OPÉRA - LE BARON D'OTRANTE - ACTE I - Scènes I à III - Partie 2
Photo de PAPAPOUSS
LE BARON D'OTRANTE.
PERSONNAGES.
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LE BARON D'OTRANTE.
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IRÈNE.
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UNE GOUVERNANTE.
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ABDALLA, corsaire turc.
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CONSEILLERS PRIVÉS DU BARON.
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HOBEREAUX ET FILLES D'OTRANTE.
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TROUPE DE TURCS.
La scène est dans le château du baron.
Le théâtre représente un salon magnifique.
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ACTE PREMIER.
SCÈNE I.
LE BARON, seul, en robe de chambre, couché sur un lit de repos.
(Il chante.)
Ah ! que je m'ennuie :
Je n'ai point encore eu de plaisir ce matin.
(Il se lève et se regarde au miroir.)
On m'assure, pourtant que les jours de ma vie
Doivent couler, couler sans ombre de chagrin.
Je prétends qu'on me réjouisse
Dès que j'ai le moindre désir.
Holà ! Mes gens, qu'on m'avertisse
Si je puis avoir du plaisir.
SCÈNE II.
LE BARON, UN CONSEILLER PRIVÉ, en grande perruque, en
habit feuille-morte et en manteau noir ; il entre une foule de
HOBEREAUX ET DE FILLES D'OTRANTE.
LE CONSEILLER.
Monseigneur, notre unique envie
Est de vous voir heureux dans votre baronnie :
D'un seigneur tel que vous c'est l'unique destin.
LE BARON.
Ah! que je m'ennuie !
Je n'ai point encore eu de plaisir ce matin.
(On habille monseigneur.)
LE CONSEILLER.
C'est aujourd'hui le jour où le ciel a fait naître
Dans ce fameux château notre adorable maître.
Nous célébrons ce jour par des jeux bien brillants...
LE BARON.
Et quel âge ai-je donc ?
LE CONSEILLER.
Vous avez dix-huit ans.
LE BARON.
Ah ! me voilà majeur !
LE CONSEILLER.
Les barons à cet âge
De leur majorité font le plus noble usage ;
Ils ont tous de l'esprit, ils sont pleins de bon sens ;
Ils font, quand il leur plaît, la guerre aux musulmans,
Rançonnent leurs vassaux à leurs ordres tremblants,
Vident leurs coffres-forts, ou coupent leurs oreilles ;
Ils n'entreprennent rien dont on ne vienne à bout.
Ils font tout d'un seul mot, bien souvent rien du tout ;
Et quand ils sont oisifs, ils font toujours merveilles.
LE BARON.
On me l'a toujours dit ; je fus bien élevé.
Or çà, répondez-moi, mon conseiller privé :
Ai-je beaucoup d'argent ?
LE CONSEILLER.
Fort peu, mais on peut prendre
Celui de vos fermiers, et même sans le rendre.
LE BARON.
Et des soldats ?
LE CONSEILLER.
Pas un ; mais en disant deux mots
Tous les manants d'ici deviendront des héros.
LE BARON.
Ai-je quelque galère ?
LE CONSEILLER.
Oui, seigneur ; votre altesse
A des bois, une rade, et quand elle voudra
On fera des vaisseaux : l'Hellespont tremblera ;
Elle sera des mers souveraine maîtresse.
LE BARON.
Je me vois bien puissant.
LE CONSEILLER.
Nul ne l'est plus que vous.
Seigneur, goûtez en paix ce destin noble et doux :
Ne vous mêlez de rien, chacun pour vous travaille.
LE BARON.
Étant donc si fortuné, d'où vient donc que je bâille ?
LE CONSEILLER.
Seigneur, ces bâillements sont l'effet d'un grand cœur
Qui se sent au-dessus de toute sa grandeur.
Ce beau jour de gala, ce beau jour de naissance
Célèbre son bonheur ainsi que son pouvoir ;
Et monseigneur, sans doute, aura la complaisance
De prendre du plaisir, puisqu'il en veut avoir.
Vous serez harangué ; c'est le premier devoir :
Les spectacles suivront ; c'est notre antique usage.
LE BARON.
Tout cela bien souvent fait bâiller davantage ;
Les harangues surtout ont ce don merveilleux.
O ciel ! je vois Irène arriver en ces lieux !
Irène, si matin, vient me rendre visite !
Mes conseillers privés, qu'on s'en aille au plus vite.
Ma cousine paraît ; je ne bâillerai plus.
SCÈNE III.
LE BARON, IRÈNE.
LE BARON, chante.
Belle Irène, belle cousine,
Ma langueur chagrine
S'en va quand je te vois :
L'amour vole à ta voix ;
Tes yeux m'inspirent l'allégresse,
Ton cœur fait mon destin :
Tout m'ennuyait, tout m'intéresse ;
Je commence à goûter du plaisir ce matin.
Mais répondez-moi donc en chansons, belle Irène ;
C'est dans ces lieux chéris une loi souveraine
Dont ni berger ni roi ne se peut écarter ;
Si l'on y parle un peu, ce n'est que pour chanter.
Vous avez une voix si tendre et si touchante !
IRÈNE.
Il n'est point à propos, mon cousin, que je chante ;
Je n'en ai nulle envie ; on pleure dans Otrante :
Vos conseillers privés prennent tout notre argent ;
Vous ne songez à rien, et l'on vous fait accroire
Que tout le monde est fort content.
LE BARON.
Je le suis avec vous, j'y mets toute ma gloire.
IRÈNE.
Sachez que pour me plaire il vous faudra changer ;
D'une mollesse indigne il faut vous corriger;
Sans cela point de mariage.
Vous avez des vertus, vous avez du courage ;
La nonchalance a tout gâté :
On ne vous a donné que des leçons stériles ;
On s'est moqué de vous, et votre oisiveté
Rendra vos vertus inutiles.
LE BARON.
Mes conseillers privés...
IRÈNE.
Seigneur, sont des fripons
Qui vous avaient donné de méchantes leçons,
Et qui vous nourrissaient d'orgueil et de fadaise,
Pour mieux pouvoir piller la baronnie à l'aise.
LE BARON.
Oui, l'on m'élevait mal ; oui, je m'en aperçois ;
Et je me sens tout autre alors que je vous vois.
On ne m'a rien appris, le vide est dans ma tête ;
Mais mon cœur plein de vous, et plein de ma conquête,
Me rendra digne enfin de plaire à vos beaux yeux ;
Étant aimé de vous, j'en vaudrai beaucoup mieux.
IRÈNE.
Alors, seigneur, alors, à vos vertus rendue ,
Je reprendrai pour vous la voix que j'ai perdue.
(Elle chante.)
Pour jamais je vous chérirai ;
De tout mon cœur je chanterai :
Amant charmant, aimez toujours Irène :
Régnez sur tous les cœurs, et préférez le mien ;
Que le temps affermisse un si tendre lien,
Que le temps redouble ma chaîne :
(Tous deux ensemble.)
Non, je ne m'ennuierai jamais ;
J'aimerai tout ma vie.
Amour, amour, lance tes traits,
Lance tes traits
Dans mon âme ravie.
Non, je ne m'ennuierai jamais ;
J'aimerai toute ma vie.
(On entend une grande rumeur et des cris.)
IRÈNE.
O ciel ! Quels cris affreux !
LE BARON.
Quel tumulte! quel bruit !
Quel étrange gala ! chacun court, chacun fuit.