MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS - Chapitre XXII
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MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS.
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CHAPITRE XXII.
Des anciennes erreurs en physique.
Les erreurs de la fausse physique sont en bien plus grand nombre que les vérités découvertes. Presque tout est absurde dans Lucrèce : voyez seulement le quatrième et le cinquième livre, vous y trouverez que des simulacres émanent des corps pour venir frapper notre vue et notre odorat.
Quàm primum noscas rerum simulacra vagare, etc.
Lib. IV, 126.
Ergo multa brevi spatio simulacra geruntur. (160)
Les voix s'engendrent mutuellement,
Ex aliis aliæ quoniam gignuntur (608)
Le lion tremble et s'enfuit à la vue du coq.
Hunc nequeunt rapidi contra constare leones. (716.)
Les animaux se livrent au sommeil quand des trois parties de l'âme une est chassée au dehors, une autre se retire dans l'intérieur, et une troisième éparse dans les membres ne peut se réunir,
. . . . . . . . . . . Ut pars inde animaï
Ejiciatur, et introrsum pars abdita cedat,
Pars etiam distracta per artus non queat esse
Conjuncta inter se, nec motu mutua fungi. (942-945.)
Le soleil et les autres feux s'abreuvent des eaux de la terre,
. . . . . . . . . . . Cum sol et vapor monis.
Omnibus epotis humoribus exsuperarint.
(Lib. V, 384-5)
Le soleil et la lune ne sont pas plus grands qu'ils le paraissent,
Nec nimio solis major rota, nec minor, ardor,
Esse potest. (565-66.)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Lunaque …. nihilo fertur!majore figura. (575-77.)
Nous n'avons la nuit que parce que le soleil a épuisé ses feux durant le jour,
. . . . . . . . . . . Effavit languidus ignes. (651.)
Ou parce qu'il se cache sous la terre.
. . . . . Quia sub terras cursum convertere cogit. (453.)
Il ne faut pas croire qu'on trouve plus de vérités dans les Géorgiques de Virgile ; ses observations sur la nature ne sont pas plus vraies que sa triste apothéose d'Octave, surnommé Auguste, auquel il dit qu'on ne sait pas encore s'il voudra bien être dieu de la terre ou de la mer, et que le scorpion se retire pour lui laisser une place dans le ciel. Ce scorpion aurait mieux fait de s'allonger pour percer de son aiguillon l'auteur des proscriptions, et l'assassin des citoyens de Pérouse.
Il commence par dire que le lin et l'avoine brûlent la terre,
Urit enim lini campum seges, urit avenæ (Georg., I, 77.)
Selon lui, les peuples qui habitent les climats de l'Ourse sont plongés dans une nuit éternelle, ou bien l'étoile du soir luit pour eux quand nous avons l'aurore,
Illic (ut perhibent) aut intempesta silet nox
Semper, et obtenta densantur nocte tenebræ
Aut redit a nobis Aurora, diemque reducit :
Nosque ubi primus equis Oriens afflavit anhelis,
Illic sera rubens accendit lumina Vesper. (257-61.)
On sait assez que ce sont nos antipodes de l'orient chez qui la nuit arrive quand le soleil commence à luire pour nous, et non pas les peuples du nord qui peuvent être sous le même méridien que nous (1).
N'entreprenez rien, dit-il, le cinquième jour de la lune, car c'est le jour que les Titans combattirent contre les dieux,
Quintam fuge, etc. (277.)
Le dix-septième jour de la lune est très heureux pour planter la vigne et pour dompter les bœufs,
Septima post deciman felix, etc. (284.)
Les étoiles tombent du ciel dans un grand vent,
Sæpe etiam stellas vento impendente videbis
Præcipite cælo labi … (365-66.)
Les cavales sont fécondées par le zéphyr ; leur matrice distille le poison de l'hippomane.
Tous les fleuves sortent du sein de la terre ; et enfin les Géorgiques finissent par faire naître des abeilles du cuir d'un taureau.
Quiconque, en un mot, croirait connaître la nature en lisant Lucrèce et Virgile, meublerait sa tête d'autant d'erreurs qu'il y en a dans les Secrets du petit Albert, ou dans les anciens Almanachs de Liège. D'où vient donc que ces poèmes sont si estimés ? Pourquoi sont-ils lus avec tant d'avidité par tous ceux qui savent bien la langue latine ? C'est à cause de leurs belles descriptions, de leur saine morale, de leurs tableaux admirables de la vie humaine. Le charme de la poésie fait pardonner toutes les erreurs, et l'esprit pénétré de la beauté du style ne songe pas seulement si on le trompe.
1 – Cette observation n'est pas entièrement exacte. On sait qu'au pôle nord le jour et la nuit sont l'un et l'autre de six mois environ, de sorte qu'en un an il n'y a qu'un jour et une nuit. (Delavaut.)