, l'amour de Chimène plus développé, le caractère du comte de Gormaz déjà annoncé ; et qu'enfin, malgré tous les défauts qu'on reprochait à Corneille, il eût encore mieux valu laisser la tragédie comme elle était que d'y faire ces faibles changements ; c'était l'amour de l'infante qu'il devait retrancher ; c'était les fautes dans le détail qu'il eût fallu corriger.
12. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Son père,
Au sortir du conseil, doit proposer l'affaire.
Proposez l'affaire est encore du style comique ; mais observons que le Cid fut donné d'abord sous le titre de tragi-comédie.
15. Il semble toutefois que mon âme troublée
Refuse cette joie et s'en trouve accablée.
Un moment donne au sort des usages divers.
Ces pressentiments réussissent presque toujours. On craint avec le personnage auquel on commence à s'intéresser ; mais il faudrait peut-être une autre cause à ce pressentiment que le lieu commun des changements du sort, et une autre expression que les visages divers. Ce morceau est traduit de Diamante (1) :
El alma indecisa
Teme llegar à anegarse
En ese profundo abismo
De gloria, y felicidades.
Que en un dia, en un momento,
Muda el hado de semblante,
Y despues de una fortuna,
Suele llegar un desastre.
1 – Ou plutôt a été traduit par Diamante. (G.A.)