POÈME : Sur la mort de Mademoiselle Adrienne LECOUVREUR

Publié le par loveVoltaire

POÈME : Sur la mort de Mademoiselle Adrienne LECOUVREUR
POÈME : Sur la mort de Mademoiselle Adrienne LECOUVREUR

Portrait de Adrienne LECOUVREUR

 

 

 

LA MORT DE MADEMOISELLE LECOUVREUR,


 

CÉLÈBRE ACTRICE.

 





  

  

 

−  1730  −

 

 

 

[Adrienne Lecouvreur étant morte le 20 Mai 1730, et le clergé ayant refusé de l’enterrer, on dut enfouir le corps de l’actrice dans un terrain vague de la rue de Bourgogne. Voltaire, indigné, envoya de Rouen, où il était alors, les vers suivants à son ami Thieriot. C’est un morceau admirable que Frédéric de Prusse mit en musique.] (G.A.)

 

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Que vois-je ? Quel objet ! Quoi ! Ces lèvres charmantes,

Quoi ! Ces yeux d’où partaient ces flammes éloquentes,

Éprouvent du trépas les livides horreurs !

Muses, Grâces, Amours, dont elle fut l’image,

O mes dieux et les siens, secourez votre ouvrage !

Que vois-je ? C’en est fait, je t’embrasse, et tu meurs !

Tu meurs ! On sait déjà cette affreuse nouvelle ;

Tous les cœurs sont émus de ma douleur mortelle.

J’entends de tous côtés les Beaux-Arts éperdus

S’écrier en pleurant : « Melpomène n’est plus ! »

Que direz-vous, race future,

Lorsque vous apprendrez la flétrissure injure

Qu’à ces Arts désolés font des hommes cruels ?

Ils privent de la sépulture

Celle qui dans la Grèce aurait eu des autels.

Quand elle était au monde, ils soupiraient pour elle ;

Je les ai vus soumis, autour d’elle empressés :

Sitôt qu’elle n’est plus, elle est donc criminelle ?

Elle a charmé le monde, et vous l’en punissez !

Non, ces bords désormais ne seront plus profanes ;

Ils contiennent ta cendre ; et ce triste tombeau,

Honoré par nos chants, consacré par tes mânes,

Est pour nous un temple nouveau !

Voilà mon Saint-Denis ; oui ; c’est là que j’adore

Tes talents, ton esprit, tes grâces, tes appas :

Je les aimai vivants, je les encense encore

Malgré les horreurs du trépas,

Malgré l’erreur et les ingrats,

Que seuls de ce tombeau l’opprobre déshonore.

Ah ! Verrai-je toujours ma faible nation,

Incertaine en ses vœux, flétrir ce qu’elle admire,

Nos mœurs avec nos lois toujours se contredire,

Et le Français volage endormi sous l’empire

De la superstition ?

Quoi ! N’est-ce donc qu’en Angleterre

Que les mortels osent penser ?

O rivale d’Athènes, O Londres ! Heureuse terre !

Ainsi que les tyrans vous avez su chasser

Les préjugés honteux qui vous livraient la guerre.

C’est là qu’on sait tout dire, et tout récompenser ;

Nul art n’est méprisé, tout succès à sa gloire,

Le vainqueur (1) de Tallard, le fils de la victoire,

Le sublime Dryden et le sage Addison,

Et la charmante Ophils (2), et l’immortel Newton,

Ont part au temple de mémoire :

Et Lecouvreur à Londres aurait eu des tombeaux

Parmi les beaux esprits, les rois, et les héros.

Quiconque a des talents à Londres est un grand homme.

L’abondance et la liberté

Ont, après deux mille ans, chez vous ressuscité

L’esprit de la Grèce et de Rome.

Des lauriers d’Apollon dans nos stériles champs

La feuille négligée est-elle donc flétrie ?

Dieu ! Pourquoi mon pays n’est-il plus la patrie

Et de la gloire et des talents ?

 

 

 

 

1 – Marlborough. (G.A.)

 

2 – L’actrice Oldfields, enterrée à Westminster. (G.A.)

 


 

 

 

 

 

 

 

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