MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS - Chapitre XXXV

Publié le par loveVoltaire

MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS - Chapitre XXXV

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MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS.

 

 

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CHAPITRE XXXV.

 

 

 

Incertitudes en anatomie.

 

 

 

 

 

 

 

      Malgré tous les secours que le microscope a donnés à l'anatomie, malgré les grandes découvertes de tant d'habiles chirurgiens, de tant de médecins célèbres, que de disputes interminables se sont élevées, et dans quelle incertitude sommes-nous encore !

 

      Interrogez Borelli sur la force exercée par le cœur dans sa dilatation, dans sa diastole ; il vous assure qu'elle est égale à un poids de cent quatre-vingt mille livres. Adressez-vous à Keill, il vous certifie que cette force n'est que de cinq onces. Jurin vient, qui décide qu'ils se sont trompés ; et il fait un nouveau calcul ; mais un quatrième survenant prétend que Jurin s'est trompé aussi. La nature se moque d'eux tous, et pendant qu'ils disputent, elle a soin de notre vie ; elle fait contracter et dilater le cœur par des voies que l'esprit humain n'a pas encore pénétrées.

 

      On dispute depuis Hippocrate sur la manière dont se fait la digestion ; les uns accordent à l'estomac des sucs digestifs, d'autres les lui refusent. Les chimistes font de l'estomac un laboratoire. Hecquet en fait un moulin. Heureusement la nature nous fait digérer sans qu'il soit nécessaire que nous sachions son secret. Elle nous donne des appétits, des goûts, et des aversions, pour certains aliments, dont nous ne pourrons jamais savoir la cause.

 

      On dit que notre chyle se trouve déjà tout formé dans les aliments mêmes, dans une perdrix rôtie. Mais que tous les chimistes ensemble mettent des perdrix dans une cornue, ils n'en retireront rien qui ressemble ni à une perdrix ni au chyle. Il faut avouer que nous digérons ainsi que nous recevons la vie, que nous la donnons, que nous dormons, que nous sentons, que nous pensons, sans savoir comment.

 

      Nous avons des bibliothèques entières sur la génération, mais personne ne sait encore seulement quel ressort produit l'intumescence dans la partie masculine.

 

      On parle d'un suc nerveux qui donne la sensibilité à nos nerfs ; mais ce suc n'a pu être découvert par aucun anatomiste.

 

      Les esprits animaux, qui ont une si grande réputation, sont encore à découvrir.

 

      Votre médecin vous fera prendre une médecine, et ne sait pas comment elle vous purge.

 

      La manière dont se forment nos cheveux et nos ongles nous est aussi inconnue que la manière dont nous avons des idées. Le plus vil excrément confond tous les philosophes.

 

      Winslow et Lemeri entassent mémoires sur mémoires touchant la génération des mulets ; les savants se partagent : l'âne, fier et tranquille, sans se mêler de la dispute, subjugue cependant sa cavale, qui lui donne un beau mulet. La nature agit, et nous disputons.

 

      M. Ulloa (1), si célèbre par les services qu'il a rendus à la physique, et par l'Histoire philosophique de ses voyages, assure que, dans un canton de l'Amérique méridionale, il a vu plusieurs fois, observé, mangé des écrevisses, qui toutes étaient constamment plus charnues dans la pleine lune, et plus chétives dans les quadratures. Il a vu et employé de gros roseaux qui éprouvaient les mêmes influences, étant plus nourris d'eau quand la lune était dans son plein que dans le temps du croissant, et du décours. Il eût été à souhaiter qu'il eût donné plus de détails de ces étonnantes singularités. Ni les écrevisses ni les roseaux de nos climats ne subissent de pareils changements. Pourquoi la lune agirait-elle sur les écrevisses du Pérou, et négligerait-elle celles de notre continent ? Pourquoi ne serait-ce que dans un seul canton du Pérou que les roseaux et les écrevisses seraient soumis à l'empire de la lune ? Je ferais un trop gros livre, si je voulais détailler tout ce que je n'ai jamais pu comprendre.

 

 

 

 

1 – Ulloa, collègue de Bouguer, dans le voyage en Amérique pour la mesure d'un arc de méridien, a donné son nom à l'explication d'une cercle lumineux blanc, qu'on voit dans certains cas. (DELAVAUT.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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