ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - FERDINAND II - Partie 54.5
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FERDINAND II,
QUARANTE-SIXIÈME EMPEREUR.
(Partie 5)
1632. Cependant le roi de Suède repasse des bords du Rhin vers la Franconie. Nuremberg lui ouvre ses portes. Il marche à Donavert vers le Danube ; il rend à la ville son ancienne liberté, et la soustrait au domaine du duc de Bavière. Il met à contribution dans la Souabe tout ce qui appartient aux maisons d'Autriche et de Bavière. Il force le passage du Leck, malgré Tilly, qui est blessé à mort dans la retraite. Il entre dans Augsbourg en vainqueur, et y rétablit la religion protestante. On ne peut guère pousser plus loin les droits de la victoire. Les magistrats d'Augsbourg lui prêtèrent serment de fidélité. Le duc de Bavière, qui était alors comme neutre, et qui n'était armé ni pour l'empereur ni pour lui-même, est obligé de quitter Munich, qui se rend au conquérant le 7 mai et qui lui paye trois cent mille rixdales pour se racheter du pillage. Le palatin eut du moins la consolation d'entrer avec Gustave dans le palais de celui qui l'avait dépossédé.
Les affaires de l'empereur et de l'Allemagne semblaient désespérées. Tilly, grand général, qui n'avait été malheureux que contre Gustave, était mort. Le duc de Bavière, mécontent de l'empereur, était sa victime, et se voyait chassé de sa capitale. Valstein, créé duc de Friedland, plus mécontent encore du duc électeur de Bavière Maximilien, son rival déclaré, avait refusé de marcher à son secours ; et l'empereur Ferdinand, qui n'avait jamais voulu paraître en campagne (1), attendait sa destinée de ce Valstein, qu'il n'aimait pas, et dont il était en défiance. Valstein s'occupait alors à reprendre la Bohême sur l'électeur de Saxe, et il avait autant d'avantage sur les Saxons que Gustave en avait sur les impériaux.
Enfin l'électeur de Bavière obtient avec peine que Valstein se joigne à lui. L'armée bavaroise, levée en partie aux dépens de l'électeur, et en partie aux dépens de la ligue catholique, était d'environ vingt-cinq mille hommes. Celle de Valstein était de près de trente mille vieux soldats. Le roi de Suède n'en avait pas vingt mille ; mais on lui amène des renforts de tous côtés. Le landgrave de Hesse-Cassel, Guillaume, et Bernard de Saxe-Veimar, le prince palatin de Birkenfeld, se joignent à lui. Son général Bannier lui amène de nouvelles troupes. Il marche, auprès de Nuremberg, avec plus de cinquante mille combattants, au camp retranché du duc de Bavière et de Valstein. Ils donnent une bataille qui n'est point décisive. Gustave reporte la guerre dans la Bavière, Valstein la reporte dans la Saxe ; et tous ces différents mouvements achèvent le ravage de ces provinces.
Gustave revole vers la Saxe en laissant douze mille hommes dans la Bavière.Il arrive près de Leipsick par des marches précipitées, et se trouve devant Valstein, qui ne s'y attendait pas. A peine est-il arrivé, qu'il se prépare à donner bataille.
Il la donne dans la grande plaine de Lutzen, le 15 novembre. La victoire est longtemps disputée. Les Suédois la remportent ; mais ils perdent leur roi, dont le corps fut trouvé parmi les morts, percé de deux balles et de deux coupés d'épée. Le duc Bernard de Saxe-Veimar acheva la victoire que Gustave avait commencée avant d'être tué. Que n'a-t-on pas écrit sur la mort de ce grand homme ! On accusa un prince de l'empire (2), qui servait dans son armée, de l'avoir assassiné : on imputa sa mort au cardinal de Richelieu, qui avait besoin de sa vie. N'est-il donc pas naturel qu'un roi, qui s'exposait en soldat, soit mort en soldat ?
Cette perte fut fatale au palatin, qui attendait de Gustave son rétablissement. Il était malade alors à Mayence. Cette nouvelle augmenta sa maladie, dont il mourut le 19 novembre.
Valstein, après la journée de Lutzen, se retire dans la Bohême. On s'attendait dans l'Europe que les Suédois, n'ayant plus Gustave à leur tête, sortiraient bientôt de l'Allemagne ; mais le général Bannier les conduisit en Bohême. Il faisait porter au milieu d'eux le corps de leur roi, pour les exciter à le venger.
1633. Gustave laissait sur le trône de Suède une fille âgée de six ans, et par conséquent des divisions dans le gouvernement. La même division se trouvait dans la ligue protestante par la mort de celui qui en avait été le chef et le soutien. Tout le fruit de tant de victoires devait être perdu, et ne le fut pourtant pas. La véritable raison peut-être d'un événement si extraordinaire, c'est que l'empereur n'agissait que de son cabinet, dans le temps qu'il eût dû faire les derniers efforts à la tête de ses armées. Le sénat de Suède chargea le chancelier Oxenstiern de suivre en Allemagne les vues du grand Gustave, et lui donna un pouvoir absolu. Oxenstiern alors joua le plus beau rôle que jamais particulier ait eu en Europe. Il se trouva à la tête de tous les princes protestants d'Allemagne.
Ces princes s'assemblent à Heilbron, le 19 mars. Les ambassadeurs de France, d'Angleterre, des états-généraux, se rendent à l'assemblée ; Oxenstiern en fait l'ouverture dans sa maison, et il se signale d'abord en faisant restituer le Haut et le Bas-Palatinat à Charles-Louis, fils du palatin dépossédé. Le prince Charles-Louis, fils du palatin dépossédé. Le prince Charles-Louis parut comme électeur dans une des assemblées ; mais cette cérémonie ne lui rendait pas ses États.
Oxenstiern renouvelle avec le cardinal de Richelieu le traité de Gustave-Adolphe ; mais on ne lui donne qu'un million de subsides par an, au lieu de douze cent mille livres qu'on avait continué de donner à son maître. Il semble petit et honteux que le cardinal de Richelieu marchande et dispute sur le prix de la destinée de l'empire : mais la France n'était pas riche, et il fallait soudoyer le Nord.
Ferdinand négocie avec chaque prince protestant. Il veut les diviser, il ne réussit pas. La guerre continue toujours avec des succès balancés dans l'Allemagne désolée. L'Autriche est le seul pays qui n'en fut pas le théâtre, soit du temps de Gustave, soit après lui. La branche d'Autriche espagnole n'était encore secouru que faiblement la branche impériale : elle fait enfin un effort ; elle envoie le duc de Féria d'Italie en Allemagne avec environ vingt mille hommes ; mais il perd une grande partie de son armée dans ses marches et dans ses manœuvres.
L'électeur de Trèves, évêque de Spire, avait bâti et fortifié Philipsbourg. Les troupes impériales s'en étaient emparées malgré lui. Oxenstiern la fait rendre à l'électeur par les armes des Suédois, malgré le duc de Féria, qui veut en vain faire lever le siège. Cette sage politique tendait à faire voir à l'Europe que ce n'était pas à la religion catholique qu'on en voulait, et que la Suède, toujours victorieuse, même après la mort de son roi, protégeait également les protestants et les catholiques ; conduite qui mettait encore plus le pape en droit de refuser à l'empereur des troupes, de l'argent, et une croisade.
1634. La France n'était encore qu'une partie secrète dans ce grand démêlé : il ne lui en coûtait qu'un subside médiocre pour voir le trône de Ferdinand ébranlé par les armes suédoises ; mais le cardinal de Richelieu songeait déjà à profiter de leurs conquêtes. Il avait voulu en vain avoir Philipsbourg en séquestre ; mais, à chaque occasion qui se présentait, la France se rendait maîtresse de quelques ville en Alsace, comme de Haguenau, de Saverne, qu'elle force le comte de Slams, administrateur de Strasbourg, à lui céder par un traité. Louis XIII, qui ne déclarait point la guerre à la maison d'Autriche, la déclarait au duc de Lorraine, Charles, parce qu'il était partisan de cette maison. Le ministère de France n'osait pas encore attaquer ouvertement l'empereur et l'Espagne qui pouvait se défendre, et tombait sur la faible Lorraine. Le duc dépossédé était Charles IV, prince célèbre par ses bizarreries, ses amours, ses mariages, et ses infortunes (3).
Les Français avaient une armée dans la Lorraine et des troupes dans l'Alsace, prêtes d'agir ouvertement contre l'empereur, et de se joindre aux Suédois à la première occasion qui pourrait justifier cette conduite.
Le duc de Féria, poursuivi par les Suédois jusqu'en Bavière, était mort après la dispersion presque entière de son armée.
Le duc de Valstein, au milieu de ces troubles et de ces malheurs, s'occupait du projet de faire servir l'armée qu'il commandait dans la Bohême à sa propre grandeur, et à se rendre indépendant d'un empereur qui semblait ne se pas assez secourir lui-même, et qui était toujours en défiance de ses généraux. On prétend que Valstein négociait avec les princes protestants, et même avec la Suède et la France : mais ces intrigues, dont on l'accusa, ne furent jamais manifestées. La conspiration de Valstein est au rang des histoires reçues, et on ignore absolument quelle était cette conspiration (4). On devinait ses projets. Son véritable crime était d'attacher son armée à sa personne, et de vouloir s'en rendre le maître absolu. Le temps et les occasions eussent fait le reste.Il se fit prêter serment par les principaux officiers de cette armée qui lui étaient le plus dévoués. Ce serment consistait à promettre de défendre sa personne et de s'attacher à sa fortune. Quoique cette démarche pût se justifier par les amples pouvoirs que l'empereur avait donnés à Valstein, elle devait alarmer le conseil de Vienne. Valstein avait contre lui, dans cette cour, le parti d'Espagne et le parti bavarois. Ferdinand prend la résolution de faire assassiner Valstein et ses principaux amis. On chargea de cet assassinat Butler, Irlandais, à qui Valstein avait donné un régiment de dragons, un Écossais nommé Gordon. Ces trois étrangers ayant reçu leur commission dans Egra, où Valstein se trouvait pour lors, font égorger d'abord dans un souper quatre officiers qui étaient les principaux amis du duc, et vont ensuite l'assassiner lui-même dans le château, le 15 février. Si Ferdinand II fut obligé d'en venir à cette extrémité odieuse, il faut la compter pour un de ses plus grands malheurs.
Tout le fruit de cet assassinat fut d'aigrir tous les esprits en Bohême et en Silésie. La Bohême ne remua pas, parce qu'on sut la contenir par l'armée ; mais les Silésiens se révoltèrent, et s'unirent aux Suédois.
Les armes de Suède tenaient toute l'Allemagne en échec, comme du temps de leur roi ; le général Bannier dominait sur tout le cours de l'Oder ; le maréchal de Horn, vers le Rhin ; le duc Bernard de Veimar, vers le Danube ; l'électeur de Saxe, dans la Bohême et dans la Lusace. L'empereur restait toujours dans Vienne. Son bonheur voulut que les Turcs ne l'attaquassent pas dans ces funestes conjonctures. Amurat IV était occupé contre les Persans, et Bethlem-Gabor était mort.
Ferdinand, assuré de ce côté, tirait toujours des secours de l'Autriche, de la Carinthie, de la Carniole, du Tyrol. Le roi d'Espagne lui fournissait quelque argent, la ligue catholique quelques troupes ; et enfin l'électeur de Bavière, à qui les Suédois ôtaient le Palatinat, était dans la nécessité de prendre le parti du chef de l'empire. Les Autrichiens, les Vavarois réunis, soutenaient la fortune de l'Allemagne vers le Danube. Ferdinand-Ernest, roi de Hongrie, fils de l'empereur, ranimait les Autrichiens en se mettant à leur tête. Il prend Ratisbonne à la vue du duc de Saxe-Veimar. Ce prince et le maréchal de Horn, qui le joint alors, font fermé à l'entrée de la Souabe, et ils livrent aux impériaux la bataille mémorable de Nordlingue, le 5 septembre. Le roi de Hongrie commandait l'armée ; l'électeur de Bavière était à la tête de ses troupes ; le cardinal infant, gouverneur des Pays-Bas, conduisait quelques régiments espagnols. Le duc de Lorraine, Charles IV, dépouillé de ses États par la France, y commandait sa petite armée de dix à douze mille hommes, qu'il menait servir tantôt l'empereur, tantôt les Espagnols, et qu'il faisait subsister aux dépens des amis et des ennemis. Il y avait de grands généraux dans cette armée combinée, tels que Piccolomini et Jean de Vert. La bataille dura tout le jour, et le lendemain encore jusqu'à midi. Ce fut une des plus sanglantes : presque toute l'armée de Veimar fut détruite, et les impériaux soumirent la Souabe et la Franconie, où ils vécurent à discrétion.
Ce malheur, commun à la Suède, aux protestants d'Allemagne, et à la France, fut précisément ce qui donna la supériorité au roi très chrétien, et qui lui valut enfin la possession de l'Alsace. Le chancelier Oxenstiern n'avait point voulu jusque-là que la France s'agrandît trop dans ces pays ; il voulait que tout le fruit de la guerre fût pour les Suédois, qui en avaient tout le fardeau. Aussi Louis XII ne s'était point déclaré ouvertement contre l'empereur. Mais, après la bataille de Nordlingue, il fallut que les Suédois priassent le ministère de France de vouloir bien se mettre en possession de l'Alsace, sous le nom de protecteur, à condition que les princes et les états protestants ne feraient ni paix ni trêve avec l'empereur, que du consentement de la France et de la Suède. Ce traité est signé à Paris le 1er novembre.
1 – Une des conditions faites à l'empereur par Walstein en reprenant le commandement avait été que Ferdinand et le roi des Romains ne se trouveraient jamais à l'armée et qu'ils ne récompenseraient pas eux-mêmes les soldats. (G.A.)
2 – Le duc de Saxe-Lauenbourg. Gustave aspirait à la couronne impériale. Il mourut en disant : « A un autre monde ! » (G.A.)
3 – Voyez les chapitres III, V, VI et VII du Siècle de Louis XIV. (G.A.)
4 – Les lettres de Walstein, publiées en 1828, sont loin de prouver contre lui. Richelieu, du reste, ne croyait pas à la trahison de ce général. (G.A.)