CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 96

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 96

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

26 de Juin 1773.

 

 

      L’œuvre posthume de ce pauvre Helvétius, ou plutôt de ce riche Helvétius, est-elle, ou est-il parvenu jusqu’à vous, mon très cher philosophe ? M. le prince Gallitzin, qui en est l’éditeur, veut le dédier à la sublime Catau. Il est bon de la mettre en commerce avec les morts, car elle ne répond point aux vivants. Je m’imagine que les impératrices n’aiment pas plus les conseils que les généraux d’armée et les gouverneurs de province ne les aiment.

 

Dulcis inexpertis cultura potentis amici.

 

HOR., lib. I, Ep. XVIII.

 

     Quoi qu’il en soit, on sera fort étonné, si on lit ce livre, de voir le papisme traité de religion abominable, qui ne peut se soutenir que par des bourreaux, le despotisme traité à peu près comme le papisme, et le tout dédié à la puissance la plus despotique qui soit sur la terre.

 

      Je ne sais plus comment faire pour vous envoyer de ces petits recueils dont le principal mérite est dans le Dialogue de René et de Christine. Les commis à la douane des pensées sont impitoyables.

 

      Ne m’oubliez pas, je vous en prie, auprès de l’éloquent M. Thomas, que je préfère sans contredit à Thomas d’Aquin, et surtout à Thomas Didyme, comme je vous préfère à tous les charlatans qui réussissent dans les cours, et qui même réussissent pour un temps auprès d’un public ignorant et sans goût.

 

      Adieu, mon cher philosophe ; consolons-nous tous deux du siècle.

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

3 de Juillet 1773.

 

 

      Voici, mon cher et grand philosophe, ma réponse à l’abbé philosophe (1).

 

      N’êtes-vous pas bien content de ces petits mots d’Helvétius, tome I, page 107 ?

 

      « Nous sommes étonnés de l’absurdité de la religion païenne, celle de la religion papiste étonnera bien davantage la postérité. »

 

      Et, page 102 : « Pourquoi faire de Dieu un tyran oriental ?pourquoi mettre ainsi le nom de la Divinité au bas du portrait du diable ? ce sont les méchants qui peignent Dieu méchant ; Qu’est-ce que leur dévotion ? un voile à leurs crimes. »

 

      C’est dommage que ce ne soit pas un bon livre ; mais il y a de très bonnes choses : c’est une arme qui tiendra son rang dans l’arsenal où nous avons déjà tant de canons qui menacent le fanatisme. Il est vrai que les ennemis ont aussi leurs armes : elles sont d’une autre espèce, elles ont tué le chevalier de La Barre ; elles ont blessé à mort Helvétius : mais le sang de nos martyrs fait des prosélytes. Le troupeau des sages grossit à la sourdine.

 

      Bonsoir, mon sage, bonsoir, mon cher Bertrand ; il ne me reste plus qu’un doigt pour tirer les marrons du feu, mais il est à votre service.

 

 

1 – L’abbé de Cursay. Voyez la lettre à cet abbé, du 3 juillet 1773. (G.A.)

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

14 de Juillet 1773.

 

 

      Je trouve une occasion, mon cher ami, de vous faire parvenir, s’il est possible, trois exemplaires d’un petit recueil dont un de vos petits ouvrages fait tout l’ornement (1). Il me semble que nous n’en avons point donné à M. Saurin, à qui je dois cet hommage plus qu’à personne.

 

      Il n’y a plus de correspondance, plus de confiance, plus de consolation ; tout est perdu, nous sommes entre les mains des Barbares. Je vous ai écrit deux lettres concernant l’œuvre posthume d’Helvétius, imprimée par les soins du prince Gallitzin. Je tremble qu’elles ne vous soient pas parvenues. Les curiosi sont en grand nombre ; ils furent les précurseurs des inquisiteurs, comme vous savez.

 

      Catau a bien autre chose à faire qu’à nous répondre. Je me flatte pourtant que les bruits qui courent ne sont pas vrais, et qu’elle n’ira point passer le carnaval à Venise avec Diderot (2).

 

      Il faut cultiver les lettres ou son jardin.

 

      A propos, plus j’y pense, et plus j’ose trouver que le calcul de la densité des planètes, la comète deux mille fois plus chaude qu’un fer rouge, l’élasticité d’une matière déliée qui serait la cause de la gravitation, la création expliquée en rendant l’espace solide, et le commentaire sur l’Apocalypse, sont à peu près de même espèce. Magis magnos clericos non sunt magis magnos sapientes.

 

      Ne m’oubliez pas, je vous en prie, auprès de M. de Condorcet et de vos autres amis qui soutiennent tout doucement la bonne cause.

 

 

1 – Voyez la lettre à d’Alembert du 27 mars 1773. (G.A.)

 

2 – Voyez le chapitre XXVI de Candide. Diderot tait alors en visite à Saint-Pétersbourg. (G.A.)

 

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

24 de Juillet 1773.

 

 

      Raton sera toujours prêt à tirer les marrons du feu pour le déjeuner des Bertrands. Raton ne craint point de brûler ses pattes. Le temps approche où il n’aura bientôt ni pieds ni pattes ; il faut qu’il s’en serve jusqu’au dernier moment pour l’édification du prochain. Donnez donc, mon cher ami, cette lettre à Marmontel-Bertrand (1), second du nom. Il faut absolument que j’aie la correspondance du bienheureux abbé Sabatier (2). En attendant, priez Dieu pour moi. Le vieux RATON.

 

 

1 – La lettre à Marmontel, du 24 juillet. (G.A.)

 

2 – Dictionnaire de littérature, 1770, trois vol. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

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