ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - CHARLES QUINT - Partie 49.10
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(Partie 10)
CHARLES-QUINT,
QUARANTIÈME EMPEREUR.
1543 – Transaction du duc de Lorraine avec le corps germanique dans la diète de Nuremberg, le 26 auguste. Son duché est reconnu souveraineté libre et indépendante, à la charge de payer à la chambre impériale les deux tiers de la taxe d'un électeur.
Cependant on publie la nouvelle ligue conclue entre Charles-Quint et Henri VIII contre François Ier ; c'est ainsi que les princes se brouillent et se réunissent. Ce même Henri VIII, que Charles avait fait excommunier pour avoir répudié sa tante, s'allie avec celui qu'on croyait son ennemi irréconciliable. Charles va d'abord attaquer la Gueldre, et s'empare de tout le pays, appartenant au duc de Clèves, allié de François Ier. Le duc de Clèves vient lui demander pardon à genoux. L'empereur fait renoncer à la souveraineté de Gueldre, et lui donne l'investiture de Clèves et de Juliers.
Il prend Cambrai, alors libre, que l'empire et la France se disputaient. Tandis que Charles se ligue avec le roi d'Angleterre pour accabler la France, François Ier appelle les Turcs une seconde fois. Chérédin, cet amiral des Turcs, vient à Marseille avec ses galères ; il va assiéger Nice avec le comte d'Enghien ; ils prennent la ville ; mais le château est secouru par les impériaux, et Chérédin se retire à Toulon. La descente des Turcs ne fut mémorable que parce qu'ils étaient armés au nom du roi très chrétien.
Dans le temps que Charles-Quint fait la guerre à la France, en Picardie, en Piémont et dans le Roussillon, qu'il négocie avec le pape et avec les protestants, qu'il presse l'Allemagne de se mettre en sûreté contre les invasions des Turcs, il a encore une guerre avec le Danemark.
Christiern II, retenu en prison par ceux qui avaient été autrefois ses sujets, avait fait Charles-Quint héritier de ses trois royaumes, qu'il n'avait point, et qui étaient électifs. Gustave Vasa régnait paisiblement en Suède. Le duc de Holstein avait été élu roi de Danemark en 1536. C'est ce roi de Danemark, Christiern III, qui attaquait l'empereur en Hollande avec une flotte de quarante vaisseaux ; mais la paix est bientôt faite. Ce Christiern III renouvelle avec ses frères, Jean et Adolphe, l'ancien traité qui regardait les duchés de Holstein et de Slesvick. Jean et Adolphe et leurs descendants devaient posséder ces duchés en commun avec les rois de Danemark.
Alors Charles assemble une grande diète à Spire, où se trouvent Ferdinand son frère, tous les électeurs, tous les princes catholiques et protestants. Charles-Quint et Ferdinand y demandent du secours contre les Turcs et contre le roi de France. On y donne à François Ier les noms de renégat, de barbare, et d'ennemi de Dieu.
Le roi de France veut envoyer des ambassadeurs à cette grande diète. Il dépêche un héraut d'armes pour demander un passeport. On met son héraut en prison.
La diète donne des subsides et des troupes ; mais ces subsides ne sont que pour six mois, et les troupes ne se montent qu'à quatre mille gendarmes, et vingt mille hommes de pied : faible secours pour un prince qui n'aurait pas eu de grands États héréditaires.
L'empereur ne put obtenir ce secours qu'en se relâchant beaucoup en faveur des luthériens. Ils gagnent un point bien important, en obtenant dans cette diète que la chambre impériale de Spire sera composée moitié de luthériens, et moitié de catholiques. Le pape s'en plaignit beaucoup, mais inutilement.
Le vieil amiral Barberousse, qui avait passé l'hiver à Toulon et à Marseille, va encore ravager les côtes d'Italie, et ramène ses galères chargées de butin et d'esclaves à Constantinople, où il termine une carrière qui fut longtemps fatale à la chrétienté. Il était triste que le roi nommé très chrétien n'eût jamais eu d'amiral redoutable à son service qu'un mahométan barbare ; qu'il soudoyât des Turcs en Italie, tandis qu'on assemblait un concile ; et qu'il fît brûler à petit feu des luthériens dans Paris, en payant des luthériens en Allemagne.
François Ier jouit d'un succès moins odieux et plus honorable, par la bataille de Cérisoles, que le comte d'Enghien gagne dans le Piémont le 11 avril sur le marquis del Vasto, fameux général de l'empereur ; mais cette victoire fut plus inutile encore que tous les succès passagers de Louis XII et de Charles VIII. Elle ne peut conduire les Français dans le Milanais, et l'empereur pénètre jusqu'à Soissons, et menace Paris.
Henri VIII, de son côté, est en Picardie. La France, malgré la victoire de Cérisoles, est plus en danger que jamais. Cependant, par un de mystères que l'histoire ne peut guère expliquer, François Ier fait une paix avantageuse. A quoi peut-on l'attribuer qu'aux défiances que l'empereur et le roi d'Angleterre avaient l'un de l'autre (1) ? Cette paix est conclue à Crépy le 18 septembre. Le traité porte que le duc d'Orléans, second fils du roi de France, épousera une fille de l'empereur ou du roi des Romains, et qu'il aura le Milanais ou les Pays-Bas. Cette alternative est étrange. Quand on promet une province ou une autre, il est clair qu'on ne donnera aucune des deux. Charles, en donnant le Milanais, ne donnait qu'un fief de l'empire, mais en cédant les Pays-Bas, il dépouillait son fils de son héritage.
Pour le roi d'Angleterre, ses conquêtes se bornèrent à la ville de Boulogne ; et la France fut sauvée contre toute attente.
1545 – On fait enfin l'ouverture du concile de Trente, au mois d'avril (2). Les protestants déclarent qu'ils ne reconnaissent point ce concile. Commencement de la guerre civile.
Henri, duc de Brunsvick, dépouillé de ses États, comme on l'a vu, par la ligue de Smalcalde, y rentre avec le secours de l'archevêque de Brême, son frère. Il y met tout à feu et à sang.
Philippe, ce fameux landgrave de Hesse, et Maurice de Saxe, neveu de George, réduisent Henri de Brunsvick aux dernières extrémités. Il se rend à discrétion à ces princes, marchant tête nue, avec son fils Victor, entre les troupes des vainqueurs. Charles approuve et félicite ces vainqueurs dangereux. Il les ménageait encore.
Tandis que le concile commence, Paul III, avec le consentement de l'empereur, donne solennellement l'investiture de Parme et de Plaisance à son fils aîné Pierre-Louis Farnèse, dont le fils Octave avait déjà épousé la bâtarde de Charles-Quint, veuve d'Alexandre de Médicis. Ce couronnement du bâtard d'un pape faisait un beau contraste avec un concile convoqué pour réformer l'Église.
L'électeur palatin prit ce temps pour renoncer à la communion romaine. C'était alors l'intérêt de tous les princes d'Allemagne de secouer le joug de l'Église romaine. Ils rentraient dans les biens prodigués par leurs ancêtres au clergé et aux moines. Luther meurt bientôt après à Islèbe, le 18 février 1545 (3), à compter selon l'ancien calendrier. Il avait eu la satisfaction de soustraire la moitié de l'Europe à l'Église romaine ; et il mettait cette gloire au-dessus de celle des conquérants.
1546 – La mort du duc d'Orléans, qui devait épouser une fille de l'empereur, et avoir les Pays-Bas ou le Milanais, tire Charles-Quint d'un grand embarras.Il en avait assez d'autres : les princes protestants de la ligue de Smalcalde avaient en effet divisé l'Allemagne en deux parties. Dans l'une, il n'avait guère que le nom d'empereur ; dans l'autre, on ne combattait pas ouvertement son autorité, mais on ne la respectait pas autant qu'on eût fait, si elle n'eût pas été presque anéantie chez les princes protestants.
Ces princes signaient leur crédit, en ménageant la paix entre les rois de France et d'Angleterre. Ils envoient des ambassadeurs dans ces deux royaumes : cette paix se conclut, et Henri VIII favorise la ligue de Smalcalde.
Le luthéranisme avait fait tant de progrès, que l'électeur de Cologne, Herman de Neuvied, tout archevêque qu'il était, l'introduisit dans ses États, et n'attendait que le moment de pouvoir se séculariser lui et son électorat. Paul III l'excommunie, et le prive de son archevêché. Un pape peut excommunier qui il veut ; mais il n'est pas si aisé de dépouiller un prince de l'empire ; il faut que l'Allemagne y consente. Le pape ordonne en vain qu'on ne reconnaisse plus qu'Adolphe de Schavembourg, coadjuteur de l'archevêque, mais non coadjuteur de l'électeur ; Charles-Quint reconnaît toujours l'électeur Herman de Neuvied, et le menace, afin qu'il ne donne point de secours aux princes de la ligue de Smalcalde ; mais, l'année suivante, Herman fut enfin déposé, et Schavembourg eut son électorat.
La guerre civile avait déjà commencé par l'aventure de Henri de Brunsvick, prisonnier chez le landgrave de Hesse. Albert de Brandebourg, margrave de Culembach, se joint à Jean de Brunsvick, neveu du prisonnier, pour le délivrer et le venger. L'empereur les encourage, et les aide sous main. Ce n'est point là le grand empereur Charles-Quint, ce n'est qu'un prince faible qui se plie aux conjonctures.
Alors les princes et les villes de la ligue mettent leurs troupes en campagne. Charles, ne pouvant plus dissimuler, commence par obtenir de Paul III environ dix mille hommes d'infanterie et cinq cents chevaux légers pour six mois, avec deux cent mille écus romains, et une bulle pour lever la moitié des revenus d'une année des bénéfices d'Espagne, et pour aliéner les biens des monastères jusqu'à la somme de cinq cent mille écus. Il n'osait demander les mêmes concessions sur les Églises d'Allemagne. Les luthériens étaient trop voisins, et quelques Églises eussent mieux aimé se séculariser que de payer.
Les protestants sont déjà maîtres des passages du Tyrol ; ils s'étendent de là jusqu'au Danube. L'électeur de Saxe Jean-Frédéric, Philippe, landgrave de Hesse, marchent par la Franconie. Philippe, prince de la maison de Brunsvick, et ses quatre fils, trois princes d'Anhalt, George de Virtemberg, frère du duc Ulric, sont dans cette armée : on y voit les comtes d'Oldembourg, de Mansfeld, d'Œttingen, de Henneberg, de Furstemberg, beaucoup d'autres seigneurs immédiats à la tête de leur soldats. Les villes d'Ulm, de Strasbourg, de Nordlingue, d'Augsbourg, y ont envoyé leurs troupes. Il y a huit régiments des cantons protestants suisses. L'armée était de plus de soixante mille hommes de pied, et de quinze mille chevaux.
L'empereur, qui n'avait que peu de troupes, agit cependant en maître, en mettant l'électeur de Saxe, au ban de l'empire, le 18 juillet, dans Ratisbonne. Bientôt il a une armée capable de soutenir cet arrêt. Les dix mille Italiens envoyés par le pape arrivent. Six mille Espagnols de ses vieux régiments du Milanais et de Naples se joignent à ses Allemands. Mais il fallait qu'il armât trois nations, et il n'avait pas encore une armée égale à celle de la ligue, qui venait d'être renforcée par la gendarmerie de l'électeur palatin.
Les destinées des princes et des États sont tellement le jouet de ce qu'on appelle la fortune, que le salut de l'empereur vint d'un prince protestant. Le prince Maurice de Saxe, marquis de Misnie et de Thuringe, cousin de l'électeur de Saxe, gendre du landgrave de Hesse, le même à qui ce landgrave et l'électeur de Saxe avaient conservé ses États, et dont l'électeur avait été le tuteur, oublia ce qu'il devait à ses proches, et se rangea du parti de l'empereur. Ce qui est singulier, c'est qu'il était comme eux protestant très zélé ; mais il disait que la religion n'a rien de commun avec la politique.
Ce Maurice assembla dix mille fantassins et trois mille chevaux, fit une diversion dans la Saxe, défit les troupes que l'électeur Jean-Frédéric-Henri y envoya, et fut la première cause du malheur des alliés. Le roi de France leur envoya deux cent mille écus : c'était assez pour entretenir la discorde, et non assez pour rendre leur parti vainqueur.
L'empereur gagne du terrain de jour en jour. La plupart des villes de Franconie se rendent et paient de grosses taxes.
L'électeur palatin, l'un des princes de la ligue, vient demander pardon à Charles et se jette à ses genoux. Presque tout le pays jusqu'à Hesse-Cassel est soumis.
Le pape Paul III retire alors ses troupes qui n'avaient dû servir que six mois. Il craint de trop secourir l'empereur, même contre des protestants. Charles n'est que médiocrement affaibli par cette perte. La mort du roi d'Angleterre, Henri VIII, arrivée le 28 janvier, et la maladie qui conduisait dans le même temps François Ier à sa fin, le délivraient des deux protecteurs de la ligue de Smalcalde.
1 – L'empereur avait besoin de la paix pour arrêter les progrès des luthériens. (G.A.)
2 – Ou plutôt, le 13 décembre. (G.A.)
3 – Ou plutôt, à Eisleben le 18 février 1516. (G.A.)