MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS - Chapitre XXVII
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MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS.
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CHAPITRE XVII.
Idées de Palissy sur les coquilles prétendues.
Avant que Bernard Palissy eût prononcé que cette mine de marne de trois lieues d'étendue n'était qu'un amas de coquilles, les agriculteurs étaient dans l'usage de se servir de cet engrais, et ne soupçonnaient pas que ce fussent uniquement des coquilles qu'ils employassent. N'avaient-ils pas des yeux ? Pourquoi ne crut-on pas Palissy sur sa parole ? Ce Palissy d'ailleurs était un peu visionnaire.Il fit imprimer le livre intitulé, « Le moyen de devenir riche, et la manière véritable par laquelle tous les hommes de France pourront apprendre à multiplier et à augmenter leurs trésors et possessions, par maître Bernard Palissy, inventeur des rustiques figurines du roi. » Il tint à Paris une école, où il fit afficher qu'il rendrait l'argent à ceux qui lui prouveraient la fausseté de ses opinions. Cette espèce de charlatanerie décrédita ses coquilles jusqu'au temps où elles furent remises en honneur par un académicien célèbre qui enrichit les découvertes des Swammerdam, des Leuvenhoeck, par l'ordre dans lequel il les plaça et qui voulut rendre de grands services à la physique. L'expérience, comme on l'a déjà dit, est trompeuse ; il faut donc examiner encore ce falun. Il est certain qu'il pique la langue par une légère âcreté ; c'est un effet que les coquilles ne produiront pas. Il est indubitable que le falun est une terre calcaire et marneuse ; il est indubitable aussi qu'elle renferme quelques coquilles de moules à dix, à quinze pieds de profondeur. L'auteur estimable de l'Histoire naturelle, aussi profond dans ses vues qu'attrayant par son style, dit expressément : « Je prétends que les coquilles sont l'intermède que la nature emploie pour former la plupart des pierres. Je prétends que les craies, les marnes, et les pierres à chaux, ne sont composées que de poussière et de détriments de coquilles. »
On peut aller trop loin, quelque habile physicien que l'on soit. J'avoue que j'ai examiné pendant douze ans de suite la pierre à chaux que j'ai employée, et que ni moi ni aucun des assistants n'y avons aperçu le moindre vestige de coquilles.
A-t-on donc besoin de toutes ces suppositions pour prouver les révolutions que notre globe a essuyées dans des temps prodigieusement reculés ? Quand la mer n'aurait abandonné et couvert tour à tour les terrains bas de ses rivages que le long de deux mille lieues sur quarante de large dans les terres, ce serait un changement sur la surface du globe de quatre-vingt mille lieues carrées.
Les éruptions des volcans, les tremblements, les affaissements des terrains, doivent avoir bouleversé une assez grande quantité de la surface du globe ; des lacs, des rivières, ont disparu, des villes ont été englouties, des îles se sont formées, des terres ont été séparées : les mers intérieures ont pu opérer des révolutions beaucoup plus considérables. N'en voilà-t-il pas assez ? Si l'imagination aime à se représenter ces grandes vicissitudes de la nature, elle doit être contente.
J'avoue encore qu'il est démontré aux yeux qu'il a fallu une prodigieuse multitude de siècles pour opérer toutes les révolution arrivées dans ce globe, et dont nous avons des témoignages incontestables. Les quatre cent soixante et dix mille ans dont les Babyloniens, précepteurs des Égyptiens, se vantaient, ne suffisent peut-être pas ; mais je ne veux point contredire la Genèse, que je regarde avec vénération. Je suis partagé entre ma faible raison, qui est mon seul flambeau, et les livres sacrés juifs, auxquels je n'entends rien du tout. Je me borne toujours à prier Dieu que des hommes ne persécutent pas des hommes ; qu'on ne fasse pas de cette terre si souvent bouleversée une vallée de misère et de larmes, dans laquelle des serpents destinés à ramper quelques minutes dans leurs trous dardent continuellement leur venin les uns contre les autres (1).
1 – Ce dernier alinéa est de 1774. (G.A.)