MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS - Chapitre XVIII

Publié le par loveVoltaire

MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS - Chapitre XVIII

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MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS.

 

 

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CHAPITRE XVIII.

 

 

 

Du système de Maillet, qui, de l'inspection

des coquilles, conclut que les poissons sont

les premiers pères des hommes.

 

 

 

 

 

     Maillet, dont nous avons déjà parlé, crut s'apercevoir au Grand-Caire que notre continent n'avait été qu'une mer dans l'éternité passée ; il vit des coquilles, et voici comme il raisonna : Ces coquilles prouvent que la mer a été pendant des milliers de siècles à Memphis : donc les Égyptiens et les singes viennent incontestablement des poissons marins.

 

      Les anciens habitants des bords de l'Euphrate ne s'éloignaient pas beaucoup de cette idée, quand ils débitèrent que le fameux poisson Oannès sortait tous les jours du fleuve pour les venir catéchiser sur le rivage. Dercéto, qui est la même que Vénus, avait une queue de poisson. La Vénus d'Hésiode naquit de l'écume de la mer.

 

      C'est peut-être suivant cette cosmogonie qu'Homère dit que l'océan est le père de toutes choses ; mais, par ce mot d'océan, il n'entend, dit-on, que le Nil, et non notre mer océane, qu'il ne connaissait pas.

 

      Thalès apprit aux Grecs que l'eau est le premier principe de la nature. Ses raisons sont que la semence de tous les animaux est aqueuse ; qu'il faut de l'humidité à toutes les plantes, et qu'enfin les étoiles sont nourries des exhalaisons humides de notre globe. Cette dernière raison est merveilleuse ; et il est plaisant qu'on parle encore de Thalès, et qu'on veuille savoir ce qu'Athénée et Plutarque en pensaient.

 

      Cette nourriture des étoiles n'aurait pas réussi dans notre temps ; et malgré les sermons du poisson Oannès, les arguments de Thalès, les imaginations de Maillet, malgré l'extrême passion qu'on a aujourd'hui pour les généalogies, il y a peu de gens qui croient descendre d'un turbot et d'une morue. Pour étayer ce système, il fallait absolument que toutes les espèces et tous les éléments se changeassent les uns en les autres. Les Métamorphoses d'Ovide devenaient le meilleur livre de physique qu'on ait jamais écrit.

 

      Notre globe a eu sans doute ses métamorphoses, ses changements de forme ; et chaque globe a eu les siennes, puisque tout étant en mouvement, tout a dû nécessairement changer ; il n'y a que l'immobilité qui soit immuable, la nature est éternelle ; mais nous autres nous sommes d'hier. Nous découvrons mille signes de variations sur notre petite sphère. Ces signes nous apprennent que cent villes ont été englouties, que des rivières ont disparu, que dans de longs espaces de terrain on marche sur des débris. Elles ne sont rien du tout pour l'univers, et presque rien pour notre globe. La mer qui laisse des coquilles sur un rivage qu'elle abandonne, est une goutte d'eau qui s'évapore au bord d'une petite tasse ; les tempêtes les plus horribles ne sont que le léger mouvement de l'air produit par l'aile d'une mouche. Toutes nos énormes révolutions sont un grain de sable à peine dérangé de sa place. Cependant que de vains efforts pour expliquer ces petites choses ! Que de systèmes, que de charlatanisme pour rendre compte de ces légères variations si terribles à nos yeux ! Que d'animosités dans ces disputes ! Les conquérants qui ont envahi le monde n'ont pas été plus orgueilleux et plus acharnés que les vendeurs d'orviétan qui ont prétendu le connaître.

 

      La terre est un soleil encroûté, dit celui-ci ; c'est une comète qui a effleuré le soleil, dit celui-là. En voici un qui crie que cette huître est une médaille du déluge ; un autre lui répond qu'elle est pétrifiée depuis quatre milliards d'années. Hé ! Pauvres gens qui osez parler en maîtres, vous voulez m'enseigner la formation de l'univers, et vous ne savez pas celle d'un ciron, celle d'une paille (1) !

 

 

 

 

 

1 – Il est à remarquer que Voltaire emploie ici un argument qu'il a réfuté plus haut, dans sa lettre à M*** sur le système de Newton. (DELAVAUT.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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