ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - LÉOPOLD Ier - Partie 56.4

Publié le par loveVoltaire

ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - LÉOPOLD Ier - Partie 56.4

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SIÈGE DE VIENNE, EN 1683, ET SES SUITES.

 

 

 

 

 

Ce siège de Vienne doit fixer les regards de la postérité. La ville était devenue, sous dix empereurs consécutifs de la maison d'Autriche, la capitale de l'empire romain en quelque sorte ; mais elle n'était ni forte ni grande. Cette capitale prise, il n'y avait, jusqu'au Rhin, aucune place capable de résistance.

 

Vienne et ses faubourgs contenaient environ cent mille citoyens, dont les deux tiers habitaient ces faubourgs sans défense. Kara Mustapha s'avançait sur la droite du Danube, suivi de trois cent trente mille hommes, en comptant tout ce qui servait à cet armement formidable. On a prétendu que le dessein de ce grand-vizir était de prendre Vienne pour lui-même, et d'en faire la capitale d'un nouveau royaume indépendant de son maître. Tékéli, avec ses mécontents de Hongrie, était vers l'autre rive du Danube. Toute la Hongrie était perdue, et Vienne menacée de tous côtés. Le duc Charles de Lorraine n'avait qu'environ vingt-quatre mille combattants à opposer aux Turcs, qui précipitaient leur marche. Un petit combat à Pétronel, non loin de Vienne, venait encore de diminuer la faible armée de ce prince.

 

Le 7 juillet, l'empereur Léopold, l'impératrice sa belle-mère, l'impératrice sa femme, les archiducs, les archiduchesses, toute leur maison, abandonnent Vienne et se retirent à Lintz. Les deux tiers des habitants suivent la cour en désordre. On ne voit que des fugitifs, des équipages, des chariots chargés de meubles ; et les derniers tombèrent entre les mains des Tartares. La retraite de l'empereur ne porte à Lintz que la terreur et la désolation. La cour ne s'y croit pas en sûreté. On se réfugie de Lintz à Passau. La consternation en augmente dans Vienne : il faut brûler les faubourgs, les maisons de plaisance, fortifier en hâte le corps de la place, y faire entrer des munitions de guerre et de bouche. On ne s'était préparé à rien, et les Turcs allaient ouvrir la tranchée. Elle fut en effet ouverte le 16 juillet au faubourg Saint-Ulric, à cinquante pas de la contrescarpe.

 

Le comte de Staremberg, gouverneur de la ville, avait une garnison dont le fonds était de seize mille hommes, mais qui n'en composait pas en effet plus de huit mille. On arma les bourgeois qui étaient restés dans Vienne ; on arma jusqu'à l'université. Les professeurs, les écoliers, montèrent la garde, et ils eurent un médecin pour major.

 

Pour comble de disgrâce, l'argent manquait, et on eut de la peine à ramasser cent mille rixdales.

 

Le duc de Lorraine avait en vain tenté de conserver une communication de sa petite armée avec la ville ; mais il n'avait pu que protéger la retraite de l'empereur. Forcé enfin de se retirer par les ponts qu'il avait jetés sur le Danube, il était loin au septentrion de la ville, tandis que les Turcs, qui l'environnaient, avançaient leurs tranchées au midi. Il faisait tête aux Hongrois de Tékéli, et défendait la Moravie ; mais la Moravie allait tomber avec Vienne au pouvoir des Ottomans. L'empereur pressait les secours de Bavière, de Saxe, et des cercles, et surtout celui du roi de Pologne, Jean Sobieski, prince longtemps la terreur des Turcs, tandis qu'il avait été général de couronne, et qui devait son trône à ses victoires ; mais ces secours ne pouvaient arriver que lentement.

 

On était déjà au mois de septembre, et il y avait enfin une brèche de six toises au corps de la place. La ville paraissait absolument sans ressource. Elle devait tomber sous les Turcs plus aisément que Constantinople ; mais ce n'était pas un Mahomet II qui l'assiégeait. Le mépris brutal du grand-vizir pour les chrétiens, son inactivité, sa mollesse, firent languir le siège.

 

Son parc, c'est-à-dire l'enclos de ses tentes, était aussi grand que la ville assiégée. Il y avait des bains, des jardins, des fontaines ; on y voyait partout l'excès du luxe, avant-coureur de la ruine.

 

Enfin, Jean Sobieski ayant passé le Danube quelques lieues au-dessus de Vienne, les troupes de Saxe, de Bavière et des cercles étant arrivées, on fit, du haut de la montagne de Calemberg, des signaux aux assiégés. Tout commençait à leur manquer, et il ne leur restait plus que leur courage.

 

Les armées impériale et polonaise descendirent du haut de cette montagne de Calemberg, dont le grand-vizir avait négligé de s'emparer ; elles s'y étendirent en formant un veste amphithéâtre. Le roi de Pologne occupait la droite, à la tête d'environ douze mille gendarmes, et de trois à quatre mille hommes de pied. Le prince Alexandre son fils était auprès de lui. L'infanterie de l'empereur et de l'électeur de Saxe marchait à la gauche. Le duc Charles de Lorraine commandait les impériaux. Les troupes de Bavière montaient à dix mille hommes, celles de Saxe à peu près au même nombre.

 

Jamais on ne vit plus de grands princes que dans cette journée. L'électeur de Saxe, Jean-George III, était à la tête de ses Saxons. Les Bavarois n'étaient point conduits par l'électeur Marie-Emmanuel (1), leur duc. Ce jeune prince voulut servir comme volontaire auprès du duc de Lorraine. Il avait reçu de l'empereur une épée enrichie de diamants ; et lorsque Léopold revint dans Vienne, après sa délivrance, le jeune électeur, le saluant avec cette même épée, lui fit voir à quel usage il employait ses présents. C'est le même électeur qui fut mis depuis au ban de l'empire.

 

Le prince de Saxe-Lavemboug, de l'ancienne et malheureuse maison d'Ascanie, menait la cavalerie impériale ; le prince Herman de Bade, l'infanterie ; les troupes de Franconie, au nombre d'environ sept mille, marchaient sous le prince de Valdeck.

 

On distinguait parmi les volontaires trois princes de la maison d'Anhalt, deux de Hanovre, trois de la maison de Saxe, deux de Neubourg, deux de Virtemberg, tandis qu'un troisième se signalait dans la ville, deux de Holstein, un prince de Hesse-Cassel, un prince de Hohenzollern : il n'y manquait que l'empereur.

 

Cette armée montait à soixante et quatre mille combattants. Celle du grand-Vizir était supérieure de plus du double ; ainsi cette bataille peut être compté parmi celles qui font voir que le petit nombre l'a presque toujours emporté sur le grand, peut-être parce qu'il y a trop de confusion dans les armées immenses, et plus d'ordre dans les autres.

 

Ce fut le 12 septembre que se donna cette bataille, si c'en est une, et que Vienne fut délivrée. Le grand-vizir laissa vingt mille hommes dans les tranchées, et fit donner un assaut à la place, dans le temps même qu'il marchait contre l'armée chrétienne. Ce dernier assaut pouvait réussir contre des assiégés qui commençaient à manquer de poudre, et dont les canons étaient démontés ; mais la vue du secours ranima leurs forces. Cependant, le roi de Pologne ayant harangué ses troupes de rang en rang, marchait d'un côté contre l'armée ottomane, et le duc de Lorraine de l'autre. Jamais journée ne fut moins meurtrière et plus décisive. Deux postes pris sur les Turcs décidèrent de la victoire. Les chrétiens ne perdirent pas plus de deux cents hommes. Les Ottomans en perdirent à peine mille : c'était sur la fin du jour. La terreur se mis pendant la nuit dans le camp du vizir. Il se retira précipitamment avec toute son armée. Cet aveuglement qui succédait à une longue sécurité fut si prodigieux, qu'ils abandonnèrent leurs tentes, leurs bagages, et jusqu'au grand étendard de Mahomet. Il n'y eut, dans cette grande journée, de faute comparable à celle du vizir que celle de ne le point poursuivre.

 

Le roi de Pologne envoya l'étendard de Mahomet au pape. Les Allemands et les Polonais s'enrichirent des dépouilles des Turcs. Le roi de Pologne écrivit à la reine sa femme, qui était une française, fille du marquis d'Arquien, que le grand-vizir l'avait fait son héritier, et qu'il avait trouvé dans ses tentes la valeur de plusieurs millions de ducats. On connaît assez cette lettre dans laquelle il lui dit : « Vous ne direz pas de moi ce que disent les femmes tartares quand elles voient rentrer leurs mains vides. : Vous n'êtes pas un homme, puisque vous revenez sans butin. »

 

Le lendemain 13 septembre, le roi Jean Sobieski fit chanter le Te Deum dans la cathédrale, et l'entonna lui-même. Cette cérémonie fut suivie d'un sermon dont le prédicateur prit pour texte : « Il fut un homme envoyé de Dieu nommé Jean. » Toute la ville s'empressait de venir rendre grâce à ce roi, et de baiser les mains de son libérateur, comme il le raconte lui-même. L'empereur arriva le 14 au milieu des acclamations qui n'étaient pas pour lui. Il vit le roi de Pologne hors des murs, et il y eut de la difficulté pour le cérémonial, dans un temps où la reconnaissance devait l'emporter sur les formalités.

 

Cette gloire et ce bonheur de Jean Sobieski furent bientôt sur le point d'être éclipsés par un désastre qu'on ne devait pas attendre après une victoire si facile. Il s'agissait de soumettre la Hongrie et de marcher à Gran, qui est la même ville que Strigonie. Pour aller à Gran, il fallait passer par Barkan, où un bacha avait un corps de troupes assez considérable. Le roi de Pologne s'avançait de ce côté avec ses gendarmes, et ne voulut point attendre le duc de Lorraine qui le suivait. Les Turcs tombent, auprès de Barkan, sur les troupes polonaises, les chargent en flanc, leur tuent deux mille hommes ; le vainqueur des Ottomans est obligé de fuir ; il est poursuivi, il échappe à peine en laissant son manteau à un Turc qui l'avait déjà joint. Le duc Charles arriva enfin au secours des Polonais, et après avoir eu la gloire de seconder Jean Sobieski dans la délivrance de Vienne, il eut celle de le délivrer lui-même.

 

Bientôt la Hongrie, des deux côtés du Danube jusqu'à Strigonie, retombe sous le pouvoir de l'empereur. On prend Strigonie : elle avait appartenu aux Turcs près de cent cinquante années ; enfin on tente deux fois le siège de Bude, et on le prend d'assaut en 1686 : ce ne fut depuis qu'un enchaînement de victoires. Le duc de Lorraine défait, avec l'électeur de Bavière, les Ottomans dans les mêmes plaines de Mohatz, où Louis II, roi de Hongrie, avait péri, lorsqu'en 1526, Soliman II, vainqueur des chrétiens, couvrit ces plaines de vingt-cinq mille morts.

 

Les divisions, les séditions de Constantinople, les révoltes des armées ottomanes combattaient encore pour l'heureux et tranquille Léopold. Le soulèvement des janissaires, la déposition de Mahomet IV, l'imbécile Soliman III placé sur le trône après une prison de quarante années, les troupes ottomanes mal payées, découragées, fuyant devant un petit nombre d'Allemands, tout favorisa Léopold. Un empereur guerrier, secondé des Polonais victorieux, eût pu aller assiéger Constantinople après avoir été sur le point de perdre Vienne.

 

Léopold jugea plus à propos de se venger sur les Hongrois de la crainte que les Turcs lui avaient donnée. Ses ministres prétendaient qu'on ne pouvait contenir la puissance ottomane si la Hongrie n'était pas réunie sous un pouvoir absolu. Cependant on avait chassé les Turcs devant Vienne avec les troupes de Saxe, de Bavière, de Lorraine, et des autres princes allemands, qui n'étaient pas sous un joug despotique ; on avait surtout vaincu avec les secours des Polonais alliés. Les Hongrois auraient donc pu servir l'empereur comme les Allemands le servaient, en demeurant libres comme les Allemands ; mais il y avait trop de factions en Hongrie ; les Turcs n'étaient pas hommes à faire des traités de Vestphalie en faveur de ce royaume, et n'étaient alors en état ni d'opprimer les Hongrois ni de les secourir.

 

Il n'y eut d'autre congrès entre les mécontents de Hongrie et l'empereur qu'un échafaud ; on l'éleva dans la place publique d'Eperies au mois de mars 1687, et il y resta jusqu'à la fin de l'année.

 

Les bourreaux (2) furent lassés à immoler les victimes qu'on leur abandonnait sans beaucoup de choix, si l'on en croit plusieurs historiens contemporains. Il n'y a point d'exemple, dans l'antiquité, d'un massacre si long et si terrible : il y a eu des sévérités égales, mais aucune n'a duré si longtemps. L'humanité ne frémit pas du nombre d'hommes qui périssent dans tant de batailles : on y est accoutumé ; ils meurent les armes à la main et vengés ; mais voir pendant neuf mois ses compatriotes traînés juridiquement à une boucherie toujours ouverte, c'était un spectacle qui soulevait la nature, et dont l'atrocité remplit encore aujourd'hui les esprits d'horreur.

 

Ce qu'il y a de plus affreux pour les peuples, c'est que quelquefois ces cruautés réussissent, et le succès encourage à traiter les hommes comme des bêtes farouches.

 

La Hongrie fut soumise, le Turc deux fois repoussé, la Transylvanie conquise, occupée par les impériaux Enfin, tandis que l'échafaud d'Eperies subsistait encore, on convoqua les principaux de la noblesse de Hongrie à Vienne, qui déclarèrent au nom de la nation la couronne héréditaire ; ensuite les états assemblés à Presbourg en portèrent le décret, et on couronna Joseph, à l'âge de neuf ans, roi héréditaire de Hongrie.

 

Léopold alors fut le plus puissant empereur depuis Charles-Quint ; un concours de circonstances heureuses le met en état de soutenir à la fois la guerre contre la France jusqu'à la paix de Rysvick, et contre la Turquie jusqu'à la paix de Carlovitz, conclue en 1699. Ces deux paix lui furent avantageuses, il négocia avec Louis XIV, à Rysvick, sur un pied d'égalité qu'on n'attendait pas après la paix de Nimègue, et il traita avec le Turc en vainqueur. Ces succès donnèrent à Léopold, dans les diètes d'Allemagne, une supériorité qui n'ôta pas la liberté des suffrages, mais qui les rendit toujours dépendants de l'empereur.

 

 

 

 

 

1 – Ou plutôt, Maximilien-Marie. (G.A.)

 

2 - « Ces bourreaux, aux gages d'un prince élevé par les jésuites dans les minuties de la dévotion, dit M. Clogenson, étaient au nombre de trente, sans compter les valets. » (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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