ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - CHARLES QUINT - Partie 49.5
Photo de PAPAPOUSS
(Partie 5)
CHARLES-QUINT,
QUARANTIÈME EMPEREUR.
1528 – Les anabaptistes reparaissent dans Utrecht, et ils sont cause que l'évêque de cette ville, qui en était seigneur, la vend à Charles-Quint, de peur que le duc de Gueldre ne s'en rende le maître.
Ce duc, toujours protégé en secret par la France, résistait à Charles-Quint, à qui rien n'avait résisté ailleurs. Charles s'accommode enfin avec lui, à condition que le duché de Gueldre et le comté de Zutphen reviendront à la maison d'Autriche, si le duc meurt sans enfant mâles.
Les querelles de la religion semblaient exiger la présence de Charles en Allemagne, et la guerre l'appelait en Italie.
Deux hérauts, Guyenne et Clarence, l'un de la part de la France, l'autre de l'Angleterre, viennent lui déclarer la guerre à Madrid. François Ier n'avait pas besoin de la déclarer, puisqu'il la faisait déjà dans le Milanais, et Henri VIII encore moins, puisqu'il ne lui lui fit point.
C'est une bien vaine idée de penser que les princes n'agissent et ne parlent qu'en politiques : ils agissent et parlent en hommes. L'empereur reprocha aigrement au roi d'Angleterre le divorce que ce roi méditait avec Catherine d'Aragon, dont Charles était le neveu. Il chargea le héraut Clarence de dire que le cardinal Wolsey, pour se venger de n'avoir pas été pape, avait conseillé ce divorce et la guerre.
Quant à François Ier, il lui reprocha d'avoir manqué à sa parole, et dit qu'il le lui soutiendrait seul à seul. Il était très vrai que François Ier avait manqué à sa parole ; il n'est pas moins vrai qu'elle était très difficile à tenir.
François Ier lui répondit ces propres mots : « Vous avez menti par la gorge, et autant de fois que le direz vous mentiez, etc. Assurez-nous le camp, et nous vous porterons les armes, »
L'empereur envoie un héraut au roi de France, chargé de signifier le lieu du combat. Le roi, avec le plus grand appareil, le reçoit le 10 septembre, dans la grand'salle de l'ancien palais où l'on rend la justice. Le héraut voulut parler avant de montrer la lettre de son maître, qui assurait le camp. Le roi lui impose silence, et veut voir seulement la lettre ; elle ne fut point montrée. Deux grands rois s'en tinrent à se donner des démentis par des hérauts d'armes. Il y a dans ces procédés un air de chevalerie et de ridicule bien éloigné de nos mœurs.
Pendant toutes ces rodomontades, Charles-Quint perdait tout le fruit de la bataille de Pavie, de la prise du roi de France, et de celle du pape. Il allait même prendre le royaume de Naples. Lautrec avait déjà pris toute l'Abruzze. Les Vénitiens s'étaient emparés de plusieurs villes maritimes du royaume. Le célèbre André Doria, qui alors servait la France, avait, avec les galères de Gênes, battu la flotte impériale. L'empereur qui, six mois auparavant, était maître de l'Italie, allait en être chassé : mais il fallait que les Français perdissent toujours en Italie ce qu'ils avaient gagné.
La contagion se met dans leur armée : Lautrec meurt. Le royaume de Naples est évacué, Henri, duc de Brunsvick, avec une nouvelle armée, vient défendre le Milanais contre les Français et contre Sforce.
Doria, qui avait tant contribué au succès de la France, justement mécontent de François Ier, et craignant même d'être arrêté, l'abandonne, et passe au service de l'empereur avec ses galères.
La guerre se continue dans le Milanais. Le pape Clément VII, en attendant l'événement, négocie. Ce n'est plus le temps d'excommunier un empereur, de transférer son sceptre dans d'autres mains par l'ordre de Dieu. On en eût agi ainsi autrefois pour le seul refus de mener la mule du pape par la bride ; mais le pape, après sa prison, après le saccagement de Rome, inefficacement secouru par les Français, craignant même les Vénitiens ses alliés, voulant établir sa maison à Florence, voyant enfin la Suède, le Danemark, la moitié de l'Allemagne, renoncer à l'Église romaine, le pape, dis-je, en ces extrémités, ménageait et redoutait Charles-Quint au point que, loin d'oser casser le mariage de Henri VIII avec Catherine, tante de Charles, il était prêt d'excommunier cet Henri VIII, son allié, dès que Charles l'exigerait.
1529 – Le roi d'Angleterre, livré à ses passions, ne songe plus qu'à se séparer de sa femme Catherine d'Aragon, femme vertueuse, dont il a une fille depuis tant d'années, et à épouser sa maîtresse Anne de Bolein, ou Bollen, ou Bowlen.
François Ier laisse toujours ses deux enfants prisonniers auprès de Charles-Quint en Espagne, et lui fait la guerre dans le Milanais. Le duc François Sforce est toujours ligué avec ce roi, et demande grâce à l'empereur, voulant avoir son duché des mains du plus fort, et craignant de le perdre par l'un ou par l'autre. Les catholiques et les protestants déchirent l'Allemagne : le sultan Soliman se prépare à l'attaquer, et Charles-Quint est à Valladolid.
Le vieil Antoine de Lève, l'un de ses plus grands généraux, à l'âge de soixante et treize ans, malade de la goutte, et porté sur un brancard, défait les Français dans le Milanais, aux environs de Pavie : ce qui en reste se dissipe, et ils disparaissent de cette terre qui leur a été si funeste.
Le pape négociait toujours, et avait heureusement conclu son traité avant que les Français reçussent ce dernier coup. L'empereur traita généreusement le pape : premièrement, pour réparer aux yeux des catholiques, dont il avait besoin, le scandale de Rome saccagée ; secondement, pour engager le pontife à opposer les armes de la religion à l'autre scandale qu'on allait donner à Londres en cassant le mariage de sa tante, et en déclarant bâtarde sa cousine Marie, cette même Marie qu'il avait dû épouser ; troisièmement, parce que les Français n'étaient pas encore expulsés d'Italie quand le traité fut conclu.
L'empereur accorde donc à Clément VII, Ravenne, Cervia, Modène, Reggio, le laisse en liberté de poursuivre ses prétentions sur Ferrare, lui promet de donner la Toscane à Alexandre de Médicis. Ce traité si avantageux pour le pape est ratifié à Barcelone.
Immédiatement après il s'accommode aussi avec François Ier ; il en coûte deux millions d'écus d'or à ce roi pour racheter ses enfants, et cinq cent mille écus que François doit encore payer à Henri VIII pour le dédit auquel Charles-Quint s'était soumis en n'épousant pas sa cousine Marie.
Ce n'était certainement pas à François Ier à payer les dédits de Charles-Quint ; mais il était vaincu : il fallait racheter ses enfants. Deux millions cinq cent mille écus d'or appauvrissaient à la vérité la France, mais ne valaient pas la Bourgogne que le roi gardait : d'ailleurs on s'accommoda avec le roi d'Angleterre, qui n'eut jamais l'argent du dédit.
Alors la France appauvrie ne paraît point à craindre (1) ; l'Italie attend les ordres de l'empereur ; les Vénitiens temporisent ; l'Allemagne craint les Turcs, et dispute sur la religion.
Ferdinand assemble la diète de Spire, où les luthériens prennent le nom de protestants, parce que la Saxe, la Hesse, le Lunebourg, Anhalt, quatorze villes impériales protestent contre l'édit de Ferdinand, et appellent au futur concile.
Ferdinand laisse croire et faire aux protestants tout ce qu'ils veulent ; il le fallait bien. Soliman, qui n'avait point de dispute de religion à apaiser, voulait toujours donner la couronne de Hongrie à ce Jean Zapoli, vayvode de Transvivanie, concurrent de Ferdinand ; et ce royaume devait être tributaire des Turcs.
Soliman subjugue toute la Hongrie, pénètre dans l'Autriche, emporte Altembourg d'assaut, met le siège devant Vienne, le 26 septembre ; mais Vienne est toujours l'écueil dans ces périls la maison d'Autriche. Vienne fut défendue par Philippe-le-Belliqueux, frère de l'électeur palatin, dernier électeur de la première branche palatine. Soliman, au bout de trente jours, lève le siège ; mais il donne l'investiture de la Hongrie à Jean Zapoli, et y reste le maître.
Enfin Charles quittait alors l'Espagne, et était arrivé à Gênes, qui n'est plus aux Français, et qui attend son sort de lui ; il déclare Gênes libre et fief de l'empire ; il va en triomphe de ville en ville pendant que les Turcs assiégeaient Vienne. Le pape Clément VII l'attend à Bologne. Charles vient d'abord recevoir à genoux la bénédiction de celui qu'il avait retenu captif, et dont il avait désolé l'État ; après avoir été aux pieds du pape en catholique, il reçoit en empereur François Sforce, qui vient se mettre aux siens, et lui demander pardon. Il lui donne l'investiture du Milanais pour cent mille ducats d'or comptant, et cinq cent mille payables en dix années ; il lui fait épouser sa nièce, fille du tyran Christiern ; ensuite il se fait couronner dans Bologne par le pape; il reçoit de lui trois couronnes : celle d'Allemagne, celle de Lombardie, et l'impériale, à l'exemple de Frédéric III. Le pape, en lui donnant le sceptre, lui dit : « Empereur notre fils, prenez ce sceptre pour régner sur les peuples de l'empire, auxquels nous et les électeurs nous vous avons jugé digne de commander.» Il lui dit en lui donnant le globe : « Ce globe représente le monde que vous devez gouverner avec vertu, religion, et fermeté. » La cérémonie du globe rappelait l'image de l'ancien empire romain, maître de la meilleure partie du monde connu, et convenait en quelque sorte à Charles-Quint, souverain de l'Espagne, de l'Italie, de l'Allemagne, et de l'Amérique. Charles baise les pieds du pape pendant la messe ; mais il n'y eut point de mule à conduire. L'empereur et le pape mangent dans la même salle, chacun seul à sa table.
Il promet sa bâtarde Marguerite à Alexandre de Médicis, neveu du pape, avec la Toscane pour dot.
1 – La France, par le traité de Cambrai, fut abaissée moralement aux yeux de l'Europe. (G.A.)