MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS - Chapitre XII

Publié le par loveVoltaire

MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS - Chapitre XII

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MÉMOIRES ET TRAITÉS DIVERS.

 

 

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CHAPITRE XII.

 

(1)

 

Des coquilles, et des systèmes bâtis sur des coquilles.

 

 

 

 

 

 

      Il est arrivé aux coquilles la même chose qu'aux anguilles ; elles ont fait éclore des systèmes nouveaux. On trouve dans quelques endroits de ce globe des amas de coquillages ; on voit dans quelques autres des huîtres pétrifiées : de là on a conclu que, malgré les lois de la gravitation et celles des fluides, et malgré la profondeur du lit de l'océan, la mer avait couvert toute la terre il y a quelques millions d'années.

 

      La mer ayant inondé ainsi successivement la terre a formé les montagnes par ses courants, par ses marées ; et quoique son flux ne s'élève qu'à la hauteur de 15 pieds dans ses plus grandes intumescences sur nos côtes, elle a produit des roches hautes de 18 000 pieds.

 

      Si la mer a été partout, il y a eu un temps où le monde n'était peuplé que de poissons. Peu à peu les nageoires sont devenues des bras, la queue fourchue s'étant allongée a formé des cuisses et des jambes ; enfin les poissons sont devenus des hommes, et tout cela s'est fait en conséquence des coquilles, qu'on a déterrées. Ces systèmes valent bien l'horreur du vide, les formes substantielles, la matière globuleuse, subtile, cannelée, striée, la négation de l'existence des corps, la baguette divinatoire de Jacques Aimard, l'harmonie préétablie et le mouvement perpétuel.

 

      Il y a, dit-on, des débris immenses de coquilles auprès de Maestricht. Je ne m'y oppose pas, quoique je n'y en aie vu qu'une très nette quantité. La mer a fait d'horribles ravages dans ces quartiers-là ; elle a englouti la moitié de la Frise ; elle a couvert des terrains autrefois fertiles, elle en abandonne d'autres. C'est une vérité reconnue, personne ne conteste les changements arrivés sur la surface du globe dans une longue suite de siècles. Il se peut physiquement, et sans oser contredire nos livres sacrés, qu'un tremblement de terre ait fait disparaître l'île Atlantide 9,000 ans avant Platon, comme il le rapporte, quoique ses mémoires ne soient pas sûrs. Mais tout cela ne prouve pas que la mer ait produit le mont Caucase, les Pyrénées et les Alpes.

 

     On prétend qu'il y a des fragments de coquillages à Montmartre et à Courtagnon auprès de Reims. On en rencontre presque partout, mais non pas sur la cime des montagnes, comme le suppose le système de Maillet.

 

      Il n'y en a pas une seule sur la chaîne des hautes montagnes depuis la Sierra-Morena jusqu'à la dernière cime de l'Apennin. J'en ai fait chercher sur le mont Saint-Gothard, sur le Saint-Bernard, dans les montagnes de la Tarentaise : on n'en a pas découvert.

 

      Un seul physicien m'a écrit qu'il a trouvé une écaille d'huître pétrifiée vers le Mont-Cenis. Je dois le croire, et je suis très étonné qu'on n'y en ait pas vu des centaines. Les lacs voisins nourrissent de grosses moules dont l'écaille ressemble parfaitement aux huîtres ; on les appelle même petites huîtres dans plus d'un canton.

 

      Est-ce d'ailleurs une idée tout à fait romanesque de faire réflexion sur la foule innombrable de pèlerins qui partaient à pied de Saint-Jacques en Galice, et de toutes les provinces, pour aller à Rome par le Mont-Cenis chargés de coquilles à leurs bonnets ? Il en venait de Syrie, d'Égypte, de Grèce, comme de Pologne et d'Autriche. Le nombre des romipètes a été mille fois plus considérable que celui des hagi qui ont visité la Mecque et Médine, parce que les chemins de Rome sont plus faciles, et qu'on n'était pas forcé d'aller par caravanes. En un mot une huître près du Mont-Cenis ne prouve pas que l'océan Indien ait enveloppé toutes les terres de notre hémisphère.

 

      On rencontre quelquefois en fouillant la terre des pétrifications étrangères, comme on rencontre dans l'Autriche des médailles frappées à Rome. Mais pour une pétrification étrangère il y en a mille de nos climats.

 

     Quelqu'un a dit (2) qu'il aimerait autant croire le marbre composé de plumes d'autruche que de croire le porphyre composé de points d'oursin. Ce quelqu'un-là avait grande raison, si je ne me trompe.

 

      On découvrit, ou l'on cru découvrir, il y a quelques années, les ossements d'un renne et d'un hippopotame près d'Etampes, et de là on conclut que le Nil et la Laponie avaient été autrefois sur le chemin de Paris à Orléans. Mais on aurait dû plutôt soupçonner qu'un curieux avait eu autrefois dans son cabinet le squelette d'un renne et celui d'un hippopotame (3). Cent exemples pareils invitent à examiner longtemps avant que de croire.

 

 

 

 

 

1 – Dans les éditions de Kehl ce chapitre et les six suivants sont placés dans le Dictionnaire philosophique, article COQUILLES. (G.A.)

 

2 – Voltaire lui-même. (G.A.)

 

3 – Ou que le climat permettait autrefois l'existence de ces animaux et de tant d'autres. (Delavaut.)

 

 

 

 

 

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