ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - CHARLES QUINT - Partie 49.8
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(Partie 8)
CHARLES-QUINT,
QUARANTIÈME EMPEREUR.
Le duc de Savoie va à Naples implorer la protection de l'empereur. Ce prince si puissant n'avait point alors une grande armée en Italie. Ce n'était alors l'usage d'en avoir que pour le besoin présent ; mais il met d'abord les Vénitiens dans son parti ; il y met jusqu'aux Suisses, qui rappellent leurs troupes de l'armée française ; il augmente bientôt ses forces ; il va à Rome en grand appareil. Il y entre en triomphe, mais non pas en maître, ainsi qu'il eût pu y entrer auparavant. Il va au consistoire et y prend place sur un siège plus bas que celui du saint-père. On est étonné d'y entendre un empereur romain victorieux plaider sa cause devant le pape ; il y prononce une harangue contre François Ier, comme Cicéron en prononçait contre Antoine. Mais ce que Cicéron ne faisait pas, il propose de se battre en duel avec le roi de France. Il y avait dans tout cela un mélange des mœurs de l'antiquité avec l'esprit romanesque. Après avoir parlé du duel, il parle du concile.
Le pape Paul III publie la bulle de convocation.
Le roi de France avait envoyé assez de troupes pour s'emparer des États du duc de Savoie, alors presque sans défense, mais non assez pour résister à l'armée formidable que l'empereur eut bientôt, et qu'il conduisait avec une foule de grands hommes formés par des victoires en Italie, en Hongrie, en Flandre, en Afrique.
Charles reprend tout le Piémont, excepté Turin. Il entre en Provence avec une armée de cinquante mille hommes. Une flotte de cent quarante vaisseaux, commandée par Doria, borde les côtes. Toute la Provence, excepté Marseille, est conquise et ravagée ; il pouvait alors faire valoir les anciens droits de l'empire sur la Provence, sur le Dauphiné, sur l'ancien royaume d'Arles. Il presse la France, à l'autre bout en Picardie, par une armée d'Allemands qui, sous le comte de Reuss, prend Guise, et s'avance encore plus loin.
François Ier, au milieu de ces désastres, perd son dauphin François, qui meurt à Lyon d'une pleurésie. Vingt auteurs prétendent que l'empereur le fit empoisonner. Il n'y a guère de calomnie plus absurde et plus méprisable. L'empereur craignait-il ce jeune prince qui n'avait jamais combattu ? Que gagnait-il à sa mort ? Quel crime bas et honteux avait-il commis, qui pût le faire soupçonner ? On prétend qu'on trouva des poisons dans la cassette de Montécuculli, domestique du dauphin, venu en France avec Catherine de Médicis. Ces poisons prétendus étaient des distillations chimiques.
Montécuculli fut écartelé, sous prétexte qu'il était chimiste, et que le dauphin était mort. On lui demanda, à la question, s'il avait jamais entretenu l'empereur. Il répondit que lui ayant été présenté une fois par Antoine de Lève, ce prince lui avait demandé quel ordre le roi de France tenait dans ses repas. Était-ce là une raison pour soupçonner Charles-Quint d'un crime si abominable et si inutile ? Le supplice de Montécuculli, ou plutôt Montécucullo (1), est au rang des condamnations injustes qui ont déshonoré la France. Il faut la mettre avec celles d'Enguerrand de Marigny, de Semblançay, d'Anne Du Bourg, d'Augustin de Thou, du maréchal de Marillac, de la maréchale d'Ancre, et de tant d'autres qui rempliraient un volume. L'histoire doit au moins servir à rendre les juges plus circonspects et plus humains.
L'invasion de la Provence est funeste aux Français, sans être fructueuse pour l'empereur ; il ne peut prendre Marseille. Les maladies détruisent une partie de son armée. Il s'en retourne à Gênes sur la flotte. Son autre armée est obligée d'évacuer la Picardie. La France, toujours prête d'être accablée, résiste toujours. Les mêmes causes qui avaient fait perdre le royaume de Naples à François Ier, font perdre la Provence à Charles-Quint. Des entreprises lointaines réussissent rarement.
L'empereur retourne en Espagne, laissant l'Italie soumise, la France affaiblie, et l'Allemagne toujours dans le trouble.
Les anabaptistes continuent leurs ravages dans la Frise, dans la Hollande, dans la Vestphalie. Cela s'appelait combattre les combats du Seigneur. Ils vont au secours de leur prophète-roi Jean de Leude ; ils sont défaits par George Schenck, gouverneur de Frise. La ville de Munster est prise. Jean de Leydé et ses principaux complices sont promenés dans une cage. On les brûle après les avoir déchirés avec des tenailles ardentes. Le parti des luthériens se fortifie ; les animosités s'augmentent ; la ligue de Smalcalde ne produit point encore de guerre civile.
1537 – Charles en Espagne n'est pas tranquille ; il faut soutenir cette guerre légèrement commencée par François Ier, et que ce prince rejetait sur l'empereur.
Le parlement de Paris fait ajourner l'empereur, le déclare vassal rebelle, et privé des comtés de Flandre, d'Artois et de Charolais. Cet arrêt eût été bon après avoir conquis ces provinces : il n'est que ridicule après toutes les défaites et toutes les pertes de François Ier. Les troupes impériales, malgré cet arrêt avancent en Picardie. François Ier va en personne assiéger Hesdin dans l'Artois ; mais il est repris ; on donne de petits combats dont le succès est indécis.
François Ier voulait frapper un plus grand coup. Il hasardait la chrétienté pour se venger de l'empereur. Il s'était engagé avec Soliman à descendre dans le Milanais avec une grande armée, tandis que les Turcs tomberaient sur le royaume de Naples et sur l'Autriche.
Soliman tint sa parole, mais François Ier, ne fut pas assez fort pour tenir la sienne. Le fameux capitan pacha Chérédin descend avec une partie de ses galères dans la Pouille, l'autre aborde vers Otrante : il ravage ces pays, et fait seize mille esclaves chrétiens. Ce Chérédin, vice-roi d'Alger, est le même que les auteurs nomment Barberousse. Ce sobriquet avait été donné à son frère, conquérant d'une partie des côtes de la Barbarie, mort en 1519.
Soliman s'avance en Hongrie. Le roi des Romains, Ferdinand, marche au-devant des Turcs entre Bude et Belgrade. Une sanglante bataille se donne, dans laquelle Ferdinand prend la fuite, après avoir perdu vingt-quatre mille hommes. On croirait l'Italie et l'Autriche au pouvoir des Ottomans, et François Ier maître de la Lombardie : mais non. Barberousse, qui ne voit point venir François Ier dans le Milanais, s'en retourne à Constantinople avec son butin et ses esclaves. L'Autriche est mise en sûreté. L'empereur avait retiré ses troupes de l'Artois et de la Picardie. Ses deux sœurs, l'une, Marie de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas, l'autre, Éléonore de Portugal, femme de François Ier , ayant ménagé une trêve sur ces frontières, l'empereur avait consenti à cette trêve pour avoir de nouvelles troupes à opposer aux Turcs, et François Ier afin de pouvoir passer en liberté en Italie.
Déjà le dauphin Henri était dans le Piémont, les Français étaient les maîtres de presque toutes les villes ; le marquis del Vasto, que les Français appellent Duguast, défendait le reste. Alors on conclut une trêve de quelques mois dans ce pays. C'était ne pas faire la guerre sérieusement, après de si grands et de si dangereux projets. Celui qui perdit le plus à ses ennemis et par ses amis ; car les impériaux et les Français retirent presque toutes ses places.
1538 – La trêve se prolonge pour dix années entre Charles-Quint et François Ier, et aux dépens du duc de Savoie.
Soliman, mécontent de son allié, ne poursuit point sa victoire. Tout se fait à demi dans cette guerre.
Charles, ayant passé en Italie pour conclure la trêve, marie sa bâtarde Marguerite, veuve d'Alexandre de Médicis, à Ottavio Farnèse, fils d'un bâtard de Paul III, duc de Parme, de Plaisance et de Castro. Ces duchés étaient un ancien héritage de la comtesse Mathilde : elle les avait donnés à l'Église , et non pas aux bâtards des papes. On a vu qu'ils avaient été annexés depuis au duché de Milan. Le pape Jules les incorpora à l'État ecclésiastique ; Paul III les en détacha, et en revêtit son fils. L'empereur en prétendait bien la suzeraineté, mais il aima mieux favoriser le pape que de se brouiller avec lui. C'était hasarder beaucoup pour un pape de faire son bâtard souverain à la face de l'Europe indignée, dont la moitié avait déjà quitté la religion romaine avec horreur ; mais les princes insultent toujours à l'opinion publique, jusqu'à ce que cette opinion publique les accable.
Après toutes ces grandes levées de boucliers, François Ier, qui était sur les frontières du Piémont, s'en retourne. Charles-Quint fait voile pour l'Espagne, et voir François Ier à Aigues-Mortes avec la même familiarité que si ce prince n'eût été jamais son prisonnier ; qu'ils ne se fussent jamais donné de démentis, point appelés en duel ; que le roi de France n'eût point fait venir les Turcs, et qu'il n'eût point souffert que Charles-Quint eût été traité d'empoisonneur.
1539 – Charles-Quint apprend en Espagne que la ville de Gand, lieu de sa naissance, soutient ses privilèges jusqu'à la révolte. Chaque ville des Pays-Bas avait des droits : on n'a jamais rien tiré de ce florissant pays par des impositions arbitraires : les états fournissaient aux souverains des dons gratuits dans le besoin ; et la ville de Gand avait, de temps immémorial, la prérogative d'imposer elle-même sa contribution. Les états de Flandre, ayant accordé douze cent mille florins à la gouvernante des Pays-Bas, en répartirent quatre cent mille sur les Gantois ; ils s'y opposèrent, ils montrèrent leurs privilèges. La gouvernante fait arrêter les principaux bourgeois : la ville se soulève, prend les armes ; c'était une des plus riches et des plus grandes de l'Europe : elle veut se donner au roi de France comme à son seigneur suzerain ; mais le roi, qui se flattait toujours de l'espérance d'obtenir de l'empereur l'investiture du Milanais pour un de ses fils, se fait un mérite auprès de lui de refuser les Gantois. Qu'arriva-t-il ? François Ier n'eut ni Gand ni Milan ; il fut toujours la dupe de Charles-Quint, et son inférieur en tout, excepté en valeur.
L'empereur prend alors le parti de demander passage par la France pour aller punir la révolte de Gand. Le dauphin et le duc d'Orléans vont le recevoir à Bayonne ; François Ier va au-devant de lui à Chantellerault ; il entre dans Paris le premier janvier ; le parlement et tous les corps viennent le complimenter hors de la ville ; on lui porte les clefs ; les prisonniers sont délivrés en son nom ; il préside au parlement, et il fait un chevalier. On avait trouvé mauvais, dit-on, cet acte d'autorité dans Sigismond (2) ; on le trouva bon dans Charles-Quint. Créer un chevalier alors, c'était seulement déclarer un homme noble, ou ajouter à sa noblesse un titre honorable et inutile.
La chevalerie avait été en grand honneur dans l'Europe ; mais elle n'avait jamais été qu'un nom qu'on avait donné insensiblement aux seigneurs de fief distingués par les armes. Peu à peu ces seigneurs de fief avaient fait de la chevalerie une espèce d'ordre imaginaire, composé de cérémonies religieuses, d'actes de vertu et de débauche ; mais jamais ce titre de chevalier n'entra dans la constitution d'aucun État : on ne connut jamais que les lois féodales. Un seigneur de fief reçu chevalier pouvait être plus considéré qu'un autre dans quelques châteaux ; mais ce n'était pas comme chevalier qu'il entrait aux diètes de l'empire, aux états de France, aux cortès d'Espagne, au parlement d'Angleterre : c'était comme baron, comte, marquis ou duc. Les seigneurs bannerets, dans les armées, avaient été appelés chevaliers ; mais ce n'était pas en qualité de chevalier qu'ils avaient des bannières ; de même qu'ils n'avaient point des châteaux et des terres en qualité de preux : mais on les appelait preux parce qu'ils étaient supposés faire des prouesses.
En général, ce qu'on a appelé la chevalerie appartient beaucoup plus au roman qu'à l'histoire, et ce n'était guère qu'une momerie honorable (3). Charles-Quint n'aurait pas pu créer en France un bailli de village, parce que c'est un emploi réel. Il donna le vain titre de chevalier, et l'effet le plus réel de cette cérémonie fut de déclarer noble un homme qui ne l'était pas. Cette noblesse ne fut reconnue en France que par courtoisie, par respect pour l'empereur ; mais ce qui est de la plus grande vraisemblance, c'est que Charles-Quint voulut faire croire que les empereurs avaient ce droit dans tous les États. Sigismond avait fait un chevalier en France ; Charles voulut en faire un aussi. On ne pouvait refuser cette prérogative à un empereur à qui on donnait celle de délivrer les prisonniers.
Ceux qui ont imaginé qu'on délibéra si on retiendrait Charles prisonnier, l'ont dit sans aucune preuve. François Ier se serait couvert d'opprobre s'il eût retenu, par une basse perfidie, celui dont il avait été le captif par le sort des armes. Il y a des crimes d'État que l'usage autorise ; il y en a d'autres que l'usage, et surtout la chevalerie de ce temps-là, n'autorisaient pas. On tient que le roi lui fit seulement promettre de donner le Milanais au duc d'Orléans, frère du dauphin Henri, et qu'il se contenta d'une parole vague ; il se piqua, dans cette occasion, d'avoir plus de générosité que de politique.
Charles entre dans Gand avec deux mille cavaliers et six mille fantassins qu'il avait fait venir. Les Gantois pouvaient mettre, dit-on, quatre-vingt mille hommes en armes, et ne se défendirent pas.
1 – Ou plutôt Montecuccoli. (G.A.)
2 – Voyez à l'année 1416. (G.A.)
3 – Son origine remontait aux anciens Germains, chez lesquels la prise d'armes avait toujours été un acte national, une cérémonie publique. (G.A.)