ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS -RODOLPHE II - Partie 52.4
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RODOLPHE II.
QUARANTE-QUATRIÈME EMPEREUR.
(Partie 4)
1599. Par la mort du cardinal Battori, et par la fuite de Sigismond, la Transylvanie reste à l'empereur ; mais la Hongrie ne cesse d'être dévastée par les Turcs.Ceux qui s'étonnent aujourd'hui que ce pays si fertile soit si dépeuplé, en trouveront aisément la raison dans le nombre d'esclaves des deux sexes que les Turcs ont si souvent enlevés.
L'empereur, dans cette année, se résolut à affranchir enfin le Virtemberg de l'inféodation de l'Autriche. Le Virtemberg ne releva plus que de l'empire ; mais il doit toujours revenir à la maison d'Autriche, au défaut d'héritier.
1600. Les Turcs s'avancent jusqu'à Canise, sur la Drave, vers la Styrie. Le duc de Mercœur, célèbre prince de la maison de Lorraine, ne put empêcher la prise de cette forte place. Alors les peuples de Transylvanie et de Valachie refusent de reconnaître l'empereur.
1601. La fortune de Sigismond Battori est aussi inconstante que lui-même ; il rentre en Transylvanie, mais il y est défait par le parti des impériaux. Ce ne sont que des révolutions continuelles dans ces provinces. Heureusement ce même duc de Mercœur, qui n'avait pu ni défendre ni reprendre Canise, prend sur les Turcs Albe-Royale.
1602. Enfin l'archiduc Mathias, plus agissant que son frère, et secondé du duc de Mercœur, pénètre jusqu'à Bude ; mais il l'assiège inutilement. Tout cela ne fait qu'une guerre ruineuse, à charge à l'empereur et à l'empire.
Sigismond Battori, beaucoup plus malheureux, et méprisé par les Turcs qui ne le secouraient pas, va se rendre enfin aux troupes impériales sans aucune condition ; et ce prince qui devait épouser une archiduchesse, est alors trop heureux d'être baron en Bohême avec une pension très modique.
1603. Il y a toujours une fatalité qui arrête les conquêtes des Turcs. Mahomet III, qui menaçait de venir commander en personne une armée formidable, meurt à la fleur de son âge. Il laisse sur le trône des Ottomans son fils Achmet, âgé de quinze ans. Les factions troublent le sérail, et la guerre de Hongrie languit.
La diète de Ratisbonne promet cette fois quatre-vingt mois romains. Jamais l'empire n'avait encore donné un si puissant secours ; mais il ne fut guère fourni qu'en paroles.
Dans cette année, Lubeck, Dantzick, Cologne, Hambourg et Brême, villes de l'ancienne hanse d'Allemagne, obtiennent en France des privilèges que ces villes prétendaient avoir eus, et que le temps avait abolis. Les négociants de ces villes furent exemptés du droit d'aubaine, et le sont encore (1). Ce ne sont pas là des événements d'éclat, mais ils contribuent au bien public, et presque tous ceux qu'on a vus le détruisent.
1604. L'empereur est sur le point de perdre la partie de la Haute-Hongrie qui lui restait. Les exactions d'un gouverneur de Cassovie en sont cause. Ce gouverneur ayant exigé de l'argent d'un seigneur hongrois nommé Botskai, ce Hongrois se soulève, fait révolter une partie de l'armée, et se déclare seigneur de la Haute-Hongrie, sans oser prendre le titre de roi.
1605. Il ne reste à l'empereur en Hongrie que Presbourg ; les Turcs et le révolté Botskai avaient le reste. L'archiduc Mathias était dans Presbourg avec une armée, mais le grand-vizir était dans la ville de Pesth ; Botskai se fait proclamer prince de Transylvanie et reçoit solennellement dans Pesth la couronne de Hongrie, par les mains du grand-vizir. L'archiduc Mathias est obligé de s'accommoder avec les seigneurs hongrois, pour conserver ce qui reste de ce pays. Il fut stipulé que dans la suite les états de Hongrie, qui avaient toujours élu leur roi, éliraient eux-mêmes leur gouverneur au nom de leur roi. La nomination aux évêchés était un droit de la couronne. Mais les états exigèrent qu'on ne nommerait jamais que des Hongrois, et que les évêques nommés par l'empereur n'auraient point de part au gouvernement du royaume. Moyennant ces concessions et quelques autres, l'archiduc Mathias obtint que Botskai céderait la Transylvanie, et qu'il ne garderait de la Hongrie que la couronne d'or qu'il avait reçue du grand-vizir. Les Hongrois stipulèrent expressément que les religions luthérienne et calviniste seraient autorisées.
Sous ce gouvernement faible de Rodolphe, l'Allemagne n'était pourtant pas troublée. Il n'y avait alors que de très petites guerres intestines, comme celle du duc de Brunsvick, qui voulait soumettre la ville de Brunsvick, et du duc de Bavière, qui voulait subjuguer Donavert. Le duc de Bavière, riche et puissant, vint à bout de Donavert ; mais le duc de Brunsvick ne put prévaloir contre Brunsvick, qui resta longtemps encore libre et impériale. Elle était soutenue par la hanse teutonique. Les grands villes commerçantes pouvaient alors se défendre aisément contre les princes. On ne levait, comme on sait (2), de troupes qu'en cas de guerre. Ces milices nouvelles des princes et des villes étaient également mauvaises ; mais depuis que les princes se sont appliqués à tenir en tout temps des troupes disciplinées, les choses ont bien changé.
L'Allemagne d'ailleurs fut tranquille, malgré trois religions opposées l'une à l'autre, malgré les guerres des Pays-Bas, qui inquiétaient sans cesse les frontières, malgré les troubles de la Hongrie et de la Transylvanie. La faiblesse de Rodolphe en Allemagne n'eut pas le même sort que celle de Henri III en France. Tous les seigneurs sous Henri III voulurent devenir indépendants et puissants ; ils troublèrent tout ; mais les seigneurs allemands étaient ce que les seigneurs français voulaient être.
1606. L'Archiduc Mathias traite avec les Turcs, mais sans effet. Tant de traités avec les Turcs, avec les Hongrois, avec les Transylvains, ne sont que de nouvelles semences de troubles. Les Transylvains, après la mort de Botskai, élisent Sigismond Racoczi pour vayvode, malgré les traités faits avec l'empereur, et l'empereur le souffre.
1607-1608. Rodolphe, qui achetait si chèrement la paix chez lui, négocie pour l'établir enfin dans les Pays-Bas ; on ne pouvait l'avoir qu'aux dépens de la branche d'Autriche espagnole, comme il l'avait à ses dépens en Hongrie. La fameuse union d'Utrecht, de 1579, était trop puissante pour céder. Il fallait reconnaître les états-généraux des sept Provinces-Unies libres et indépendants. C'était principalement de l'Espagne que les sept provinces exigeaient cette reconnaissance authentique. Rodolphe leur écrit : « Vous êtes des états mouvants de l'empire ; votre constitution ne peut changer sans le consentement de l'empereur votre chef. » Les états-généraux ne firent pas seulement de réponse à cette lettre. Ils continuent à traiter avec l'Espagne, qui reconnut enfin, en 1609, leur indépendance.
Cependant cette philosophie tranquille et indifférente de Rodolphe, plus convenable à un homme privé qu'à un empereur (3), enhardit enfin l'ambition de l'archiduc Mathias, son frère ; il songe à ne lui laisser que le titre d'empereur, et à se faire souverain de la Hongrie, de l'Autriche, de la Bohême, dont Rodolphe négligeait le gouvernement. La Hongrie était envahie presque toute entière par les Turcs, et déchirée par ses factions, l'Autriche exposée, la Bohême mécontente. L'inconstant Battori, par une nouvelle vicissitude de sa fortune, venait encore d'être rétabli en Transylvanie par les suffrages de la nation, et par la protection du sultan. Mathias négociait avec Battori, avec les Turcs, avec les mécontents de la Hongrie Les états d'Autriche lui avaient fourni beaucoup d'argent. Il était à la tête d'une armée ; il prenait sur lui tous les soins, et voulait en recueillir le fruit.
L'empereur, retiré dans Prague, apprend les desseins de son frère, il craint pour sa sûreté. Il ordonne quelques levées à la hâte. Mathias, son frère, lève le masque ; il marche vers Prague. Les protestants de la Bohême prennent ce temps de crise pour demander de nouveaux privilèges à Rodolphe, qu'ils menacent d'abandonner. Ils obtiennent que le clergé catholique ne se mêlera plus des affaires civiles, qu'il ne fera aucune acquisition de terres sans le consentement des états, que les protestants seront admis à toutes les charges. Cette condescendance de l'empereur irrite les catholiques, il se voit réduit à recevoir la loi de son frère.
Il lui cède, le 11 mai, la Hongrie, l'Autriche, la Moravie ; il se réserve seulement dans ce triste accord, l'usufruit de la Bohême et la suzeraineté de la Silésie. Il se dépouillait de ce qu'il avait gouverné avec faiblesse, et qu'il ne pouvait plus garder. Son frère n'acquérait d'abord en effet que de nouveaux embarras. Il avait à se concilier les protestants de' l'Autriche, qui demandaient, les armes à la main, à leur nouveau maître l'exercice libre de leur religion, et auxquels il fallut l'accorder, du moins hors des villes. Il avait à ménager les Hongrois, qui ne voulaient pas qu'aucun Allemand eût chez eux de charge publique. Mathias fut obligé d'ôter aux Allemands leurs emplois en Hongrie. Voilà comme il tâchait de s'affermir pour être en état de résister enfin à la puissance ottomane.
1609. Plus la religion protestante gagnait de terrain dans les domaines autrichiens, plus elle devenait puissante en Allemagne. La succession de Clèves et de Juliers mit aux mains les deux partis, qui s'étaient longtemps ménagés depuis la paix de Passau. Elle fit renaître une ligue protestante plus dangereuse que celle de Smalcade, et produisit une ligue catholique. Ces deux factions furent prêtes de ruiner l'empire.
Les maisons de Brandebourg, de Neubourg, de Deux-Ponts, de Saxe, et enfin Charles d'Autriche, marquis de Burgau, se disputaient l'héritage de Jean-Guillaume, dernier duc de Clèves, Berg, et Juliers, mort sans enfants.
L'empereur crut mettre la paix entre les prétendants, en séquestrant les États que l'on disputait. Il envoie l'archiduc Léopold, son cousin, prendre possession du duché de Clèves ; mais d'abord l'électeur de Brandebourg, Jean-Sigismond, s'accorde avec le duc de Neubourg, son compétiteur, pour s'y opposer. L'affaire devient bientôt une querelle des princes protestants avec la maison d'Autriche. Les princes de Brandebourg et de Neubourg ; déjà en possession, et unis par le danger en attendant que l'intérêt les divisât, soutenus de l'électeur palatin, Frédéric IV, implorent le secours de Henri IV, roi de France.
Alors se formèrent les deux ligues opposées : la protestante, qui soutenait les maisons de Brandebourg et de Neubourg ; la catholique, qui prenait le parti de la maison d'Autriche. L'électeur palatin, Frédéric IV, quoique calviniste, était à la tête de tous les confédérés de la confession d'Augsbourg ; c'étaient le duc de Virtemberg, le landgrave de Hesse-Cassel, le margrave d'Anpach, le margrave de Bade-Dourlach, le prince d'Anhalt, plusieurs villes impériales. Ce parti prit le nom d'union évangélique.
Les chefs de la ligue catholique opposée étaient Maximilien, duc de Bavière, les électeurs catholiques, et tous les princes de cette communion. L'électeur de Saxe même se mit dans ce parti, tout luthérien qu'il était, dans l'espérance de l'investiture des duchés de Clèves et de Juliers. Le landgrave de Hess-Darmstadt, protestant, était aussi de la ligue catholique. Il n'y avait aucune raison qui pût faire de cette querelle une querelle de religion (4) ; mais les deux partis se servaient de ce nom pour animer les peuples. La ligue catholique mit le pape Paul V et le roi d'Espagne Philippe III dans son parti . L'union évangélique mit Henri IV dans le sien. Mais le pape et le roi d'Espagne ne donnaient que leur nom ; et Henri IV allait marcher en Allemagne à la tête d'une armée disciplinée et victorieuse, avec laquelle il avait déjà détruit une ligue catholique.
1610. Ces mots de ralliement, catholique, évangélique, ce nom du pape, dans une querelle toute profane, furent la véritable et unique cause de l'assassinat du grand Henri IV, tué, comme on sait, le 14 mai, au milieu de Paris par un fanatique imbécile et furieux. On ne peut en douter ; l'interrogatoire de Ravaillac, ci-devant moine, porte qu'il assassina Henri IV parce qu'on disait partout « qu'il allait faire la guerre au pape, et que c'était la faire à Dieu. »
Les grands desseins de Henri IV périrent avec lui. Cependant il resta encore quelque ressort de cette grande machine qu'il avait mise en mouvement. La ligue protestante ne fut pas détruite. Quelques troupes françaises, sous le commandement du maréchal de La Châtre, soutinrent le parti de Brandebourg et de Neubourg.
En vain l'empereur adjuge Clèves et Juliers, par provision à l'électeur de Saxe, à condition qu'il prouvera son droit ; le maréchal de La Châtre n'en prend pas moins Juliers, et n'en chasse pas moins les troupes de l'archiduc Léopold. Juliers reste en commun, pour quelque temps, à Brandebourg et Neubourg.
1611. L'extrême confusion où était alors l'Allemagne montre ce que Henri IV aurait fait s'il eût vécu. Rodolphe philosophait et s'occupait à fixer le mercure, dans Prague L'archiduc Léopold, chassé de Juliers avec son armée mal payée, va en Bohême la faire subsister de pillage. Il y usurpe aussi toute l'autorité de l'empereur, qui se voit dépouillé de tous côtés par les princes de son sang. Mathias, qui avait déjà forcé son frère à lui céder tant d'États, ne veut pas qu'un autre que lui dépouille le chef de sa maison. Il vient à Prague avec des troupes, et y force son frère à prier les États de le couronner par excès d'affection fraternelle.
Mathias est sacré roi de Bohême le 21 mai ; il ne reste à Rodolphe que le titre de roi, aussi vain pour lui que celui d'empereur.
1612. Rodolphe meurt le 20 janvier, à compter selon le nouveau calendrier. Il n'avait jamais voulu se marier (5). Sa maison, dont on avait tant craint la vaste puissance, n'eut presque aucune considération de son temps en Europe, depuis le commencement du dix-septième siècle. Sa nonchalance et la faiblesse de Philippe III en Espagne en furent la cause. Rodolphe avait perdu ses États, et conservé de l'argent comptant. On prétend qu'on trouva dans son épargne quatorze millions d'écus. Cela découvre une âme petite. Avec ces quatorze millions et du courage, il eût pu reprendre Bude sur les Turcs, et rendre l'empire respectable : mais son caractère le fit vivre en homme privé sur le trône ; et il fut plus heureux que ceux qui le dépouillèrent et le méprisèrent.
1 – Voyez, sur le droit d'aubaine, une note du chapitre CXCVII de l'Essai. (G.A.)
2 – Voyez aux années 1532 et 1541. (G.A.)
3 – Rodolphe était plutôt faible d'esprit que philosophe. Il n'était que l'instrument des jésuites, et se montrait fort intolérant. (G.A.)
4 – Il y avait au contraire une raison. La cour de Madrid ne voulait pas qu'un prince protestant et non dévoué à l'Espagne s'établit dans le voisinage des Pays-Bas. (G.A.)
5 – Il y avait un harem et changeait de maîtresse tous les huit jours. (G.A.)