ANNALES DE L'EMPIRE - CATALOGUE DES EMPEREURS - FRÉDÉRIC D'AUTRICHE - Partie 47-3
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FRÉDÉRIC D'AUTRICHE,
TROISIÈME DU NOM.
TRENTE-NEUVIÈME EMPEREUR.
(Partie 2)
1469-1470-1471-1472. Mathias Huniade et Podibrade se disputent toujours la Bohême. La mort subite de Podibrade n'éteint point la guerre civile. Le parti hussite élit Ladislas, roi de Pologne. Les catholiques tiennent pour Mathias Huniade.
La maison d'Autriche, qui devait être puissante sous Frédéric III, perd longtemps beaucoup plus qu'elle ne gagne. Sigismond d'Autriche, dernier prince de la branche du Tyrol, vend au duc de Bourgogne, Charles-le-Téméraire, le Brisgau, le Sundgau, le comté de Ferrète, qui lui appartenaient, pour quatre-vingt mille écus d'or. Rien n'est plus commun dans les quatorze et quinzième siècles que des États vendus à vil prix. C'était démembrer l'empire, c'était augmenter la puissance d'un prince de France, qui alors possédait tous les Pays-Bas. On ne pouvait prévoir qu'un jour l'héritage de la maison de Bourgogne reviendrait à la maison d'Autriche. Les lois de l'empire défendent ces aliénations ; il y faut au moins le consentement de l'empereur, et on néglige même de le demander.
Dans le même temps le duc Charles de Bourgogne achète environ pour le même prix le duché de Gueldre et le comté de Zutphen.
Ce duc de Bourgogne était le plus puissant de tous les princes qui n'étaient pas rois, et peu de rois étaient aussi puissants que lui ; il se trouvait à la fois vassal de l'empereur et du roi de France, mais très redoutable à l'un et à l'autre.
1473-1474. Ce duc de Bourgogne, aussi entreprenant que l'empereur l'était peu, inquiète tous ses voisins, et presque tous à la fois. On ne pouvait mieux mériter le nom de Téméraire.
Il veut envahir le Palatinat (1). Il attaque la Lorraine et les Suisses. C'est alors que les rois de France traitent avec les Suisses pour la première fois. Il n'y avait encore que huit cantons d'unis : Schvitz, Uri, Undervald, Lucerne, Zurich, Glaris, Zug, et Bern.
Louis XI leur donne vingt mille francs par an, et quatre florins et demi, par soldat tous les mois.
1475 – C'est toujours la destinée des Turcs que les chrétiens se déchirent entre eux, comme pour faciliter les conquêtes de l'empire ottoman. Mahomet maître de l'Epire, du Péloponèse, du Négrepont, fait tout trembler. Louis XI ne songe qu'à saper la grandeur du duc de Bourgogne dont il est jaloux ; les provinces d'Italie, qu'à se maintenir les unes contre les autres ; Mathias Huniade, qu'à disputer la Bohême au roi de Pologne ; et Frédéric III, qu'à amasser quelque argent dont il puisse un jour faire usage pour mieux établir sa puissance.
Mathias Huniade, après une bataille gagnée, se contente de la Silésie et de la Moravie ; il laisse la Bohême et la Lusace au roi de Pologne.
Charles-le-Téméraire envahit la Lorraine ; il se trouve, par cette usurpation, maître d'un des plus beaux États de l'Europe, des portes de Lyon jusqu'à la mer de Hollande.
1476. Sa puissance ne le satisfait pas ; il veut renouveler l'ancien royaume de Bourgogne, et y enclaver les Suisses. Ces peuples se défendent contre lui aussi bien qu'ils ont fait contre les Autrichiens ; ils le défont d'abord à la bataille de Grandson, et ensuite entièrement à celle de Morat. Leurs piques et leurs espadons triomphent de la grosse artillerie et de la brillante gendarmerie de Bourgogne. Les Suisses étaient alors les seuls dans l'Europe qui combattissent pour la liberté. Les princes, les républiques même, comme Venise, Florence, Gênes, n'avaient presque été en guerre que pour leur agrandissement. Jamais peuple ne défendit mieux cette liberté précieuse que les Suisses. Il ne leur a manqué que des historiens.
C'est à cette bataille de Grandson que Charles-le-Téméraire perdit ce beau diamant qui passa depuis au duc de Florence (2). Un Suisse, qui le trouva parmi les dépouilles, le vendit pour un écu.
1477. Charles-le-Téméraire périt enfin devant Nancy, trahi par le Napolitain Campo-Basso, et tué, en fuyant après la bataille, par Bausemont, gentilhomme lorrain.
Par sa mort le duché de Bourgogne, l'Artois, le Charolais, Mâcon, Bar-sur-Seine, Lille, Douai, les villes sur la Somme, reviennent à Louis XI, roi de France, comme des fiefs de la couronne ; mais la Flandre qu'on nomme impériale, avec tous les Pays-Bas et la Franche-Comté, appartenaient à la jeune princesse Marie, fille du dernier duc.
Ce que fit certainement de mieux Frédéric III, fut de marier son fils Maximilien avec cette riche héritière.
Maximilien épouse Marie, le 17 auguste, dans la ville de Gand ; et Louis XI, qui avait pu la donner en mariage à son fils, lui fait la guerre (3).
Ce droit féodal, qui n'est, dans son principe, que le droit du plus fort, et dans ses conséquences qu'une source éternelle de discordes, allumait cette guerre contre la princesse. Le Hainaut devait-il revenir à la France ? Était-ce une province impériale ? La France avait-elle des droits sur Cambrai ? En avait-elle sur l'Artois ? la Franche-Comté devait-elle être encore réputée province de l'empire ? Était-elle de la succession de Bourgogne, ou réversible à la couronne de France ? Maximilien aurait bien voulu tout l'héritage. Louis XI voulait tout ce qui était à sa bienséance. C'est donc ce mariage qui est la véritable origine de tant de guerres malheureuses entre les maisons de France et d'Autriche ; c'est parce qu'il n'y avait point de loi reconnue que tant de peuples ont été sacrifiés.
Louis XI s'empare d'abord des deux Bourgognes, et, vers les Pays-Bas, de tout ce qu'il peut prendre dans l'Artois et dans le Hainaut.
1478. Un prince d'Orange, de la maison de Châlon en Franche-Comté, tâche de conserver cette province à Marie. Cette princesse se défend dans les Pays-Bas sans que son mari puisse lui fournir des secours d'Allemagne. Maximilien n'était encore que le mari indigent d'une héroïne souveraine. Il presse les princes allemands d'embrasser sa cause. Chacun songeait à la sienne propre.Un landgrave de Hesse enlevait un électeur de Cologne, et le retenait en prison. Les chevaliers teutons prenaient Riga en Livonie. Mathias Huniade était près de s'accommoder avec Mahomet II.
1479. Enfin Maximilien, aidé des seuls Liégeois, se met à la tête des armées de sa femme ; on les appelle les armées flamandes, quoique la Flandre proprement dite, c'est-à-dire le pays depuis Lille jusqu'à Gand, fût en partie aux Français. La princesse Marie eut une armée plus forte que le roi de France.
Maximilien défait les Français à la journée de Guinegaste au mois d'auguste. Cette bataille n'est pas de celles qui décident du sort de toute une guerre.
1480. On négocie. Le pape Sixte IV envoie un légat en Flandre. On fait une trêve de deux années. Où est, pendant tout ce temps, l'empereur Frédéric III ? Il ne fait rien pour son fils ni pendant la guerre ni pendant les négociations mais il lui avait donné Marie de Bourgogne, et c'était beaucoup.
1481. Cependant les Turcs assiègent Rhodes ; le fameux grand-maître d'Aubusson, à la tête de ses chevaliers, fait lever le siège au bout de trois mois.
Mais le bacha Acomat aborde dans le royaume de Naples avec cent cinquante galères. Il prend Otrante d'assaut. Tout le royaume est près d'être envahi. Rome tremble. L'indolence des princes chrétiens n'échappe à ce torrent que par la mort imprévue de Mahomet II, et les Turcs abandonnent Otrante.
Accord bizarre de Jean, roi de Danemark et de Suède, avec son frère Frédéric, duc de Holstein. Le roi et le duc doivent gouverner le Holstein, fief de l'empire, et Slesvick, fief du Danemark, en commun. Tous les accords ont été des sources de guerres, mais celui-ci surtout.
Les cantons de Fribourg en Suisse et de Soleure se joignent aux huit autres. C'est un très léger événement par lui-même. Deux petites villes ne sont rien dans l'histoire du monde ; mais devenues membres d'un corps toujours libre, cette liberté les met au-dessus des plus grandes provinces qui servent.
1482. Marie de Bourgogne meurt. Maximilien gouverne ses États au nom du jeune Philippe son fils. Les villes des Pays-Bas ont toutes des privilèges. Ces privilèges causent presque toujours des dissensions entre le peuple qui veut les soutenir, et le souverain qui veut les faire plier à ses volontés. Maximilien réduit la Zélande, Leyde, Utrecht, Nimègue.
1483-1484-1485. Presque toutes les villes se soulèvent l'une après l'autre, mais sans concert, et sont soumises l'une après l'autre. Il reste toujours un levain de mécontentement.
1486. On était si loin de s'unir contre les Turcs, que Mathias Huniade, roi de Hongrie, au lieu de profiter de la mort de Mahomet II pour les attaquer, attaque l'empereur. Quelle est la cause de cette guerre du prétendu fils contre le prétendu père ? Il est difficile de la dire. Il veut s'emparer de l'Autriche. Quel droit y avait-il ? Ses troupes battent les impériaux, il prend Vienne : voilà son seul droit. L'empereur paraît insensible à la perte de la Basse-Autriche ; il voyage pendant ce temps-là dans les Pays-Bas, et de là il va à Francfort faire élire par tous les électeurs son fils Maximilien roi des Romains. On ne peut avoir moins de gloire personnelle, ni mieux préparer la grandeur de sa maison.
Maximilien est couronné à Aix-la-Chapelle, le 9 avril, par l'archevêque de Cologne ; le pape Innocent VIII y donne son consentement, que les papes veulent toujours qu'on croie nécessaire.
L'empereur, qui a eu dans la diète de Francfort le crédit de faire son fils roi des Romains, n'a pas celui d'obtenir cinquante mille florins par mois pour recouvrer l'Autriche. C'est une de ces contradictions qu'on rencontre souvent dans l'histoire.
Ligue de Souabe pour prévenir les guerres particulières qui déchirent l'Allemagne et qui l'affaiblissent. Ce fut d'abord un règlement de tous les princes à la diète de Francfort, une loi comminatoire qui met au ban de l'empire tous ceux qui attaqueront leurs voisins. Ensuite tous les gentilshommes de Souabe s'associèrent pour venger les torts : ce fut une vraie chevalerie. Ils allaient par troupes démolir des châteaux de brigands ; ils obligèrent même le duc George de Bavière à ne plus persécuter ses voisins. C'était la milice du bien public : elle ne dura pas.
1487. L'empereur fait avec Mathias Huniade un traité qu'un vaincu seul peut faire. Il lui laisse la Basse-Autriche jusqu'à ce qu'il paie au vainqueur tous les frais de la guerre, mais faisant toujours valoir son titre de père, et se réservant le droit de succéder à son fils adoptif dans le royaume de Hongrie.
1488. Le roi des Romains Maximilien se trouve, dans les Pays-Bas, attaqué à la fois par les Français et par ses sujets. Les habitants de Bruges, sur lesquels il voulait établir quelques impôts contre les lois du pays, s'avisent tout d'un coup de le mettre en prison, et l'y tiennent quatre mois ; ils ne lui rendirent sa liberté qu'à condition qu'il ferait sortir le peu de troupes allemandes qu'il avait avec lui, et qu'il ferait la paix avec la France.
Comment se peut-il faire que le ministère du jeune Charles VIII, roi de France, ne profitât pas d'une si heureuse conjoncture ? Ce ministère alors était faible.
1489. Maximilien épouse secrètement, en secondes noces, par procureur, la duchesse Anne de Bretagne. S'il l'eût épousée en effet, et qu'il en eût eu des enfants, la maison d'Autriche pressait la France par les deux bouts. Elle l'entourait à la fois par la Franche-Comté, l'Alsace, la Bretagne, et les Pays-Bas.
1490. Mathias Corvin Huniade étant mort, il faut voir si l'empereur Frédéric, son père adoptif, lui succédera en vertu des traités. Frédéric donne son droit à Maximilien son fils.
Mais Béatrix, veuve du dernier roi, fait jurer aux états qu'ils reconnaîtront celui qu'elle épousera ; elle se remarie aussitôt à Ladislas Jagelion, roi de Bohême, et les Hongrois le couronnent.
Maximilien reprend du moins sa Basse-Autriche, et porte la guerre en Hongrie.
1491. On renouvelle entre Ladislas Jagellon et Maximilien ce même traité que Frédéric III avait fait avec Mathias. Maximilien est reconnu héritier présomptif de Ladislas Jagellon en Hongrie et en Bohême.
La destinée préparait ainsi de loin la Hongrie à obéir à la maison d'Autriche.
L'empereur, dans ce temps de prospérité, fait un acte de vigueur ; il met au ban de l'empire Albert de Bavière, duc de Munich, son gendre. C'est une chose étonnante que le nombre des princes de cette maison auxquels on a fait ce traitement. De quoi s'agissait-il ? D'une donation du Tyrol faite solennellement à ce duc de Bavière par Sigismond d'Autriche ; et cette donation ou vente secrète était regardée comme la dote de sa femme Cunégonde, propre fille de l'empereur Frédéric III.
L'empereur prétendait que le Tyrol ne pouvait pas s'aliéner : tout l'empire était partagé sur cette question, preuve indubitable qu'il n'y avait point de lois claires ; et c'est en effet ce qui manque le plus aux hommes.
Le ban de l'empire, dans un tel cas, n'est qu'une déclaration de guerre ; mais on s'accommoda bientôt. Le Tyrol resta à la maison d'Autriche : on donne quelques compensations à la Bavière, et le duc de Bavière rend Ratisbonne, dont il s'était emparé depuis peu.
Ratisbonne était une ville impériale. Le duc de Bavière, fondé sur ses anciens droits, l'avait mise au rang de ses États ; elle est de nouveau déclarée ville impériale : il resta seulement aux ducs de Bavière la moitié des droits de péage.
1492. Le roi des Romains, Maximilien, qui comptait établir paisiblement la grandeur de sa maison en mariant sa fille Marguerite d'Autriche à Charles VIII, roi de France, chez qui elle était élevée, et en épousant bientôt Anne de Bretagne, épousée déjà en son nom par procureur, apprend que sa femme est mariée en effet à Charles VIII, le 6 décembre 1491, et qu'on va lui renvoyer sa fille Marguerite. Les femmes ne sont plus des sujets de guerre entre les princes, mais les provinces le sont.
L'héritage de Marie de Bourgogne fomentait une discorde éternelle, comme l'héritage de Mathilde avait si longtemps troublé l'Italie.
Maximilien surprend Arras ; il conclut ensuite une paix avantageuse, par laquelle le roi de France lui cède la Franche-Comté en pure souveraineté, et l'Artois, le Charolais, et Nogent, à condition d'hommage.
Ce n'est pas à Maximilien proprement qu'on cède ce pays, c'est à Philippe son fils, comme représentant Marie de Bourgogne sa mère ?
Il faut avouer que nul roi des Romains ne commença sa carrière plus glorieusement que Maximilien. La victoire de Guinegaste sur les Français, l'Autriche reconquise, Arras prise, et l'Artois gagné d'un coup de plume, le couvraient de gloire.
1493. Frédéric III meurt, le 19 auguste, âgé de soixante-dix-huit ans ; il en régna cinquante-trois. Nul règne d'empereur ne fut plus long ; mais ce ne fut pas le plus glorieux.
1 – Voltaire oublie de mentionner l'entrevue de Charles et de l'empereur à Trèves. Charles voulait se faire nommer roi par Frédéric III. (G.A.)
2 – C'est le Sancy, qui appartient aujourd'hui à la couronne de France. (G.A.)
3 – Voltaire suit ici l'opinion commune ; mais il faut observer que la princesse était beaucoup plus âgée que le dauphin, et que les Flamands étaient si opposés à ce mariage, qu'ils condamnèrent à mort deux des principaux ministres de leurs souveraine, soupçonnés de pencher pour la France, et les exécutèrent sous les yeux de la princesse, qui demandait leur grâce. (K.)