ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - LÉOPOLD Ier - Partie 56.2
Photo de PAPAPOUSS
ÉTAT DE L'EMPIRE SOUS
LÉOPOLD Ier.
QUARANTE-HUITIÈME EMPEREUR.
On peut d'abord considérer qu'après la mort de Fernand III l'empire fut près de sortir de la maison d'Autriche, mais que les électeurs se crurent enfin obligés de choisir en 1658 Léopold-Ignace, fils de Ferdinand III. Il n'avait que dix-huit ans : mais le bien de l'État, le voisinage des Turcs, les jalousies particulières, contribuèrent à l'élection d'un prince dont la maison était assez puissante pour soutenir l'Allemagne, et pas assez pour l'asservir. On avait autrefois élu Rodolphe de Habsbourg, parce qu'il n'avait presque point de domaine : l'empire était continué à sa race, parce qu'elle en avait beaucoup.
Les Turcs, toujours maîtres de Bude, les Français possesseurs de l'Alsace, les Suédois de la Poméranie et de Brême, rendaient nécessaire cette élection : tant l'idée de l'équilibre est naturelle chez les hommes ! Dix empereurs de suite dans la maison de Léopold étaient encore, en sa faveur, autant de sollicitations qui sont toujours écoutées, quand on ne croit point la liberté publique en danger.
C'est ainsi que le trône, toujours électif en Pologne, fut toujours héréditaire dans la race des Jagellons.
L'Italie ne pouvait être un objet pour le Ministère de Léopold ; il n'était plus question de demander une couronne à Rome, encore moins de faire sentir ses droits de suzerain à la branche d'Autriche qui avait Naples et Milan. Mais la France, la Suède, la Turquie, occupèrent toujours les Allemands sous ce règne : ces trois puissances furent, l'une après l'autre, ou contenues, ou repoussées, ou vaincues, sans que Léopold tirât l'épée.
Ce prince, le moins guerrier de son temps, attaqua toujours Louis XIV dans les temps les plus florissants de la France ; d'abord après l'invasion de la Hollande, lorsqu'il donna aux Provinces-Unies un secours qu'il n'avait pas donné à sa propre maison dans l'invasion de la Flandre ; ensuite quelques années après la paix de Nimègue, lorsqu'il fit cette fameuse ligue d'Augsbourg contre Louis XIV ; enfin à l'avènement étonnant du petit-fils du roi de France au trône d'Espagne.
Léopold sut dans toutes ces guerres intéresser le corps de l'Allemagne, et les faire déclarer ce qu'on appelle guerres de l'empire. La première fut assez malheureuse, et l'empereur reçut la loi à la paix de Nimègue. L'intérieur de l'Allemagne ne fut pas saccagé par ces guerres, comme il l'avait été dans celle de Trente-Ans ; mais les frontières du côté du Rhin furent maltraitées. Louis XIV eut toujours la supériorité ; cela ne pouvait arriver autrement des ministres habiles, de très grand généraux, un royaume dont toutes les parties étaient réunies, et toutes les places fortifiées, des armées disciplinées, une artillerie formidable, d'excellents ingénieurs, devaient nécessairement l'emporter sur un pays à qui tout cela manquait. Il est même surprenant que la France ne remportât pas de plus grands avantages contre des armées levées à la hâte, souvent mal payées et mal pourvues, et surtout contre des corps de troupes commandés par des princes qui s'accordaient peu, et qui avaient des intérêts différents. La France, dans cette guerre terminée par la paix de Nimègue, triompha, par la supériorité de son gouvernement, de l'Allemagne, de l'Espagne, de la Hollande réunies, mais mal réunies.
La fortune fut moins inégale dans la seconde guerre, produit par la ligue d'Augsbourg. Louis XIV eut alors contre lui l'Angleterre jointe à l'Allemagne et à l'Espagne. Le duc de Savoie entra dans la ligue. La Suède, si longtemps alliée de la France, l'abandonna, et fournit même des troupes contre elle en qualité de membre de l'empire. Cependant tout ce que tant d'alliés purent faire, ce fut de se défendre. On ne put même, à la paix de Rysvick, arracher Strasbourg à Louis XIV.
La troisième guerre fut la plus heureuse pour Léopold et pour l'Allemagne, quand le roi de France était plus puissant que jamais, quand il gouvernait l'Espagne sous le nom de son petit-fils, qu'il avait pour lui tous les Pays-Bas espagnols et la Bavière, que ses armées étaient au milieu de l'Italie et de l'Allemagne. La mémorable bataille d'Hochestdt changea tout. Léopold mourut l'année suivante, en 1705, avec l'idée que la France serait bientôt accablée, et que l'Alsace serait bientôt accablée, et que l'Alsace serait réunie à l'Allemagne.
Ce qui servit le mieux Léopold dans tout le cours de son règne, ce fut la grandeur même de Louis XIV. Cette grandeur se produisit avec tant de faste, avec tant de fierté, qu'elle irrita tous ses voisins, surtout les Anglais, plus qu'elle ne les intimida.
On lui imputait l'idée de la monarchie universelle : mais si Léopold avait eu la succession de l'Autriche espagnole, comme il fut longtemps vraisemblable qu'il l'aurait, alors c'était cet empereur qui, maître absolu de la Hongrie dont les bornes étaient reculées, devenu presque tout-puissant en Allemagne, possédant l'Espagne, le domaine direct de la moitié de l'Italie, souverain de la moitié du Nouveau-Monde, et en état de faire valoir les droits ou les prétentions de l'empire, se serait vu en effet assez près de cette monarchie universelle. On affecta de la craindre dans Louis XIV, lorsqu'il voulut, après la paix de Nimègue, faire dépendre des Trois-Évêchés quelques terres qui relevaient de l'empire ; et on ne la craignit ni dans Léopold ni dans ses enfants, lorsqu'ils furent près de dominer sur l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie. Louis XIV, en effarouchant trop ses voisins, fit plus de bien à la maison d'Autriche qu'il ne lui avait fait de mal par sa puissance.