MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS - Les colimaçons - Partie 2

Publié le par loveVoltaire

MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS - Les colimaçons - Partie 2

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MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS.

 

 

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LES COLIMAÇONS

 

 

DU RÉVÉREND PÈRE L'ESCARBOTIER,

PAR LA GRÂCE DE DIEU CAPUCIN INDIGNE,

PRÉDICATEUR ORDINAIRE ET CUISINIER DU

GRAND COUVENT DE LA VILLE DE CLERMONT

EN AUVERGNE, AU RÉVÉREND PÈRE ÉLIE,

CARME DÉCHAUSSÉ, DOCTEUR EN THÉOLOGIE.

 

 

 

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SECONDE LETTRE.

 

 

 

 

 

      Mes confrères ne pouvaient croire d'abord qu'un être qu'ils mangeaient ressuscitât. J'avais beau leur mettre sous les yeux l'exemple des écrevisses, auxquelles il revient des pattes ; de certains vers de terre, non pas tous, auxquels il revient des queues ; de nos cheveux, de nos dents, de notre peau, qui renaissent ; ils me disaient que notre peau, nos dents, nos cheveux, nos ongles, et les pattes d'écrevisses, ne pensent point ; que la tête est le siège de la pensée et le principe de la sensation ; que l'âme d'un colimaçon réside dans sa glande pinéale ; qu'elle s'enfuit quand la tête est coupée, et ne revient jamais ; qu'on n'a point vu d'homme sans tête penser, marcher, raisonner, parler ; et que , si cela est arrivé à saint Denis et à d'autres, c'est un miracle qui était nécessaire dans les temps où il fallait planter la foi, mais qui ne l'est plus quand la foi a jeté ses profondes racines.

 

     Je leur répondis qu'on avait depuis peu ressuscité deux pendus, qui se mirent à penser dès qu'ils purent manger. Je leur citai ce brave chirurgien qui prétend très possible de mettre une tête sur le cou d'un décapité. Il n'y a, dit-il, qu'à faire tenir le patient debout, au lieu de le faire mettre ridiculement à genoux, la tête basse, ce qui dérange le cours des esprits animaux :

 

 

Os homini sublime dedit, cœlumque tueri

Jussit, et erectos ad sidera tollere vultus.

 

(OVIDE, Met., I, 85,86)

 

 

      Il faut que le patient conserve sa position verticale, qu'un homme adroit et vigoureux lui pose deux mains fermes sur la tête ; et dès que l'exécuteur de la justice ou injustice aura coupé, le chirurgien-major et deux aides recoudront promptement la peau. Alors, rien n'ayant été dérangé, le sang coulant dans les mêmes canaux et le fluide nerveux dans les mêmes muscles, la pensée restera toujours à la place où elle était. Voilà comme ce profond anatomiste explique la chose selon les principes de Haller.

 

      Un de nos pères, qui a professé longtemps la philosophie, fut très content de ce système. Cela est bel et bon, dit-il ; mais qu'est devenue l'âme de votre limace incoque et de votre escargot pendant tout le temps que la tête était séparée du corps ? Elle n'était pas dans cette tête coupée qui pourrit au bout de quelques heures. Était-elle dans ce corps sans tête ? Y avait-il dans ce corps un germe de quatre cornes, d'yeux, de gosier, de dents, de mufle, et de pensée ?

 

      Cette question curieuse en fit naître d'autres; nous demandâmes tous ce que c'est qu'une âme. Nous ressemblions aux médecins du Malade imaginaire :

 

 

Quare

Opium facit dormire ?

Qui est in eo

Virtus soptiva

Quæ facit sopire.

Quare

Anima facit cogitare ?

Quia est in ea

Virtus pensativa

Quæ facit pensare.

 

 

     Vous, mon révérend père, dont l'esprit est si immense et si creux, dites-moi, je vous prie, ce que c'est qu'une âme, et comment elle peut être reproduite dans un corps sans tête.

 

 

 

 

 

 

RÉPONSE DU RÉVÉREND PÈRE ÉLIE,

CARME CHAUSSÉ.

 

 

 

 

      La question que vous me proposez, mon révérend père, est la chose du monde la plus simple et la plus claire, pour peu qu'on ait étudié en théologie. Le grand saint Thomas, l'ange de l'école, dit en termes exprès : L'âme est en toutes les parties du corps selon la totalité de sa perfection, et de son essence, et non selon la totalité de sa vertu (1).

 

     Or la mémoire, en tant que vertu conservatrice des espèces inintelligibles, regarde en partie l'intellect ; et, en tant que représentant le passé comme le passé, regarde l'âme sensitive : donc les colimaçons ont une âme.

      Or il est dit que l'âme des brutes est dans le sang. Mais les colimaçons n'ont point de sang : donc leur âme est dans leurs cornes ; ce qui était à démontrer.

 

      Pour les limaces incoques à qui on a coupé la tête, c'est tout autre chose. Une âme étant si subtile qu'il en tiendrait cent mille sur une puce, il arrive qu'aussitôt que la tête de la limace a été coupée, l'âme s'enfuit à son derrière, et y reste jusqu'à ce que la tête soit reproduite ; alors elle reprend son ancien domicile. Rien n'est plus naturel et plus à sa place. La reproduction des parties génitales serait bien plus intéressante ; et c'est sur cela que je vous prie de faire les expériences les plus exactes.

 

   Si vous avez encore quelque difficulté, ne m'épargnez pas. Je salue le révérend père Ange de vino rubro, et le révérend père de pediculis. Je suis fâché de la petite scène que votre couvent a donnée dernièrement en se battant à coups de poing ; j'espère que tout tournera à la plus grande gloire de saint François d'Assise et du bienheureux Matthieu Baschi, que Dieu absolve.

 

 

 

 

1 – Question LXXXVI, partie première.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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