CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 105

Publié le par loveVoltaire

CORRESPONDANCE avec D'ALEMBERT - Partie 105

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

26 de Février 1775.

 

 

      Cher seigneur et maître, cher Bertrand, il y a longtemps que je n’ai pu vous dire combien je vous aime, combien je vous suis obligé d’avoir écrit (1) en faveur de mon jeune homme. J’ai été très malade, je le suis encore, et je crois que je pourrai bientôt laisser une place vacante dans l’Académie que vous rendez si respectable. On dit que vous avez élogié l’abbé de Saint-Pierre (2) : c’est l’expression des gazettes de Berne, ma voisine. On dit que le prédicateur est fort au-dessus de son saint, et que votre discours est charmant. Vraiment je le crois bien. Vraiment vous avez ressuscité notre Académie ; elle était morte sans vous. Voilà bientôt, ce me semble, le temps de se passer des docteurs de Sorbonne, qui ne sont pas faits pour juger de la prose et des vers.

 

      Croyez-vous que ce fût aussi le temps de donner pour sujet des prix, non des éloges, dans lesquels il y a toujours de la déclamation, de l’exagération, et qui par là ne passeront jamais à la postérité, mais des discours tels que vous en savez faire, des jugements sur les grands hommes, à la manière de Plutarque ? Rien ne serait, ce me semble, plus instructif ; rien ne formerait plus le jugement et le goût de nos jeunes écrivains.

 

      Je vous envoie la seconde édition de Don Pèdre, que je reçois dans le moment. Je vous prie de jeter un coup d’œil sur la note qui est à la fin de la Tactique (3). Elle ne corrigera personne sur la rage de faire la guerre ; mais pourrons-nous corriger les monstres qui assassinent gravement l’innocence en temps de paix ?

 

      Le pauvre Raton vous embrasse comme il peut avec ses misérables pattes.

 

 

1 – Au roi de Prusse. (G.A.)

 

2 – Vingt jours auparavant, d’Alembert avait lu à l’Académie française l’EÉloge de l’abbé de Saint-Pierre. (G.A.)

 

3 – Voyez aux SATIRES. (G.A.)

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

8 d’Avril 1775.

 

RATON A MM. BERTRANDS.

 

 

      Raton a reçu la petite histoire de Jean-Vincent-Antoine (1), et remercie MM. Bertrands.

 

      Mais Raton est désespéré qu’on lui impute pour la troisième fois, depuis si peu de temps, des marrons qu’il n’a jamais tirés du feu, et qui peuvent causer de terribles indigestions.

 

      La dernière aventure du chevalier de Mortonet du comte de Tressan est aussi ridicule que dangereuse. Il est bien indécent que ce chevalier de Morton veuille se cacher visiblement sous la fourrure du vieux Raton (2). Il est bien mal informé, quand il parle des petits soupers d’Épicure-Stanislas qui ne soupa jamais, et qui empêcha longtemps ses commensaux de souper.

 

      Il est bien extraordinaire que le comte de Tressan ait attribué cette pièce à Raton, et lui ait répondu en conséquence avec des notes.

 

      Le grand référendaire (3), dont Raton a un besoin extrême dans le moment présent, doit réprouver cette brochure, et être très piqué contre l’auteur indiscret. Les pastophores (4) vont s’assembler, et tout est à craindre. Cette saillie, très mal placée dans le temps où nous sommes peut surtout faire un tort irréparable au jeune homme (5) à qui MM. Bertrands s’intéressent. Raton est très affligé, et à grande raison de l’être.

 

      On aurait bien dû empêcher M. de Tressan de faire une si dangereuse équipée. On est obligé de suspendre tout dans l’affaire de notre jeune ingénieur, devenu aide-de-camp du roi son maître. Il faut se taire pendant quelque temps ; mais surtout il est absolument nécessaire de rendre justice à Raton, et de ne lui point imputer un ouvrage si mal conçu, si mal rimé, dans lequel il y a quelques beaux vers, à la vérité, mais qui sont absolument hors de saison, et qui ne peuvent que gâter des affaires très sérieuses.

 

      Raton prie instamment MM. Bertrands de détourner de lui un calice si amer ; ses vieilles pattes sont assez brûlées. Ils sont conjurés de ne pas faire brûler le reste de son maigre corps. Sa nièce est très mal et lui aussi ; il faut qu’il meure en paix.

 

 

1 – Jean-Vincent-Antoine Ganganelli. Il s’agit sans doute des Lettres très intéressantes du pape Clément XIV, par Caraccioli, 2 vol., 1775. (G.A.)

 

2 – Voyez la lettre à Tressan du 22 mars. On attribuait à Voltaire une Épître au comte de Tress. Sur ces pestes publiques qu’on appelle philosophes, par le chevalier de Morton. Tressan avait répliqué par une autre épître. (G.A.)

 

3 – Miroménil. (G.A.)

 

4 – Les parlementaires. (G.A.)

 

5 – D’Etallonde. (G.A.)

 

 

 

 

DE VOLTAIRE.

 

1er de Mai 1775.

 

A MM. LES DEUX SECRÉTAIRES.

 

 

      Je comptais envoyer aujourd’hui à l’un des Bertrands l’ouvrage très utile sur le commerce des blés (1). Je ne conçois pas pourquoi on ne m’a pas envoyé encore l’imprimé.

 

      L’un des Bertrands me mande qu’on ne sait point ce que c’est que ce Jean-Vincent-Antoine. Cependant j’ai reçu un mémoire concernant Jean-Vincent-Antoine Ganganelli, écrit de la même main, et envoyé sous le même contre-seing que l’écrit sur la liberté du commerce des blés. Mais certainement on ne fera nul usage de l’histoire de Jean-Vincent-Antoine.

 

      On se confie entièrement au zèle généreux des Bertrands, au sujet de l’officier prussien. D’Hornoy (2) s’obstine, pour disculper sa compagnie, à vouloir des lettres de grâce que ce brave officier rejette avec horreur. Il manquerait d’ailleurs essentiellement au roi son maître, et il se déshonorerait, s’il allait faire entériner à genoux ces lettres de grâce par ses bourreaux, en portant l’habit uniforme des vainqueurs de Rosbach. La seule idée d’une telle infamie fait bondir le cœur. Il ne veut absolument qu’un mot de consultation. Trois avocats de Paris ne peuvent refuser ce mot en 1775, après que huit avocats ont signé, en 1766, la même chose que nous demandons.

 

      Voilà l’unique point sur lequel nous insistons.

 

      Il ne s’agit que d’un oui ou d’un non de la part de ces avocats. S’ils refusent, il n’y aura autre chose à faire qu’à nous renvoyer le mémoire à consulter. On pourra en adresser un autre au roi très chrétien en personne, ou s’en tenir uniquement à ce qu’on doit espérer du roi son maître.

 

       Voilà tout ce qu’on peut dire sur cette exécrable affaire.

 

    A l’égard de celle du chevalier de Morton et du comte de Tressan, elle est très ridicule et très dangereuse dans les circonstances présentes. M. de Condorcet est très instamment supplié d’imposer silence, s’il le peut, à ceux qui exposent ainsi les fidèles à la persécution. On met Raton dans la cruelle nécessité de montrer publiquement que ce Morton est absurde et ne sait pas la langue française. Il en faudra venir nécessairement à ce scandale, pour peu que la malheureuse épître de ce Morton soit connue. En vérité cette disparate est la chose la plus désespérante. Il serait affreux d’immoler son ami à la démangeaison d’imprimer des vers.

 

      M. de Tressan n’a-t-il pas dû sentir que cet imprimé ne pouvait faire qu’un effet affreux ?

 

      Voici la lettre qu’on écrit au maître (3) de ce malheureux officier persécuté par les bœufs-tigres.

 

      L’article Monopole sera envoyé le 3 de mai.

 

 

1 – Diatribe à l’auteur des Ephémérides. Voyez LÉGISLATION, Opuscules. (G.A.)

 

2 – Neveu de madame Denis. (G.A.)

 

3 – Lettre à Frédéric, du 27 Avril. (G.A.)

 

 

 

 

 

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